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N° 976
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 février 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à la nationalisation temporaire de Vencorex,
(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Cyrielle CHATELAIN, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Élisa MARTIN, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Aurélie TROUVÉ, Mme Marie POCHON, M. Laurent ALEXANDRE, Mme Marie-José ALLEMAND, Mme Ségolène AMIOT, M. Pouria AMIRSHAHI, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, Mme Christine ARRIGHI, Mme Clémentine AUTAIN, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, Mme Delphine BATHO, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Karim BEN CHEIKH, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Arnaud BONNET, M. Nicolas BONNET, M. Mickaël BOULOUX, M. Idir BOUMERTIT, M. Philippe BRUN, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Éric COQUEREL, M. Alexis CORBIÈRE, M. Jean-François COULOMME, M. Hendrik DAVI, M. Arthur DELAPORTE, Mme Alma DUFOUR, M. Emmanuel DUPLESSY, M. Inaki ECHANIZ, Mme Karen ERODI, Mme Elsa FAUCILLON, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Charles FOURNIER, M. Perceval GAILLARD, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Damien GIRARD, M. Julien GOKEL, Mme Clémence GUETTÉ, M. Steevy GUSTAVE, Mme Zahia HAMDANE, Mme Catherine HERVIEU, Mme Mathilde HIGNET, M. Paul CHRISTOPHLE, M. Bastien LACHAUD, Mme Julie LAERNOES, M. Tristan LAHAIS, M. Maxime LAISNEY, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Jean-Paul LECOQ, M. Aurélien LE COQ, Mme Murielle LEPVRAUD, M. Gérard LESEUL, M. Benjamin LUCAS-LUNDY, M. Damien MAUDET, M. Emmanuel MAUREL, Mme Marianne MAXIMI, Mme Estelle MERCIER, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Marcellin NADEAU, Mme Danièle OBONO, Mme Julie OZENNE, Mme Mathilde PANOT, M. Stéphane PEU, M. Sébastien PEYTAVIE, M. René PILATO, M. Dominique POTIER, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, Mme Claudia ROUAUX, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, Mme Sandrine ROUSSEAU, M. François RUFFIN, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Eva SAS, Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Danielle SIMONNET, M. Aurélien TACHÉ, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. David TAUPIAC, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, M. Boris TAVERNIER, Mme Dominique VOYNET,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’annonce, le 10 septembre dernier, du placement en redressement judiciaire de l’usine Vencorex de Pont‑de‑Claix (Isère) fait courir un risque majeur pour la survie de la filière de la chimie en Isère, avec des impacts en cascade en matière de souveraineté, d’emploi et d’environnement.
En effet, grand nombre d’entreprises dépendent de Vencorex, incluant certaines dont l’activité est stratégique et assure la souveraineté nationale dans les domaines de la défense, de l’industrie spatiale, du nucléaire ou du sanitaire. Ainsi, de l’acide chlorhydrique produit par Vencorex dépend la production de chlorure ferrique, un agent de traitement pour la potabilité de l’eau fabriqué par Feralco, acteur majeur dans le domaine puisqu’il participe à l’approvisionnement en eau potable de plus de 130 millions de personnes en Europe.
Quant à la mine de sel de Hauterives (Drôme), elle a pour unique débouché l’usine Chloralp, appartenant à 100 % à Vencorex. Ce sel, d’une qualité remarquable, est transporté par saumoduc, sans émission de gaz à effet de serre, jusqu’à la plateforme de Pont‑de‑Claix, où il est purifié et cristallisé par Vencorex qui l’autoconsomme et le revend en partie à Arkema Jarrie, à qui elle fournit du sel pour que l’entreprise en fasse du chlore. Le chlore et le perchlorate de sodium sont la source unique d’approvisionnement d’Ariane Group pour la fabrication du propergol chargé dans les boosters d’Ariane 6 et dans les missiles stratégiques M51 équipant nos forces de dissuasion nationale. Le chlore produit sur la plateforme de Jarrie sert également à la fabrication d’éponges de zirconium, utilisées par Framatome dans les réacteurs nucléaires civils.
Enfin, le chlore produit par Vencorex sert à la production des fluides diélectriques Jarylec®. Ces fluides techniques, dont il n’y a pas d’équivalent produit en Europe, servent au refroidissement des condensateurs et transformateurs de RTE mais aussi de toutes les chaudières industrielles. Il s’agit, là encore, de conserver la souveraineté sur une production stratégique afin de ne pas dépendre de l’Asie pour le transport de l’électricité sur le sol français.
La fermeture de cette entreprise menacerait de détruire toute une filière industrielle implantée depuis des décennies dans le sud de l’agglomération grenobloise sur les plateformes de Jarrie et Pont‑de‑Claix (Arkema, Suez, Air Liquide, Solvay, Seqens,…), avec des impacts majeurs en termes d’emploi comme de souveraineté à l’échelle nationale et européenne. Les deux électrolyses situées à Pont‑de‑Claix et Jarrie, financées à hauteur de 80 millions d’euros de fonds publics, risquent de fermer. C’est 14 % de la capacité installée de chlore en France, qui disparaitrait avec elles.
La fermeture de Vencorex affecterait très durement les différentes entreprises de la plateforme de Jarrie et de Pont‑de‑Claix, qui fonctionnent de manière profondément interdépendante. Sur la plateforme de Pont‑de‑Claix, l’interdépendance est vitale : Vencorex concentre 80 % des emplois directs (400 salariés) et travaille en lien avec Solvay (30 salariés), Suez et son incinérateur de déchets (50 salariés), Air liquide (25 salariés) ou encore Seqens / Feralco (25 salariés). La fermeture de Vencorex engendrerait donc des conséquences en chaîne pour l’ensemble de la filière chimique du sud grenoblois. Le groupe Arkema a d’ailleurs profité de la fragilisation de la plateforme pour annoncer la fermeture du secteur sud de l’entreprise et supprimer 154 emplois directs, sans compter les sous‑traitants. La disparition de la chimie dans le sud grenoblois serait une catastrophe pour l’économie locale et pourrait à moyen terme entraîner la perte de 5 000 emplois.
Par‑delà ses impacts économiques directs, le secteur de la chimie fait partie des secteurs‑clés de la transition écologique française. Premier secteur industriel en termes d’émissions de gaz à effet de serre, elle représente près de 22 mégatonnes de CO2 émises en 2019, soit près de 5 % des émissions de la France. Verdir ce secteur dans un contexte de hausse de la demande et de concurrence internationale féroce est un véritable défi, qui ne peut faire l’économie d’un pilotage stratégique, si besoin assuré au moins temporairement par l’État français. À l’inverse, assumer l’externalisation de la production de produits stratégiques ‑comme le chlore ou la soude de haute qualité fournis localement par Vencorex, avec une empreinte carbone réduite- dans des pays peu soucieux des normes environnementales et sociales, contribuerait à l’aggravation de la crise climatique et de l’effondrement global de la biodiversité.
Une autre source d’inquiétude liée à l’arrêt des activités de Vencorex, et donc potentiellement de Chloralp, est l’exploitation des mines de sel à Hauterives. Les conséquences environnementales de la fin de cette exploitation seraient fortement préoccupantes. Un arrêt abrupt et sans préparation s’accompagnerait d’un risque accru de déséquilibre géologique qui pourrait entraîner des effondrements, le stockage actuel arrivant déjà à saturation.
Au‑delà de la pérennité de Vencorex, les plateformes chimiques du sud‑grenoblois offrent des potentiels uniques pour mettre en œuvre la nécessaire décarbonation de la chimie européenne et développer de nouvelles filières stratégiques comme la filière photovoltaïque ou la purification du silicium. Pour cela, il est vital de préserver des chaînes d’approvisionnement européennes fiables, en sortant d’une forme de naïveté commerciale coûteuse pour notre industrie et en faisant respecter le droit de la concurrence. La France et l’Europe doivent pouvoir disposer d’un contrôle renforcé sur les chaînes de valeur stratégiques critiques pour la souveraineté européenne, comme la production de chlore.
L’urgence de cette situation appelle donc à une réponse rapide de l’État, afin de trouver des solutions de reprise pour cette entreprise. La nationalisation temporaire permettrait de conforter l’activité sur la plateforme chimique et d’assurer un changement de cap pour assurer la viabilité de l’entreprise et la restructuration urgente de la plateforme afin d’éviter l’effondrement d’un grand bassin de la chimie française. Alors que Vencorex est au bord du gouffre, l’État doit jouer un rôle stratège et planificateur, en préservant l’industrie chimique iséroise.
À l’heure de la réindustrialisation de la France, il est impensable d’abandonner le secteur de la chimie au profit d’une concurrence déloyale. Il s’agit d’un enjeu de souveraineté nationale, mais aussi de préservation de l’emploi et du bassin de compétences local, et de sauvegarde du climat.
La solution de la nationalisation temporaire et stratégique constitue la piste la plus solide de sauvegarde des activités de Vencorex et deux plateformes chimiques du bassin grenoblois. Cette nationalisation permettrait de garantir la continuité des activités de la plateforme chimique et d’élaborer un plan de transition industrielle, fondé sur un modèle économique adapté et pérenne.
La nationalisation est aujourd’hui la seule solution permettant de garantir :
– la sortie de la saumure de la mine de Hauterives, à destination des électrolyses de Pont‑de‑Claix et de Jarrie ;
– le fonctionnement des électrolyses de Pont‑de‑Claix et Jarrie et donc le maintien de la production de chlore liquide ;
– la vente de soude, qui permet de contribuer à l’équilibre financier ;
– la restructuration de la plateforme de Pont‑de‑Claix afin d’en réduire les coûts d’exploitation ;
– l’accueil de nouvelles entreprises sur les plateformes chimiques ;
– la recherche de partenariats de recherche pour faire de l’unité pilote industriel « sous cocon » un centre de recherche.
La nationalisation représente certes un coût pour les finances publiques. Ce coût serait cependant moindre que le coût de dépollution du site, additionné à celui des impacts du démembrement du groupe sur la filière chimique française.
En ce sens, l’article 1er prononce la nationalisation de la société Vencorex France afin de garantir une propriété publique temporaire de l’entreprise, la protégeant d’une liquidation accélérée qui se révélerait défavorable à la souveraineté de notre pays. Une nationalisation temporaire est de nature à maintenir l’activité de la plateforme chimique, et de garantir à l’État le moyen de construire avec des repreneurs un projet industriel cohérent.
L’article 2 instaure une commission ad hoc telle que mise en place dans la loi de nationalisation du 11 février 1982, composée de différents membres, dont la mission sera de superviser la reprise par l’État des activités de « Vencorex France ».
L’article 3 définit les modalités de gouvernance provisoire qui régissent la gestion de la société Vencorex France jusqu’à l’application de la nationalisation. Lorsque la nationalisation sera effective, la société sera régie par la loi de 1983 relative à la démocratisation du secteur public.
L’article 4 vient préciser de quelles manières les contrats de travail et la gestion des personnels est organisée durant toute la durée de la nationalisation. Il propose un renvoi par décret qui devra garantir une gestion juste et équilibrée des personnels jusqu’à la fin de la nationalisation temporaire.
Enfin, l’article 5 vise à exiger qu’au‑delà un délai d’un an après la nationalisation de Vencorex France, un projet de transition industrielle de l’entreprise nationalisée soit présenté devant le Parlement. Ce projet aura pour objectifs de présenter les modalités de fin de nationalisation de la société mais également devra fournir un plan sérieux de reprise de l’activité industrielle. Cet article vise à assurer le caractère stratégique et temporaire de la nationalisation de Vencorex France.
L’article 6 gage la présente proposition de loi.
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proposition de loi
Article 1er
I. – La société « Vencorex France » est nationalisée.
II. – Les modalités d’application du présent article sont définies par décret en Conseil d’État.
Article 2
Une commission administrative nationale d’évaluation composée du Premier président de la Cour des comptes, du gouverneur de la Banque de France, du président de la section des finances du Conseil d’État, du président de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation et d’un membre du Conseil économique, social et environnemental désignés par le président de cette assemblée, est chargée de superviser la reprise des activités de la société « Vencorex France », dans les conditions définies à l’article 1er de la présente loi.
Article 3
Jusqu’à la réunion du nouveau conseil d’administration, pour un délai ne pouvant excéder six mois, un administrateur général est nommé dans chaque société nationalisée par décret en conseil des ministres. Il assure l’administration et la direction générale de la société et dispose des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société. Les présidents des conseils d’administration, les administrateurs, les directeurs généraux, les membres du directoire ou du conseil de surveillance restent en fonction jusqu’à la nomination, dans les plus brefs délais, de l’administrateur général.
Les organes représentatifs des salariés restent en fonction et exercent la plénitude de leurs droits jusqu’à leur renouvellement.
Les commissaires aux comptes demeurent en fonction jusqu’à la réunion de l’assemblée générale qui suit la publication de la présente loi.
Article 4
Les contrats de travail des personnels en activité affectés dans un emploi au sein de la société « Vencorex France » sont transférés à l’État. La gestion administrative de ces personnels est définie par décret en Conseil d’État.
Article 5
I. – Un an au plus tard après la promulgation de la présente loi, un comité stratégique, composé du ministre chargé de l’économie et des finances, de quatre parlementaires, des représentants du conseil d’administration de la société « Vencorex France », des représentants des organisations syndicales de salariés de la société, du président de l’agglomération et des maires des communes concernés, présente un plan de transition industrielle pour la société et ses filiales.
Ce projet peut faire l’objet d’un débat au Parlement.
II. – Trois ans au plus tard à compter de la promulgation de la présente loi, le comité stratégique mentionné au I, présente l’état d’avancement du plan de transition industrielle, notamment sur la recherche de potentiels nouveaux actionnaires.
Cette présentation peut faire l’objet d’un débat au Parlement.
III. – Les modalités de constitution de ce comité stratégique sont fixées par décret.
Article 6
La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.