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N° 982

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 février 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à instituer un moratoire de cinq années pour l’entrée en application des zones à faibles émissions - mobilité,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Sylvie BONNET, M. Alexandre PORTIER, M. Thibault BAZIN, Mme Valérie BAZIN-MALGRAS, M. Thierry BENOIT, M. Jean-Didier BERGER, M. Jean-Yves BONY, M. Ian BOUCARD, M. Jean-Luc BOURGEAUX, M. Jean-Michel BRARD, M. Xavier BRETON, M. Hubert BRIGAND, Mme Blandine BROCARD, M. Joël BRUNEAU, M. Fabrice BRUN, Mme Françoise BUFFET, M. Pierre CORDIER, Mme Josiane CORNELOUP, M. Laurent CROIZIER, M. Vincent DESCOEUR, Mme Sylvie DEZARNAUD, M. Fabien DI FILIPPO, M. Julien DIVE, M. Yannick FAVENNEC-BÉCOT, M. Philippe GOSSELIN, Mme Justine GRUET, M. Patrick HETZEL, M. Philippe JUVIN, M. Corentin LE FUR, M. Guillaume LEPERS, M. Eric LIÉGEON, M. Thierry LIGER, M. Emmanuel MANDON, M. Olivier MARLEIX, Mme Alexandra MARTIN, M. Laurent MAZAURY, Mme Sophie METTE, Mme Frédérique MEUNIER, M. Jérôme NURY, Mme Christelle PETEX, Mme Maud PETIT, M. Nicolas RAY, M. Jean-Pierre TAITE, M. Jean-Pierre VIGIER, M. Philippe VIGIER, M. Laurent WAUQUIEZ, M. Nicolas FORISSIER, M. Michel HERBILLON, Mme Anne-Laure BLIN, Mme Michèle TABAROT, Mme Félicie GÉRARD, M. François-Xavier CECCOLI, M. Jean-Luc WARSMANN, M. Stéphane VIRY, M. Max MATHIASIN, Mme Delphine LINGEMANN, M. Aurélien PRADIÉ, M. Christophe NAEGELEN, M. Paul MOLAC, M. Romain DAUBIÉ,

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Paris et Strasbourg annonçant vouloir précéder le calendrier de mise en place des zones à faibles émissions (ZFE) à grand renfort de campagnes de communication et qui finalement font marche arrière, Amiens ou Perpignan qui bénéficient d’une dérogation pour appliquer ce même calendrier, Le Mans ou Orléans qui affichent une dispense, Béthune ou Valenciennes qui restent indécises, Bayonne ou Metz qui s’accordent un petit délai…

La plus grande confusion règne autour de l’instauration d’une interdiction progressive de circuler des véhicules les plus anciens dans les métropoles de plus de 150 000 habitants, dans le cadre des ZFE créées par la loi n° 2019‑1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités. Le calendrier d’application, qui découle de la loi n° 2021‑1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience, se révèle en effet inobservable car en décalage avec la capacité financière de millions d’automobilistes de remplacer leur véhicule ne répondant pas aux normes antipollution les plus récentes, en conséquence devenu indésirable dans ces métropoles.

D’ailleurs, douze métropoles concernées depuis le 1er janvier 2025 par la première étape de mise en place de cette mesure (consistant à interdire la circulation des véhicules à vignette Crit’Air « NC » pour non classés, c’est‑à‑dire les voitures particulières d’avant 1997, les utilitaires d’avant octobre 1997 et les poids lourds d’avant octobre 2001) ne l’appliqueront pas dans les faits – pour l’instant –, malgré la loi, tout en oscillant entre injonctions contradictoires et volte‑face de dernière minute.

À titre d’exemple, l’arrêté ZFE de la métropole de Dijon dont l’article 1er dispose : « À compter du 1er janvier 2025, l’ensemble des voies de circulation de la Métropole de Dijon situé à l’intérieur de la rocade, est dorénavant inclus en zone à faibles émissions mobilités […]. » pour en venir à l’article 3 qui suspend l’application en ces termes : « De manière temporaire, la mesure instaurée à l’article 1er ne s’applique pas, à titre dérogatoire, à l’ensemble des véhicules. »

La métropole de Toulon, pour sa part, informait ses habitants des interdictions de circulation en novembre 2024 (modèles Crit’Air 5 et NC bannis de 8 h à 20 heures du lundi au vendredi)… pour y renoncer fin décembre, avec l’aval de la préfecture du Var, qui souligne que la loi fixe des échéances, « mais sans cadre coercitif » (bfmtv.com, 26/12/2024).

Au‑delà du caractère abstrus de cette mesure (aucune institution n’ayant pris soin, par exemple, d’expliquer aux propriétaires de véhicules ayant passé avec succès le contrôle technique, lequel comprend aujourd’hui de nombreux points de vérification antipollution, pourquoi ils ne seraient plus autorisés à circuler dans les ZFE), elle se révèle donc également socialement inacceptable. Une partie de la population risque en effet d’avoir le sentiment de se voir reprocher un « délit de pauvreté » : trop pauvre pour avoir la bonne voiture qui donne le droit de circuler !

Dès l’été 2021, la Ligue de défense des conducteurs démontrait ainsi, dans une étude intitulée « ZFE, la grande cacophonie », que les restrictions de circulation dans les ZFE menaçaient de se transformer en machines à écarter des grandes villes les Français les plus démunis. Toujours en 2021, Carlos Tavares, alors directeur général du groupe automobile Stellantis, tirait lui aussi la sonnette d’alarme dans une interview au Financial Times : « Si nous faisons une mobilité future seulement abordable pour les gens riches, nous aurons une flotte de vieilles voitures continuant à émettre […]. Si on ne conserve pas le côté abordable, on impactera la liberté de mobilité. Ce sera un gros problème pour les démocraties modernes. »

Parallèlement, la verbalisation automatique pour non‑respect des ZFE s’annonce pour 2026. Ce répit accordé aux conducteurs n’est que le temps nécessaire pour relever le défi technologique qui consiste à croiser les bases de données nationales et locales qui permettront de déterminer si les propriétaires des véhicules concernés doivent recevoir une amende… En revanche, lorsque les procès‑verbaux commenceront à affluer (certaines ZFE s’apprêtant même à verbaliser les voitures stationnées), nul doute que les erreurs elles aussi afflueront, comme le laisse entendre le « schéma de principe du contrôle automatisé » des ZFE… Malgré les risques et l’indignation que ces amendes ne manqueront pas de susciter dans la population (en particulier si leurs véhicules ont passé le contrôle technique et notamment, les points « antipollution »), les collectivités, dont les besoins financiers ne sont plus à démontrer, auront le plus grand mal à résister à cette manne : un décret publié le 31 décembre 2024 détaille en effet les conditions d’affectation des recettes générées. En attendant, de rares PV (68 euros pour les véhicules légers, 135 euros pour les poids lourds) sont dressés dans le cadre de contrôles de police.

Les automobilistes au budget le plus contraint s’apprêtent donc à subir une double peine : être exclu et se voir condamné à régler une contravention pour avoir, malgré tout, circulé dans une de ces zones.

Aux détracteurs des ZFE, l’on pourrait opposer l’urgence de santé publique. Or, le site mieuxrespirerenville.gouv.fr souligne que sur les vingt dernières années, la qualité de l’air s’est très largement améliorée en France : -60 % pour les émissions d’oxydes d’azote (NOx) et -53 % pour les particules fines ([1]). De son côté, la Métropole du Grand Paris, sur son site internet, précise qu’entre 2005 et 2021, les NOx ont baissé de 62 % (-68 % pour le transport routier, qui compte pour 43 % de ces émissions) et les particules fines PM10 de 42 % sur la même période (-66 % pour le transport routier, qui compte pour 20 % de ces émissions) ([2]). Nous pouvons donc noter que ces progrès en matière d’émissions à l’échappement ont très largement précédé la mise en place des ZFE et qu’avec le remplacement naturel du parc automobile et l’arrivée progressive de véhicules 100 % électriques, cette tendance ne pourra que se confirmer. D’ailleurs, pour les seules particules fines, l’Ademe soulignait dès 2022 que plus de la moitié des émissions des véhicules routiers ne proviennent plus de l’échappement ([3]).

Au problème des émissions de particules liées à l’abrasion des freins, l’industrie automobile est en train de répondre, notamment grâce au freinage régénératif mais aussi grâce à une technologie (développée par Mercedes) intégrant le système de freinage mécanique au module de propulsion, permettant de capturer les particules avant leur émission ([4]).

Reste le problème des particules provenant de l’abrasion des pneumatiques sur la chaussée. L’entretien des routes devient ici fondamental et la responsabilité de l’État et des collectivités locales ne peut être écarté.

Les ZFE s’avèrent en conclusion trop récentes pour s’attribuer le mérite de l’amélioration de la qualité de l’air, processus largement entamé avant leur mise en place. Parallèlement, l’injustice sociale qu’elles instaurent dégrade grandement l’image vertueuse à laquelle elles souhaiteraient être associées.

Dès lors, si l’amélioration de la qualité de l’air est une préoccupation très largement partagée, la précipitation ne saurait remplacer le temps de la transition. Et le bon sens de conduire à se donner le temps nécessaire à cette transition. Comme le dit Emmanuel, jeune retraité établi dans l’Eurométropole de Lille : « tout cela va beaucoup trop vite, rien n’est prêt et presque la moitié des Français vont devoir changer de voiture. À titre personnel, je suis bien conscient que l’automobile devient un problème majeur du point de vue de la pollution en ville, mais je voudrais néanmoins voir le dispositif de la ZFE repoussé de cinq ans. » ([5])

Tel est, Mesdames, Messieurs, l’objet de la présente proposition de loi que nous vous demandons de bien vouloir adopter.

 


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proposition de loi

Article 1er

L’application des articles L. 2213‑4‑1 et L. 2213‑4‑2 du code général des collectivités territoriales est suspendue pour une durée de cinq années à compter de la promulgation de la présente loi.

Article 2

L’application des articles 107, 123 et 124 de la loi n° 2021‑1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets est suspendue pour une durée de cinq années à compter de la promulgation de la présente loi.

 

 


([1])  Informations qualité de l'air Zone ZFE | Mieux Respirer en Ville

([2])  Qualité de l'air | Métropole du Grand Paris

([3])  Plus de la moitié des particules fines émises par les véhicules routiers récents ne proviennent plus de l’échappement - Agence de la transition écologique

([4])  Mercedes. Bientôt des freins sans disques, sans étriers et sans plaquettes ?

([5])  La Ligue de Défense des Conducteurs : « Sortir du dogme anti-voiture. Sortir de l’échec de la sécurité routière – 35 pages de témoignages », p. 38, février 2022.