N° 1078
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 mars 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à l’information des consommateurs sur la présence de résidus d’hexane et son interdiction dans les denrées alimentaires et les aliments pour animaux,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Richard RAMOS,
député.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le n‑hexane (ou hexane) est une substance pétrochimique, considéré comme le plus nocif des hydrocarbures saturés en C selon l’institut national de recherche et de sécurité (INRS) (fiche toxicologique numéro 113). L’hexane commercial provient de la distillation du pétrole ou du gaz naturel. Il correspond à un mélange d’hydrocarbures saturés en C dont le n‑hexane présent à des concentrations variables. Il est utilisé dans des procédés industriels, alimentaires et non alimentaires depuis les années 1970.
La toxicité de l’hexane a été découverte dans les années 1960 lorsque des ouvriers de la chaussure ont développé des polyneuropathies et d’autres maladies neurologiques. Il est classé comme cause de maladie professionnelle au moins en France (depuis février 1973 – régime général tableau 59), en Italie, en Allemagne, au Japon.
Cette toxicité a été rappelée notamment par une étude de 2022 menée par des chercheurs de l’INRAE ([1]). Il est irritant pour les muqueuses oculaire et respiratoire. En cas d’exposition répétée, les intoxications les plus graves sont le fait du n‑hexane. Elles se traduisent principalement par des atteintes du système nerveux, en particulier des polynévrites périphériques sensitivo‑motrices. En outre, « des études récentes ont suggéré de nouveaux effets toxiques de ce solvant, y compris un lien possible entre l’exposition au n‑hexane et la maladie de Parkinson ». Il est également toxique pour les systèmes reproductifs, masculins comme féminins. L’exposition l’hexane a donc un impact connu sur la fertilité des populations (dont sont aujourd’hui victimes 15 à 25 % des couples en France) ([2]).
L’Europe voit se multiplier les initiatives visant à restreindre l’utilisation de l’hexane comme solvant d’extraction dans la production de denrées alimentaires et d’aliments pour animaux. Ainsi, en décembre 2021, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) ([3]) a validé le classement de l’hexane comme neurotoxique prouvé pour l’humain (H372) en cas d’exposition répétée ou prolongée. En France, l’ Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a repris cette classification dans son avis en janvier 2023 ([4]).
Le 20 août 2024, la conclusion du RMOA (Risk Management Options Assessement, analyse de gestion de risque) de l’Allemagne a évoqué la « neurotoxicité sévère » du n‑hexane et demandé son inclusion dans la « candidate list » des substances extrêmement préoccupantes avec un encadrement règlementaire plus strict, c’est‑à‑dire son inscription sur la liste noire des substances les plus toxiques ([5]).
Le 13 septembre 2024, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a publié un rapport technique concluant à la nécessité de réévaluer la sécurité de l’utilisation de l’hexane en tant que solvant d’extraction dans la production de denrées alimentaires et d’ingrédients alimentaires ([6]). Le communiqué relayant la publication de ce rapport technique indique qu’« une évaluation de l’exposition fondée sur les limites réglementaires a montré que l’exposition des nourrissons, des enfants en bas âge et des autres enfants peut être plus élevée que celle envisagée » et que « les informations fournies par l’étude de 90 jours sur des rats réalisée par le SCF ne sont plus jugées suffisantes pour conclure de manière adéquate à la sécurité de l’hexane ».
Le 30 septembre 2024, l’annexe VI du règlement (CE) n° 1272/2008 a été modifiée afin d’intégrer le n‑hexane parmi les substances classées STOT RE 1 H372 (système nerveux), classification qui sera applicable au plus tard le 1er mai 2026 ([7]).
Le 18 février 2025, la Slovénie a informé l’ECHA de sa volonté « d’identifier l’hexane comme une substance extrêmement préoccupante conformément à l’article 57, point f), du règlement (CE) n° 1907/2006 (REACH), car il s’agit d’une substance aux propriétés neurotoxiques pour laquelle il existe des preuves scientifiques d’effets graves probables sur la santé humaine, ce qui donne lieu à un niveau de préoccupation équivalent à celui des substances énumérées aux points a) à e) de l’article 57 du règlement REACH. » ([8])
Considérant ce qui précède, la présente proposition de loi vise à informer et protéger la population des risques liés à l’utilisation de l’hexane comme solvant d’extraction dans la production de denrées alimentaires, d’aliments pour animaux, et dans la fabrication d’arômes en permettant le déploiement d’une série de mesures prioritaires à la hauteur des enjeux en matière de santé publique et de préservation de l’environnement.
C’est ainsi que la dangerosité de l’utilisation de l’hexane comme solvant d’extraction dans la production de denrées alimentaires a été relayée au mois d’octobre par divers médias à la suite d’une enquête publiée par le journal Libération ([9]).
L’objet de la présente proposition de loi est donc de rendre obligatoire l’insertion d’un avertissement sanitaire et de suspendre pour les populations les plus à risques, puis d’interdire progressivement, au nom du principe de précaution, l’hexane dans les denrées alimentaires et les aliments pour animaux.
– 1 –
proposition de loi
Article 1er
Le chapitre III du titre III du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique est complété par un article L. 2133‑3 ainsi rédigé :
« Art. L. 2133‑3. – Les unités de conditionnement, les emballages extérieurs ou, pour le vrac, la fiche technique et le certificat qualité, des produits destinés à l’alimentation humaine et animale contenant un ingrédient ou un additif obtenu par un procédé mettant en œuvre de l’hexane et des produits issus d’animaux nourris avec un ingrédient ou un additif obtenu par un procédé mettant en œuvre de l’hexane, portent dans les conditions fixées par un arrêté du ministre chargé de la santé :
« 1° Un avertissement sanitaire apposé sur l’emballage et lisible comportant la mention “peut contenir de l’hexane” ;
« 2° Un message d’avertissement à caractère sanitaire préconisant l’absence de consommation des produits susvisés par les femmes enceintes ;
« 3° Un message d’avertissement à caractère sanitaire préconisant l’absence de consommation des produits susvisés par les nourrissons et enfants en bas âges au sens de l’article 2.2 du Règlement (UE) n° 609/2013 du Parlement européen et du Conseil du 12 juin 2013 concernant les denrées alimentaires destinées aux nourrissons et aux enfants en bas âge, les denrées alimentaires destinées à des fins médicales spéciales et les substituts de la ration journalière totale pour contrôle du poids ;
« 4° Un message d’avertissement à caractère sanitaire préconisant l’absence de consommation des produits susvisés par les personnes atteintes de maladies neuro‑dégénératives ou de diabète. »
Article 2
Tout industriel ou transformateur alimentaire est tenu de mesurer les niveaux de résidus d’hexane présents dans les produits qu’il fabrique ou transforme. Ces mesures doivent être réalisées par des laboratoires accrédités selon des méthodes validées à redéfinir afin d’atteindre un niveau de détection de l’ordre du nanogramme par kilogramme. Les résultats de ces analyses doivent être conservés pendant deux années et être mis à la disposition des autorités compétentes sur simple demande. Un décret en Conseil d’État précise les modalités du présent article.
Article 3
À compter de la date de publication de la présente loi, la mise sur le marché à destination des nourrissons et enfants en bas âges au sens de l’article 2.2 du Règlement (UE) n° 609/2013 du 12 juin 2013 du Parlement européen et du Conseil du 12 juin 2013 concernant les denrées alimentaires destinées aux nourrissons et aux enfants en bas âge, les denrées alimentaires destinées à des fins médicales spéciales et les substituts de la ration journalière totale pour contrôle du poids, la restauration périscolaire, scolaire, pénitentiaire ou du secteur médico‑social ainsi que de la restauration et de la nutrition hospitalière de produits contenant un ingrédient ou un additif obtenu par un procédé mettant en œuvre de l’hexane ou issus d’animaux nourris avec un ingrédient obtenu par un procédé mettant en œuvre de l’hexane est suspendue dans les conditions prévues à l’article L. 521‑17 du code de la consommation pour une durée d’un an.
Article 4
La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes est chargée de contrôler l’application de la présente loi. En cas d’infraction, les établissements concernés peuvent faire l’objet de sanctions administratives et pénales prévues par le code de la santé publique.
Article 5
I. – Après le chapitre III du titre II du livre III de la première partie du code de la santé publique, il est inséré un chapitre III bis ainsi rédigé :
« Chapitre III bis
« Interdiction de production, d’importation et de mise sur le marché de produits contenant un ingrédient ou un additif obtenu par un procédé mettant en œuvre de l’hexane ou issus d’animaux nourris avec un ingrédient obtenu par un procédé mettant en œuvre de l’hexane
« Art. L. 1323‑2. – I. – La production, hors celle réalisée à des fins d’exportation, l’importation ou la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux de produits destinés à l’alimentation humaine, en particulier à destination des nourrissons et enfants en bas âges au sens de l’article 2.2 du Règlement (UE) n° 609/2013 du Parlement européen et du Conseil du 12 juin 2013 concernant les denrées alimentaires destinées aux nourrissons et aux enfants en bas âge, les denrées alimentaires destinées à des fins médicales spéciales et les substituts de la ration journalière totale pour contrôle du poids, et à usage cosmétique, nutraceutique et pharmaceutique étiquetés dans les conditions prévues à l’article L. 2133‑3 du présent code est interdite à compter du 1er janvier 2026. »
II. – Avant le 1er janvier 2026, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’avancement de la transformation des processus industriels utilisant l’hexane comme solvant d’extraction et dans la fabrication d’arômes.
Article 6
L’État confie à l’Agence de services et de paiement la gestion des aides qu’il apporte aux opérations visant à faciliter la transition vers des procédés et des produits sans hexane. Ces aides sont attribuées aux agriculteurs utilisateurs de tourteaux contenant de l’hexane, aux industriels utilisateurs d’hexane et bénéficient en priorité aux microentreprises et aux petites et moyennes entreprises au sens de l’article 51 de la loi n° 2008‑776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie. Un décret précise les modalités d’application du présent article.
Article 7
L’article L. 511‑13 du code de la consommation est complété par un 7° ainsi rédigé :
« 7° Du chapitre III bis du titre II du livre III de la première partie du code de la santé publique et aux textes pris pour son application. »
Article 8
La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par :
1° La création d’une taxe perçue auprès des producteurs, des importateurs et des personnes mettant sur le marché de produits contenant un ingrédient ou un additif obtenu par un procédé mettant en œuvre de l’hexane ou issus d’animaux nourris avec un ingrédient obtenu par un procédé mettant en œuvre de l’hexane ;
2° La création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
([1]) Christian Cravotto, Anne-Sylvie Fabiano-Tixier, Ombéline Claux, Maryline Abert-Vian, Silvia Tabasso, et al.. Towards Substitution of Hexane as Extraction Solvent of Food Products and Ingredients with No Regrets. Foods, 2022, 11 (21), pp.3412. ⟨10.3390/foods11213412⟩. ⟨hal-04006906⟩
([2]) Enquête nationale périnatale (ENP) et de l’Observatoire épidémiologique de la fertilité en France (Obseff), 2019
([6]) EFSA (European Food Safety Authority), Comandella D, Bignami M, Fürst P, Grob K, Mengelers M, Cascio C, Xiftou K, Croera C and Lambré C, 2024. Technical Report on the need for re-evaluation of the safety of hexane used as an extraction solvent in the prod.
([7]) Règlement délégué (UE) 2024/2564 de la commission du 19 juin 2024 modifiant le règlement (CE) n° 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne la classification et l’étiquetage harmonisés de certaines substances.
[8] https://echa.europa.eu/fr/registry-of-svhc-intentions/-/dislist/details/0b0236e18b416b7a#msdynttrid=KWQ8mph-Tk55gGlBK96gsimBsYa253lJGRyFepFnUKI
[9] Vidéo publiée par Konbini et Climax Fanzine, interview de Richard Ramos sur France 3 Centre Val de Loire intitulée « Du pétrole dans les assiettes », Article de Libération du 24 octobre 2024 intitulé « Du pétrole dans nos assiettes ? Nos révélations sur un solvant invisible utilisé depuis des décennies qui inquiète les experts », Émission Le brief politique de Franceinfo publiée le 25 octobre 2024, Article de La Dépêche du 26 octobre 2024 intitulé « "Un scandale de santé publique de la plus haute gravité…" Que sait-on sur la présence d’hexane, un dérivé du pétrole, dans nos aliments ?, Article « Du pétrole dans nos assiettes : huile de colza, margarine, lait infantile… un inquiétant solvant présent dans ces produits du quotidien » publié par Midi Libre le 25 octobre 2024, Article « Pourquoi l’hexane, un hydrocarbure caché dans nos assiettes, est-il potentiellement dangereux ? » publié par l’Humanité le 25 octobre 2024.