N° 1079

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 mars 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer l’assurabilité des biens des collectivités territoriales et de leurs groupements,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Christelle D’INTORNI, M. Sébastien CHENU, M. Éric MICHOUX, M. Bernard CHAIX, M. Jérôme BUISSON, Mme Julie LECHANTEUX, M. Sébastien HUMBERT, Mme Marine HAMELET, Mme Alexandra MASSON, Mme Brigitte BARÈGES, M. Marc CHAVENT, Mme Michèle MARTINEZ, M. Joseph RIVIÈRE, M. Romain BAUBRY, M. Christophe BARTHÈS, M. Thibaut MONNIER, M. Eddy CASTERMAN, Mme Anne SICARD,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les collectivités territoriales jouent un rôle essentiel dans la vie sociale et économique de notre pays, assurant des services publics de proximité indispensables tels que les crèches, écoles, gymnases et centres sociaux. Cependant, ces dernières années, leur capacité à assurer leurs biens a été mise à rude épreuve en raison de plusieurs facteurs : le dérèglement climatique, les tensions sociales accrues, et les déséquilibres structurels du marché de l’assurance.

Un rapport d’avril 2024, réalisé par MM. Alain Chrétien et Jean‑Yves Dages, a mis en lumière plusieurs problématiques cruciales :

1. Un déséquilibre structurel de la tarification dû à un oligopole progressivement imposé aux élus.

2. Une rigidité dans le dialogue empêchant une expression optimisée des besoins préalable à la conclusion du contrat.

3. Une méconnaissance handicapante du patrimoine à assurer.

Face à ces défis, les collectivités rencontrent des difficultés croissantes pour accéder à une couverture assurantielle adéquate. Les résiliations brutales de contrats, la hausse parfois vertigineuse des primes et des franchises, ainsi que l’absence de réponse aux appels d’offres mettent en péril leur capacité à remplir leurs missions. Partout en France, les maires concernés oscillent entre sidération, colère et incompréhension, dans un mandat déjà marqué par de nombreuses crises.

Le dérèglement climatique et les mouvements sociaux de ces dernières années ont certes mis à mal l’équilibre économique des assureurs, mais les collectivités ne sont pas des clientes comme les autres. Elles ont en charge des missions de service public de proximité indispensables à la vie sociale. Sans assurance, c’est tout un pan de notre société qui est fragilisé.

L’analyse des données comptables révèle que les dépenses d’assurance sont à 90 % portées par le bloc communal. Entre 2015 et 2023, ces dépenses ont augmenté moins vite que l’inflation, malgré une hausse significative de 10,3 % en valeur en 2023. Cette année 2023 marque le début d’une phase de retournement des prix qui a conduit à l’exclusion de certaines collectivités, touchant indifféremment les communes selon leur taille.

Le marché de l’assurance des collectivités est structurellement moins rentable que celui des entreprises. Porté principalement par deux acteurs, Groupama et la SMACL, ce marché présente un ratio sinistre sur prime inférieur de 11 points à celui des entreprises. De plus, le poids des collectivités dans le marché de l’assurance de dommages aux biens est passé de 7 % à 5 % entre 2016 et 2023.

Le secteur de l’assurance joue un rôle crucial dans la protection des collectivités territoriales contre les risques divers. Cependant, face aux difficultés croissantes rencontrées par ces dernières pour obtenir une couverture adéquate, il devient impératif de mettre en place un mécanisme garantissant leur assurabilité.

Cette proposition de loi vise donc également à créer un médiateur public des assurances des collectivités doté d’un pouvoir d’injonction. Ce médiateur aurait pour mission principale d’intervenir lorsqu’une collectivité se trouve dans l’impossibilité de souscrire une assurance. S’inspirant du modèle de la Banque de France pour l’ouverture de comptes bancaires, le médiateur pourrait désigner une compagnie d’assurances qui serait alors dans l’obligation de couvrir la collectivité concernée.

Le médiateur aurait également le pouvoir d’imposer un prix d’assurance déterminé, basé sur un tarif de référence au mètre carré en fonction de la valeur du bien à assurer. Cette approche vise à garantir une tarification équitable et transparente.

En dernier recours, si les assureurs persistent dans leur refus ou en cas d’échec de la médiation, l’État assumerait le rôle d’assureur pour les biens considérés comme inassurables. Ce principe s’appuie sur la notion selon laquelle « l’État est son propre assureur ».

Cette réforme vise à garantir que toutes les collectivités territoriales puissent bénéficier d’une couverture d’assurance adéquate, renforçant ainsi leur résilience face aux risques et assurant la continuité des services publics essentiels à nos concitoyens.

L’évolution des risques naturels‑météorologiques et sociaux induit des tensions croissantes avec les assureurs. Plus des deux tiers des bâtiments des collectivités sont exposés aux risques d’inondation, de retrait‑gonflement des argiles ou de mouvements de terrain. Paradoxalement, le patrimoine bâti des communes ne semble pas davantage exposé aux risques naturels que celui des entreprises.

Face à ces défis, il est impératif d’agir pour garantir une égalité républicaine entre territoires et éviter une fracture entre collectivités bien assurées et celles laissées sans solution. Il en va de l’égalité républicaine des territoires et de la continuité des services publics essentiels.

Cette proposition de loi vise donc à instaurer un cadre législatif permettant d’améliorer l’accès des communes à des solutions d’assurance adaptées, tout en renforçant leur capacité à prévenir et gérer les risques. Elle s’articule autour de plusieurs axes majeurs :

1. La création d’un fonds national de solidarité pour l’assurabilité des collectivités territoriales.

2. Le renforcement de l’obligation d’inventaire patrimonial pour les collectivités.

3. La mise en place d’un observatoire national des risques assurantiels.

4. L’adaptation du cadre juridique des marchés publics pour faciliter la contractualisation entre assureurs et collectivités.

5. L’instauration d’incitations à la prévention et à la mutualisation des risques.

6. L’élargissement du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles pour les collectivités territoriales.

Ces mesures visent à renouer le dialogue entre les collectivités et les assureurs, à créer les conditions d’un retour de l’ensemble des assureurs sur le marché de la sécurisation des activités et du patrimoine des collectivités locales, et à garantir une meilleure protection de nos territoires face aux risques croissants auxquels ils sont confrontés.

 


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proposition de loi

Article 1er

La section 1 du chapitre Ier du titre III du livre III de la deuxième partie du code général des collectivités territoriales est complétée par un article L. 2331‑4‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 233141. – Il est institué un fonds national de solidarité pour l’assurabilité des collectivités territoriales. Ce fonds est destiné à soutenir les collectivités territoriales rencontrant des difficultés d’accès à une couverture assurantielle en raison de leur exposition accrue aux risques naturels ou sociaux.

« Les produits constituant les ressources du fonds national de solidarité pour l’assurabilité des collectivités territoriales sont déterminés dans le cadre de la loi de finances. »

Article 2

L’article L. 2321‑2 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les communes sont tenues d’établir un inventaire exhaustif et actualisé de leurs biens exposés aux risques naturels ou sociaux. Cet inventaire doit être transmis aux assureurs afin d’optimiser la tarification. L’État met à disposition un outil numérique harmonisé pour faciliter cette démarche, en s’appuyant notamment sur les données cadastrales. »

Article 3

Après l’article L. 132‑5 du code des assurances, il est inséré un article L. 132‑5‑1 A ainsi rédigé :

« Art. L. 13251 A. – Il est créé un observatoire national des risques assurantiels des collectivités territoriales. Cet observatoire a pour mission d’analyser les données relatives aux sinistres subis par les collectivités, de suivre l’évolution des risques climatiques et sociaux, et de promouvoir les bonnes pratiques en matière de prévention des risques. »

Article 4

L’article L. 2123‑1 du code de la commande publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Pour les marchés publics d’assurance des collectivités territoriales, l’acheteur peut recourir à la procédure avec négociation prévue à l’article L. 2124‑3, afin de permettre une meilleure adéquation entre les besoins de la collectivité et les offres des assureurs. »

Article 5

Après l’article L. 113‑4 du code des assurances, il est inséré un article L. 113‑4‑1 A ainsi rédigé :

« Art. L. 11341 A. – Les collectivités territoriales mettant en œuvre des politiques renforcées de prévention des risques bénéficient d’une réduction sur leurs primes d’assurance selon des modalités fixées par décret.

« Une plateforme nationale est mise en place pour favoriser la mutualisation entre collectivités ayant des profils de risque similaires. »

Article 6

L’article L. 125‑1 du code des assurances est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Pour les collectivités territoriales, le champ des événements couverts par le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles est élargi afin de prendre en compte les situations spécifiques rencontrées par les communes exposées aux risques climatiques extrêmes, selon des modalités fixées par décret en Conseil d’État. »

Article 7

Après l’article L. 112‑2 du code des assurances, il est inséré un article L. 112‑2‑1 A ainsi rédigé :

« Art. L. 11221 A. – I. – Il est institué un médiateur des assurances des collectivités publiques, nommé par décret pour un mandat de six ans non renouvelable.

« II. – Le Médiateur des assurances publiques est chargé de :

« 1° Recevoir et traiter les réclamations des collectivités territoriales relatives à leurs difficultés d’accès à l’assurance ;

« 2° Émettre des avis et recommandations à l’attention des assureurs et des collectivités territoriales ;

« 3° Exercer un pouvoir d’injonction à l’égard des assureurs dans les conditions prévues au III du présent

« III. – Lorsqu’une collectivité territoriale se voit refuser une couverture assurantielle par au moins trois assureurs différents, elle peut saisir le Médiateur des assurances des collectivités publiques. Après examen de la situation, le Médiateur peut désigner un assureur qui aura l’obligation de proposer une offre d’assurance à la collectivité concernée. Le Médiateur fixe le prix de référence au mètre carré en fonction de la valeur du bien à assurer et des risques encourus. Ce prix de référence s’impose à l’assureur désigné.

« IV. – Il est institué une taxe sur les contrats d’assurance. Les modalités d’application de cette taxe sont fixées par décret en Conseil d’État.

« V. – Un décret en Conseil d’État précise les conditions d’application du présent article, notamment les modalités de saisine du médiateur et les critères de désignation des assureurs.

« Cet article vise à résoudre le problème du déséquilibre structurel de la tarification en instaurant un Médiateur des assurances des collectivités publiques avec un pouvoir d’injonction. Il s’inspire du modèle de la Banque de France pour l’ouverture de comptes bancaires, en l’adaptant au secteur de l’assurance pour les collectivités territoriales. »

Article 8

Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport sur la mise en place d’un dispositif d’accompagnement financier pour les collectivités territoriales ne parvenant pas à s’assurer, en complément des dispositifs existants tels que la dotation de solidarité en faveur de l’équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des événements climatiques ou géologiques.

Article 9

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.