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N° 1091

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 mars 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à préciser et contrôler  les conditions d’ouverture du feu par la police nationale,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Roger VICOT, M. Fabrice BARUSSEAU, M. Laurent BAUMEL, M. Karim BENBRAHIM, M. Mickaël BOULOUX, M. Philippe BRUN, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Pierrick COURBON, M. Alain DAVID, M. Stéphane DELAUTRETTE, Mme Dieynaba DIOP, M. Peio DUFAU, M. Inaki ECHANIZ, M. Romain ESKENAZI, M. Olivier FAURE, Mme Océane GODARD, M. Julien GOKEL, Mme Pascale GOT, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Céline HERVIEU, Mme Chantal JOURDAN, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Philippe NAILLET, M. Jacques OBERTI, M. Marc PENA, Mme Anna PIC, M. Dominique POTIER, M. Pierre PRIBETICH, Mme Valérie ROSSI, Mme Claudia ROUAUX, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Hervé SAULIGNAC, M. Arnaud SIMION, M. Thierry SOTHER, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, Mme Mélanie THOMIN, M. Boris VALLAUD,

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 27 juin 2023, la mort de Nahel Merzouk a suscité de vives controverses notamment autour de la question des refus d’obtempérer et de l’utilisation des armes à feux par la police nationale. Il s’ensuivit des émeutes et des violences urbaines dans toute la France, du 27 juin au 7 juillet 2023. Conséquemment, les débats ont mis en lumière le rôle éventuel joué par la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique. Par la suite, les questions de formation des policiers, de la diffusion d’image et du contrôle de l’action de la police ont été abordées dans le débat public.

Il nous semble indispensable en premier lieu de rappeler le contexte dans lequel la loi du 28 février 2017 a été votée : vague d’attentats des années 2014 à 2016 depuis l’attaque du commissariat de Joué‑lès‑Tours en 2014, état d’urgence déclenché après les attentats du Stade de France, du Bataclan et des terrasses en novembre 2015 et prorogé jusqu’en 2017, double meurtre de policiers à Magnanville et attaque de policiers à Viry‑Châtillon en 2016.

À l’issue d’une mission d’information sur ce sujet menée avec mon collègue Thomas Rudigoz d’octobre 2023 à mai 2024, nous avons constaté que les statistiques ([1]) du nombre de personnes décédées sous le feu de la police nationale ou de la gendarmerie sont extrêmement fluctuantes d’une année à l’autre, sans qu’il ait été possible d’identifier une ou des raisons objectives et indiscutables à ces fluctuations. En revanche, il est incontestable que les refus d’obtempérer ont considérablement augmenté depuis 2012, se situant aujourd’hui à environ 30 000 par an.

Malgré ces problématiques de causalité entre l’adoption de la loi et les statistiques d’usage des armes par les policiers, il nous apparaît évident que la rédaction de l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure pose problème. Si celui‑ci rappelle d’emblée les conditions de la légitime défense (absolue nécessité et stricte proportionnalité), il s’accompagne de cinq cas qui détaillent les conditions de l’ouverture du feu dont les cas 1, 2, 3 et 5 ne posent pas de problème :

« 1° Lorsque des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d’autrui ;

2° Lorsque, après deux sommations faites à haute voix, ils ne peuvent défendre autrement les lieux qu’ils occupent ou les personnes qui leur sont confiées ;

3° Lorsque, immédiatement après deux sommations adressées à haute voix, ils ne peuvent contraindre à s’arrêter, autrement que par l’usage des armes, des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et qui sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ;

5° Dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou de plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsqu’ils ont des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont ils disposent au moment où ils font usage de leurs armes. »

Le quatrième cas mérite à notre sens à la fois une clarification et une précision dans la mesure où il a pu apparaître dans certains cas comme une extension possible pour les policiers de leur marge d’appréciation quant à la possibilité d’ouvrir le feu, notamment à travers l’expression « susceptibles de » : « 4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ».

La présente proposition de loi a donc pour objet dans son chapitre Ier de mieux encadrer les conditions juridiques et la formation des policiers en matière d’ouverture du feu.

L’article 1er modifie le 4° de l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure, en le précisant de telle manière que les conditions de l’ouverture du feu en cas de refus d’obtempérer soient davantage encadrées.

L’article 2 insère un nouvel article dans le code de sécurité intérieure pour encadrer davantage les conditions dans lesquelles policiers et gendarmes peuvent porter une arme, en imposant à la fois une formation technique au tir et en en faisant une condition du port d’arme, et en renforçant leurs connaissances de la société dans laquelle ils et elles évoluent.

Le chapitre II pose la question de l’enregistrement et de la diffusion des images tant à travers les dispositifs professionnels que par les entreprises de presse et réseaux sociaux.

L’article 3 prévoit de systématiser l’utilisation des caméras‑piétons et l’article 4 des caméras embarquées par les policiers et gendarmes. Ces dispositifs, selon toutes les parties concernées (syndicats, avocats, magistrats), protègent à la fois les policiers et gendarmes dans l’exercice de leurs fonctions en validant leur respect des normes professionnelles et déontologiques. Les images ainsi enregistrées peuvent du reste constituer des éléments à verser à une éventuelle procédure judiciaire. De même, les caméras piétons et embarquées protègent les éventuels contrevenants en rendant compte de la totalité des procédures.

Dans un souci de transparence, l’article 5 vise à rendre possible, après avis du Procureur de la République, la communication des images en question auprès des entreprises de presse, audiovisuelle et les opérateurs de plateforme en ligne. Cette disposition vise à désamorcer toute dynamique d’escalade autour de violence sur la voie publique lors de l’intervention des forces de sécurité intérieure en permettant de rendre public les images des faits contestés.

Le chapitre III traite des enquêtes et de l’instruction des affaires relatives à l’usage des armes par les forces de l’ordre.

L’article 6 permet au Défenseur des Droits d’avoir accès à tous les éléments relatifs aux éléments des enquêtes en la matière. Celui‑ci, en tant qu’autorité indépendante dont la légitimité et l’expertise en matière de contrôle du respect de la déontologie par les professionnels de la sécurité sont indéniables, contribuerait ainsi à la réputation d’impartialité des procédures initiées lors d’usages de leurs armes par les forces de l’ordre.

Le chapitre IV constitue le gage financier assurant la recevabilité de la présente proposition de loi à son article 7.

 


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proposition de loi

CHAPITRE Ier

DES RÈGLES D’USAGE DES ARMES DANS LE CADRE DES REFUS D’OBTEMPERER ET DU RENFORCEMENT DE LA FORMATION DES POLICIERS ET DES GENDARMES

Article 1er

À la fin du 4° de l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure, les mots : « sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui » sont remplacés par les mots : « vont manifestement et de manière imminente perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celle d’autrui ».

Article 2

Le chapitre V du titre III du livre IV du code de la sécurité intérieure est complété par un article L. 435‑2 ainsi rédigé :

« Art. L. 4352. – Ne peuvent disposer d’armes, dans l’exercice de leur fonction, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale, ainsi que les policiers municipaux autorisés au port d’armes :

« 1° Qui ne disposent pas d’un certificat d’aptitude à la pratique du tir à jour, selon les modalités définies par décret ;

« 2° Qui n’ont pas suivi une formation relative à l’apprentissage de la doctrine opérationnelle du jalonnement ;

« 3° Qui n’ont pas suivi une formation théorique relative à la société et ses mutations, la délinquance, la laïcité, l’histoire assurée par des enseignants issus de l’université, des magistrats et des avocats.

« Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret. »

CHAPITRE II

DE L’UTILISATION DES IMAGES CAPTÉES PAR LES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE COMME MOYEN DE PRÉVENTION ET DE TRANSPARENCE DES PRATIQUES POLICIÈRES

Article 3

L’article L. 241‑1 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

a) Les mots : « peuvent procéder » sont remplacés par le mot : « procèdent » ;

b) À la fin, les mots : « lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident, eu égard aux circonstances de l’intervention ou au comportement des personnes concernées » sont supprimés.

2° Le deuxième alinéa est supprimé.

Article 4

Le chapitre III du titre IV du livre II du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :

1° À l’article L. 243‑1, les mots : « peuvent procéder » sont remplacés par le mot : « procèdent ».

2° Le premier alinéa de l’article L. 243‑2 est ainsi modifié :

a) La première phrase est supprimée ;

b) Au début de la seconde phrase, le mot : « Il » est remplacé par les mots : « L’enregistrement prévu à l’article L. 243‑1 ».

Article 5

Le titre IV du livre II du code de la sécurité intérieure est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :

« Chapitre IV 

« Diffusion exceptionnelle des images 

« Art. L. 244. – Les autorités responsables des images enregistrées dans le cadre des chapitres Ier, II et III du présent titre peuvent, après avis favorable du procureur de la République et aux fins de prévenir des troubles à l’ordre public, communiquer ces images auprès des entreprises ou société éditrice de presse ou audiovisuelles et des opérateurs de plateforme en ligne au sens de l’article 6‑I de la loi n° 2004‑575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

« Ces images seront traitées de façon à garantir l’anonymat et protéger la vie privée des personnes enregistrées.

« Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. »

CHAPITRE III

DES ENQUÊTES ET DE L’INSTRUCTION DES AFFAIRES RELATIVES À L’USAGE DES ARMES PAR LES FORCES DE L’ORDRE

Article 6

L’article L. 142‑1 du code de la sécurité intérieure est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il peut accéder aux dossiers des enquêtes menées en cas de procédure judiciaire pour violence commise par personne dépositaire de l’autorité publique ».

CHAPITRE 5

GAGE FINANCIER

Article 7

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


([1]) Ministère de l’Intérieur, IGPN, IGGN.