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N° 1092

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 mars 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à étendre le pouvoir de réquisition des logements vacants aux maires pour garantir le droit fondamental au logement,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Sébastien DELOGU, M. François PIQUEMAL, Mme Sophia CHIKIROU, M. Carlos Martens BILONGO, M. Idir BOUMERTIT, Mme Mathilde PANOT, les membres du groupe La France insoumise - Nouveau Front Populaire [(1)],

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Au moins 826 personnes sont mortes dans la rue en France au cours de l’année 2023. En ce moment même, 350 000 personnes sont sans domicile fixe et 2 000 enfants dorment à la rue malgré le froid hivernal. Elles sont 20 000 de plus qu’en 2023, et 200 000 de plus qu’en 2012, dans l’indifférence quasi‑générale.

Faute de pouvoir payer chaque mois un loyer ou accéder à des moyens d’hébergement d’urgence, déjà largement saturés, de nombreuses personnes privilégient la survie de leurs familles à leurs casiers judiciaires et se réfugient dans des logements vides ou des locaux vacants. Malgré la violence et les dangers produits par les retours forcés à la rue, plus de 19 000 ménages ont été expulsés par les forces de l’ordre en 2023, dans un contexte où la loi Kasbarian‑Bergé n’était pas encore pleinement entrée en application.

Alors que 11,2 millions de personnes sont en situation de pauvreté en France, le nombre de demandes de logements sociaux bat des records. À l’heure actuelle, 2,7 millions de ménages sont toujours en attente d’une affectation, soit 300 000 de plus qu’il y a deux ans et quatre fois plus qu’il y a 40 ans. Pourtant, le nombre de logements sociaux accordés annuellement subit depuis plusieurs années une baisse continue. Pour l’année 2023, par exemple, seuls 393 000 attributions ont été effectuées, soit 100 000 de moins qu’en 2016. En conséquence, dans certaines grandes villes comme Marseille, il faut en moyenne 8 ans pour se voir accorder un logement social. Un délai durant lequel de nombreux ménages vivent dans des conditions précaires et inacceptables, souvent entre hébergement temporaire et habitat indigne.

Ces chiffres dramatiques témoignent d’une crise du logement en constante aggravation, et aux conséquences toujours plus inhumaines.

Si des mesures pour relancer la production de logements, a fortiori de logements sociaux, sont plus que nécessaires, force est de constater que la France dispose de logements vides qui pourraient être immédiatement mobilisés afin de répondre aux besoins de la population.

En effet, depuis le début des années 2000, le nombre de logements vacants a presque doublé, passant de 1,6 à 3,1 millions, soit quasiment dix fois plus que nécessaire pour loger l’ensemble des personnes privées de logement. De même, le Consortium des bureaux en France estime à 2 millions le nombre de mètres carrés de locaux à destination professionnelle inoccupés, qui pourraient servir à loger quelque 53 000 personnes. À Marseille particulièrement, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) recense 38 000 logements vides, dont 20 000 depuis plus de deux ans, qui pourraient héberger les 16 000 personnes qui se sont retrouvées au moins une fois à la rue en 2024.

Dans l’ensemble du pays, la moitié des logements vacants le sont depuis plus d’un an et un quart d’entre eux depuis plus de quatre ans. Dans les faits, de nombreux propriétaires, et pour beaucoup multipropriétaires, font donc le choix délibéré de ne pas mettre en location certains de leurs logements au nom de la spéculation immobilière.

Cette situation est encouragée par des mesures fiscales comme l’abattement progressif de l’imposition sur les plus‑values immobilières dont bénéficient les propriétaires, et qui permet, particulièrement en zones tendues, de réaliser des bénéfices de vente malgré les coûts d’entretien liés à la vacance.

Alors que le droit au logement est reconnu dans le préambule de la Constitution de 1946, intégré au bloc de constitutionnalité, et est un droit opposable depuis la loi du 5 mars 2007, il n’est pas acceptable que les stratégies patrimoniales de quelques‑uns compromettent sa mise en œuvre effective.

Depuis 1945, pourtant, afin de lutter contre la rétention de logements et permettre aux plus démunis de se loger, le droit à la réquisition est inscrit dans la loi. Celui‑ci permet à l’État de réquisitionner des locaux inhabités et de les mettre à disposition des plus pauvres, pour une durée temporaire et moyennant une indemnité d’occupation. De plus, en 1998, le législateur a complété ce régime de réquisition classique par la réquisition avec attributaire, qui permet au représentant de l’État de réquisitionner temporairement les locaux possédés par une personne morale en les confiant à un attributaire.

Force est de constater cependant que, malgré une crise du logement sans précédent et aux conséquences dramatiques, les préfets sont particulièrement réticents à faire usage de leur droit de réquisition pour mettre en sécurité les personnes privées d’hébergement. En effet, les dernières réquisitions conséquentes, portant sur 308 logements, datent de 2001, soit il y a plus de vingt ans.

Actuellement dévolu au seul représentant de l’État dans les départements, le droit de réquisition pourrait tout aussi bien être attribué aux maires. En effet, au regard de ses rôles d’agent exécutif de la commune et de représentant de l’État, il apparaît que le maire pourrait également être légitimement à l’initiative du droit de réquisition. En outre, celui‑ci possède une connaissance précise de la réalité et des enjeux locatifs de son territoire ainsi que des besoins des habitants de sa commune, ce qui laisse à penser qu’il serait également un acteur efficace dans la mise en œuvre effective des droits fondamentaux de ses administrés.

En conséquence, l’article 1er étend le droit de réquisition aux maires et élargit la typologie des locaux concernés. L’article 2 étend le droit de réquisition avec attributaire aux maires et réduit de moitié le délai à partir duquel les locaux appartenant à une personne morale peuvent être réquisitionnés. L’article 3 supprime la possibilité, pour les personnes morales détentrices d’un local menacé de réquisition, d’échapper à celle‑ci sur la seule base de la justification de l’exécution des travaux nécessaires pour mettre fin à la vacance. L’article 4 compense la charge induite pour les collectivités par une majoration de la dotation globale de fonctionnement et comporte un gage de recevabilité financière.

 


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proposition de loi

Article 1er

L’article L. 641‑1 du code de la construction et de l’habitation est ainsi modifié :

1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« En complément du représentant de l’État dans le département, le maire de la commune peut également exercer le droit de réquisition prévu au présent article, aux conditions ci‑énoncées. »

2° À la fin du deuxième alinéa, les mots : « à l’exception des hôtels et pensions de famille affectés au tourisme » sont supprimés.

Article 2

L’article L. 642‑1 du code de la construction et de l’habitation est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

a) Après le mot : « département », sont insérés les mots : « ou le maire de la commune » ;

b) Le mot : « peut » est remplacé par les mots : « peuvent chacun prendre l’initiative de » ;

c) Les mots : « douze mois » sont remplacés par les mots : « six mois ».

2° Au début du deuxième alinéa, les mots : « Avant de procéder à la réquisition » sont remplacés par les mots : « Lorsque la réquisition est à l’initiative de l’État ».

Article 3

Au premier alinéa de l’article L. 642‑12 du code de la construction et de l’habitation, les mots : « ou à réaliser les travaux mentionnés au 3° de l’article L. 642‑10 » sont supprimés.

Article 4

La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


[(1)](1) Ce groupe est composé de : Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Aurélien LE COQ, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER.