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N° 1101
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 mars 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à mettre fin au « devoir conjugal »,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Sarah LEGRAIN, Mme Sandrine JOSSO, Mme Maud PETIT, Mme Martine FROGER, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, Mme Béatrice BELLAY, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Émeline K/BIDI, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Marie-Charlotte GARIN, Mme Clémence GUETTÉ, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Hubert OTT, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, Mme Marie POCHON, M. Sylvain CARRIÈRE, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Karine LEBON, Mme Élise LEBOUCHER, M. Sébastien PEYTAVIE, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Sandrine ROUSSEAU, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Peio DUFAU, M. Boris TAVERNIER, M. Nicolas BONNET, M. Stéphane HABLOT, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Julie LAERNOES, M. Laurent LHARDIT, M. Mickaël BOULOUX, Mme Constance DE PÉLICHY, Mme Florence HEROUIN-LÉAUTEY,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Cette proposition de loi vise à mettre fin au « devoir conjugal » dans le droit français, en d’autres termes le devoir d’avoir des relations sexuelles avec son époux ou son épouse. Elle s’inscrit dans la lignée de la décision historique de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) du 23 janvier 2025. La France a en effet été condamnée pour avoir prononcé un divorce aux torts exclusifs de la requérante au motif qu’elle refusait d’avoir des relations sexuelles avec son époux.
Comme le note la CEDH dans sa décision, une jurisprudence française ancienne précise que « l’abstention prolongée de relations intimes imputées à l’épouse » était de nature à justifier le prononcé du divorce pour faute dès lors que celle‑ci « n’était pas justifiée par des raisons médicales suffisantes » (Civ. 17 décembre 1997, pourvoi n° 96‑15.704). La CEDH note que « si la Cour de cassation n’a plus réaffirmé cette jurisprudence depuis lors, celle‑ci n’a jamais fait l’objet d’un revirement et continue d’être appliquée par les juridictions du fond ».
Cette jurisprudence s’appuie sur une interprétation archaïque du code civil et notamment de l’article 215, qui stipule que « les époux s’obligent mutuellement à une communauté de vie ». Cette « communauté de vie » est généralement considérée comme une « communauté de lit ». La CEDH « ne saurait admettre, comme le suggère le Gouvernement, que le consentement au mariage emporte un consentement aux relations sexuelles futures. Une telle justification serait de nature à ôter au viol conjugal son caractère répréhensible. Or, la Cour juge de longue date que l’idée qu’un mari ne puisse pas être poursuivi pour le viol de sa femme est inacceptable et qu’elle est contraire non seulement à une notion civilisée du mariage mais encore et surtout aux objectifs fondamentaux de la Convention dont l’essence même est le respect de la dignité et de la liberté humaines ».
Comme l’affaire Pélicot l’a une fois de plus démontré, les viols conjugaux sont répandus en France. En 2022, les services de sécurité ont enregistré près de 85 000 personnes comme victimes de violences sexuelles en France : 45 % pour des viols ou tentatives de viols, 55 % pour des agressions sexuelles. Une partie de ces violences sexuelles enregistrées sont commises dans le cercle familial. En 2022, sur l’ensemble des victimes de violences sexuelles, 11 % sont victimes de leurs conjoints, et 16 % d’un autre membre de la famille, pour un total de 27 % de victimes de violences intrafamiliales.
Une telle interprétation du code civil - à savoir que « communauté de vie » correspond à une « communauté de lit » – revient à écarter la question du consentement, comme le constate la CEDH : « la Cour constate que le devoir conjugal, tel qu’il est énoncé dans l’ordre juridique interne (…) ne prend nullement en considération le consentement aux relations sexuelles (…) La Cour en déduit que l’existence même d’une telle obligation matrimoniale est (…) contraire à la liberté sexuelle et au droit de disposer de son corps ».
Il faut par ailleurs noter que les dispositions du code pénal relatives au viol conjugal ne protègent pas les époux et épouses de leur « devoir conjugal ». En effet, la CEDH précise que « si le Gouvernement fait valoir que l’incrimination des atteintes sexuelles commises au sein du couple suffit à assurer la protection de la liberté sexuelle de chacun, la Cour estime que cet interdit pénal ne suffit pas à priver d’effet l’obligation civile introduite par la jurisprudence ».
En outre, le refus de se soumettre au « devoir conjugal » n’est pas sans conséquence sur le plan juridique, comme le rappelle la CEDH dans sa décision : « d’une part, le refus de se soumettre au devoir conjugal peut, dans les conditions prévues à l’article 242 du code civil, être considéré comme une faute justifiant le prononcé du divorce (…) D’autre part, il peut entraîner des conséquences pécuniaires et fonder une action indemnitaire ». La requérante dans l’affaire H.W. c. FRANCE a d’ailleurs fait valoir le fait que « la crainte d’une sanction, fût‑elle de nature civile, peut avoir pour effet de vicier le consentement aux relations sexuelles au sein du couple ».
Cette crainte est d’autant plus justifiée que le coût d’un divorce est bien plus important pour les femmes que pour les hommes. 20 % des femmes basculent dans la pauvreté contre 8 % des hommes, précise l’étude « Le coût du divorce » de la Fondation des femmes. Il est, à ce titre, intéressant de noter que les études citées dans la décision de la CEDH et portant sur les demandes en divorce reposant sur des allégations de manquements au devoir conjugal sont « majoritairement présentées par des hommes ».
Il est nécessaire de faire enfin évoluer le droit français pour mettre fin à ce devoir conjugal, en apportant une modification au code civil. La CEDH précise dans sa décision que « les États contractants doivent instaurer et mettre en œuvre un cadre juridique adapté offrant une protection contre les actes de violence pouvant être commis par des particuliers ». En effet, cette obligation matrimoniale est, selon la CEDH, « contraire (…) à l’obligation positive de prévention qui pèse sur les États contractants en matière de lutte contre les violences domestiques et sexuelles ».
L’article unique vise donc à préciser que la communauté de vie n’implique pas l’obligation d’avoir des relations sexuelles, et donc que les épouses et époux ne sont pas tenus par un « devoir conjugal ».
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proposition de loi
Article unique
Le premier alinéa de l’article 215 du code civil est complété par une phrase ainsi rédigée : « Cette communauté de vie ne saurait être interprétée comme une obligation d’avoir des relations sexuelles. »