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N° 1197
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 mars 2025.
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
visant à prévenir toute régression des droits et libertés fondamentaux des femmes,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Élise LEBOUCHER, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
« Les droits des femmes sont toujours en danger. Soyez donc sur le qui‑vive, attentives, combatives ; ne laissez pas passer un geste, un mot, une situation, qui attente à votre dignité », nous alertait l’avocate et militante féministe Gisèle Halimi. Cet avertissement résonne de façon particulièrement juste aujourd’hui. Plus que simplement en danger, les droits des femmes sont partout remis en cause. En 2023, l’association Equipop et la Fondation Jean Jaurès tiraient la sonnette d’alarme : les régressions en matière de droits des femmes « se multiplient partout dans le monde » en raison du « backlash » (retour de bâton) de la part de courants réactionnaires et conservateurs. Un rapport de l’ONU publié pour le 8 mars confirme la gravité de la situation : les droits des femmes ont reculé dans un pays sur quatre en 2024.
Partout où l’extrême‑droite arrive au pouvoir, elle prouve qu’elle est l’ennemie des femmes. L’accession à la présidence des États‑Unis de Donald Trump, homme rompu aux délires masculinistes, présage le pire pour les femmes américaines. Il y a deux ans, ces dernières ont déjà connu une régression sans précédent de leurs droits, lorsque l’ultra‑conservatrice Cour suprême a brutalement révoqué leur droit à l’avortement. L’extrême‑droite européenne, notamment en Pologne, en Hongrie ou en Italie, multiplie les cadres légaux et des stratégies d’asphyxie budgétaire visant à interdire, dissuader, criminaliser, les femmes qui souhaitent y avoir recours. En parallèle, les violences de genre sont encouragées dans la Russie de Vladimir Poutine, qui a, en 2017, décriminalisé une grande partie des violences domestiques, ou dans la Turquie de Erdogan, qui s’est retiré en 2021 de la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.
Notre continent est le théâtre de régressions insupportables pour les femmes. Lors de la campagne pour les élections européennes, l’ensemble des groupes européens d’extrême‑droite ont promis aux électeurs un horizon tout aussi sordide. Les candidats du Rassemblement national et de Reconquête, ont prôné, tout sourire, une grande politique nataliste par le biais d’avantages fiscaux et sociaux. L’obsession est la même que du temps de Jean‑Marie Le Pen : renvoyer les femmes à la maison, afin de mettre leurs corps au service de ce projet nauséabond, au mépris des droits sociaux, économiques, civils et politiques durement acquis. Les associations féministes le disent : le RN n’a pas changé et reste l’ennemi des femmes. Ses représentants restent les principaux opposants à l’avortement, véhiculant volontiers le fantasme des « IVG de confort » et s’opposant systématiquement à l’allongement des délais applicables. À l’Assemblée nationale, comme à Bruxelles, Mme Marine Le Pen et ses acolytes se sont opposés unanimement, et de façon non‑exhaustive, aux textes qui promeuvent l’égalité salariale, l’accès à la contraception, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS), l’éducation à la vie affective et sexuelle à l’école. À la droite et à l’extrême‑droite de l’échiquier, les droits des femmes et la lutte contre les VSS ne sont dignes d’intérêt que lorsqu’il s’agit de véhiculer des mensonges racistes sur l’immigration. Or, les dernières politiques européennes répressives en la matière qui se sont multipliées en Europe sont elles aussi sources de régressions insupportables, en particulier pour les femmes. L’abject Pacte asile et migration, par exemple, adopté en avril 2024 avec les voix du centre et de la droite, multipliera les voies de migration irrégulières, qui exposent davantage les femmes aux violences, comme l’a rappelé l’Assemblée générale des Nations unies en 2023.
Les gouvernements macronistes successifs ont aussi largement contribué aux menaces de régression qui pèsent sur les droits des femmes, en reprenant à leur compte les obsessions de l’extrême droite. Les ministres de l’intérieur successifs Gérald Darmanin et Bruno Retailleau n’ont eu de cesse de menacer les droits des personnes étrangères, notamment à la dignité, à mener une vie familiale normale et à la santé, puisqu’ils ont notamment durci les conditions relatives au regroupement familial, et menacé le dispositif de l’Aide médicale d’État (AME), au risque de provoquer un défaut de soins pour les femmes étrangères, en situation irrégulière, et les victimes de VSS. Le droit des femmes à disposer librement de leurs corps, et plus particulièrement des plus jeunes et des racisées, a également été dans le viseur des obsessions islamophobes de Jean‑Michel Blanquer et Gabriel Attal, alors ministres de l’Éducation, qui ont successivement fait du combat contre le « crop top » et l’interdiction du port de l’abaya à l’école des priorités. Lors de l’examen de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, Aurore Bergé, actuelle ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, s’est déclarée partisane de l’interdiction du port du voile pour les mineures. Le Gouvernement Bayrou, comme le Gouvernement Barnier avant lui, compte ainsi un florilège de ministres s’étant positionnés contre l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux femmes en couple et femmes seules, ou contre la constitutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Le droit des femmes à disposer de leur corps a aussi été attaqué par le président de la République lui‑même, qui a prôné, en janvier 2024, le « réarmement démographique » comme seule réponse à l’infertilité. Pour la Macronie, les corps des femmes sont des armes au service de la patrie et du patronat.
Dans le même temps, ces gouvernements successifs n’ont eu de cesse d’organiser la casse des services publics, notamment avec un budget d’austérité historique pour 2025, et les femmes en sont les premières victimes. Pourtant, les associations demandent 2,6 milliards pour lutter contre toutes les violences faites aux femmes. 321 000 femmes sont toujours victimes de violences conjugales chaque année, le nombre de femmes qui, au cours d’une année, sont victimes de viols, tentatives de viol ou agressions sexuelles est estimé à 217 000. 4 femmes victimes de violences sur 10 ayant fait une demande d’hébergement d’urgence ne peuvent pas y accéder. Tous les trois jours, une femme est tuée par son conjoint ou ex‑conjoint. Pourtant, et alors même que les violences fondées sur le genre constituent des violations des droits fondamentaux des femmes (droit à la vie, droit de ne pas être soumis à la torture et à des traitements dégradants, droit à la sûreté et la sécurité…), le budget de la justice a connu un nouveau coup de rabot. En parallèle, la casse de l’hôpital se poursuit, et avec elle la fermeture croissante de maternités, services pédiatriques et gynécologiques, rendant de plus en plus difficile aux femmes la possibilité de se soigner. La paupérisation générale du pays en sept ans de Macronie (inflation, baisse du pouvoir d’achat, chômage et temps partiel subis, mal‑logement) a surtout touché les femmes, ce qui entrave le plein exercice de leurs droits, notamment économiques et sociaux. Les inégalités économiques entre femmes et hommes ne se sont pas résorbées, bien au contraire. Il manque 230 000 places en crèches en France, contraignant de nombreuses femmes à rester au foyer. Les femmes sont par ailleurs deux fois plus touchées que les hommes par le sous‑emploi. En 2023, selon l’Insee, leur salaire moyen était 22,2 % inférieur à celui des hommes. À temps de travail égal, cet écart est de 14,2 %. La dernière réforme des retraites qui prévoit le report de l’âge légal de départ pénalisera surtout les femmes, qui ont plus souvent des carrières hachées et qui doivent en moyenne travailler deux mois de plus que les hommes. Enfin, les facteurs de pénibilité au travail ont été élaborés sans prendre en compte les spécificités des métiers dits « féminisés », contribuant à leur invisibilisation. Les risques professionnels propres à ces métiers restent donc largement sous‑évalués.
Ainsi, ailleurs comme ici, la régression des droits des femmes, notamment économiques, sociaux est de plus en plus évidente, à rebours du sens de l’histoire. Pourtant, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1979) impose aux États qui l’ont ratifiée, dont la France, de s’engager à prendre des mesures pour éliminer la discrimination dans des domaines aussi divers que la loi, la vie politique et publique, l’éducation, l’emploi, la santé, l’environnement rural, le mariage et la famille. À ce « backlash », nous devons répondre de manière résolue, en disposant clairement dans la Constitution que les droits des femmes ne peuvent connaître aucune régression. Au contraire, notre arsenal légal ne peut que connaître des améliorations en la matière, pour garantir non seulement l’exercice de ces droits mais aussi leur extension. Les associations féministes, réunies au sein d’une Coalition pour une loi‑cadre féministe, ont d’ailleurs fait de l’inscription dans la loi de ce principe de non‑régression un des éléments centraux de la politique de lutte contre les VSS qu’elles appellent de leurs vœux.
En droit français, le principe de non‑régression a déjà été reconnu en matière de protection de l’environnement. La loi du 8 août 2016 sur la biodiversité a inscrit dans le Code de l’environnement le principe selon lequel « la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ». Ce principe a été expressément reconnu conforme à la Constitution par le Conseil Constitutionnel et s’est vu attribuer une portée très concrète par le Conseil d’État en 2017. Il a émergé pour répondre aux attaques contre le droit de l’environnement, alors « assailli de toutes parts, menacé dans sa structure comme dans son expansion » comme le prédisait Michel Prieur, juriste émérite et spécialiste du droit de l’environnement. Or, ce dernier précise également que le principe de non‑régression s’applique à l’origine aux droits humains, dans le but de les préserver et de favoriser leur extension. De nombreux textes internationaux ratifiés par la France l’explicitent. L’article 53 de la Convention européenne des droits de l’Homme consacre une forme de principe de non‑régression en reconnaissant notamment la possibilité pour les États‑parties à la Convention d’appliquer des normes plus protectrices que celles prévues par le texte. Il en va de même pour la Charte des droits fondamentaux adoptée en 2000 (art. 53 et 54).
Les régressions que connaissent les droits des femmes s’opposent au principe d’égalité entre femmes et hommes, puisqu’elles renforcent les discriminations genrées. Elles sont donc contraires aux droits humains, universels par nature. En effet, tant le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), traités de référence en matière de droits humains, interdisent la discrimination fondée sur le sexe et garantissent aux femmes et aux hommes l’égalité dans la jouissance des droits qui y sont inscrits. En particulier, le comité des Nations unies chargé d’observer le respect du PIDESC par les États parties a considéré dès 1990 dans son observation n° 3 que le Pacte « n’autorise aucune mesure régressive » tout en soulignant, en plus, l’existence d’une obligation de progrès, d’amélioration de ces droits par les États.
La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1979 est aussi très claire : non seulement elle requiert l’égalité entre les hommes et les femmes mais elle interdit les pratiques de nature à perpétuer l’inégalité. Elle prohibe donc non seulement toute discrimination de fait mais aussi toute discrimination de droit, soit l’adoption de législation ou de politique imposant des restrictions ou des distinctions aux femmes. Elle appelle donc à des actes positifs de la part des États pour protéger ce principe, ce que nous nous proposons de faire ici. Ces textes internationaux de protection des droits humains ne se limitent pas à une valeur déclarative. Notre pays a accepté d’y être lié. Par cette proposition de loi constitutionnelle, il s’agit a minima d’assurer la conformité de nos lois, présentes et futures, aux droits humains que la France s’est engagée à respecter.
Il s’agit aussi de proposer une contre‑offensive, positive, et résolue, aux régressions insupportables que connaissent les droits des femmes sous l’impulsion de la droite extrême et de l’extrême‑droite. À ces attaques réactionnaires, nous rétorquons par un principe qui permet d’orienter l’action des pouvoirs publics dans le sens de l’histoire, qui ne peut être qu’un sens progressif. En effet, à l’inverse d’un gel des actions qui nous condamnerait à l’immobilisme, le principe de non‑régression est bien un principe d’amélioration constante comme l’ont précisé MM. Michel Prieur et Christian Huglo, avocats spécialistes de l’environnement, puisque l’obligation positive qu’elle assortit impose au législateur d’effectuer un pas en avant, en vue de garantir l’effectivité des droits fondamentaux. Nous proposons ainsi de paver le chemin à de nouvelles réformes afin de non seulement favoriser l’exercice par les femmes de leurs droits mais aussi à les étendre, dans la continuité du programme de l’Avenir en commun et du Nouveau Front Populaire. C’est d’ailleurs ce pas en avant que nous entendions opérer lorsque notre groupe a proposé pour la première fois, dès 2022, l’inscription du droit de recourir à l’IVG dans la Constitution. Comme la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) le soulignait en 2023, il s’agissait bien de protéger ce droit de manière positive, selon une formule consacrant un principe de non‑régression.
Nous sommes convaincus que la constitutionnalisation de ce principe rendra plus difficile toute tentative de remise en cause partielle, et a fortiori totale, des droits des femmes à être égales aux hommes et à leur liberté, que cette tentative soit opérée par voie réglementaire ou législative. Consacrer un principe de non‑régression des droits des femmes est d’abord l’expression d’un devoir qui s’impose aux pouvoirs publics au‑delà des alternances politiques. Il s’agit par là même de réaffirmer l’ordre sociétal que nous voulons, et la place des femmes que nous entendons y consacrer. En effet, le Conseil constitutionnel le dit lui‑même : « la Constitution n’a pas pour unique objet de déterminer la forme de l’État, d’organiser les institutions et de déterminer les règles de production des normes ». Elle est « un acte fondateur par lequel une société se constitue une identité (…) En particulier, elle consacre des droits et libertés fondamentaux et définit les modalités de leur protection ».
Nous proposons donc dans cet article unique d’inscrire à l’article 34 de la Constitution le principe de non‑régression des droits et libertés fondamentaux des femmes.
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PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
Article unique
Après le dix‑septième alinéa de l’article 34 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« S’agissant des droits et libertés fondamentaux des femmes dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine, les dispositions conventionnelles, législatives et réglementaires ne peuvent en réglementer les conditions qu’en vue de les améliorer, de rendre leur reconnaissance ou leur exercice plus effectif ou de le concilier avec d’autres règles ou principes de valeur constitutionnelle »