N° 1231
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er avril 2025.
PROPOSITION DE LOI
relative à l’organisation de la consultation des citoyens sur le choix de leur région d’appartenance,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Paul MOLAC,
député.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La présente proposition de loi est une nouvelle version de la proposition de loi déposée lors de la précédente mandature et examinée en première lecture en Commission des lois. Celle‑ci n’avait pas pu être examinée en séance à l’époque. Son objet évolue pour tenir compte des débats qui se sont déjà déroulés et dans l’objectif d’obtenir un consensus le plus large possible sur une question d’ordre démocratique majeure. Si le dispositif précédent visait à intégrer, dans le code général des collectivités territoriales, la possibilité pour l’État de consulter les électeurs d’un département donné afin de recueillir leur avis sur tout projet portant sur la modification de limites territoriales régionales en vue d’intégrer ce même département dans une région qui lui est limitrophe, le dispositif actuel permet d’étendre cette consultation à l’ensemble des habitants des régions concernées.
D’abord circonscription administrative et échelon déconcentré de l’État en 1960, la région accède au rang de collectivité territoriale par la loi du 2 mars 1982. La carte française des régions reste pratiquement inchangée par la suite, seules les modalités quant à ses compétences, sa place dans la Constitution et son mode de scrutin sont remaniées. La question du découpage régional, jusque‑là absente des débats sur la réforme territoriale en France, ressurgit par le biais des travaux de la commission Balladur, du rapport des Sénateurs Krattinger et Raffarin en 2013 et surtout par la déclaration de politique générale du Premier ministre Manuel Valls, en avril 2014.
La réforme territoriale du 16 janvier 2015 s’appuie essentiellement sur la logique de réduction du nombre de régions. L’objectif affiché d’un tel regroupement est d’améliorer l’efficacité de la gouvernance territoriale, réduire le coût de fonctionnement, améliorer la lisibilité du système administratif et créer « des régions de taille européenne ». Si aujourd’hui, l’on constate des effets limités en termes de puissance des régions, de coûts de fonctionnement et de lisibilité du dispositif, la réforme territoriale a le mérite d’avoir relancé le débat sur le redécoupage régional. Il apparait nécessaire de revoir les limites de certaines régions, afin qu’elles recouvrent davantage les territoires vécus et ainsi renforcer leur cohésion et leur dynamisme.
À travers cette proposition de loi, il ne s’agit donc pas ici de fusionner des régions entre elles, mais bien plus d’en modifier les limites territoriales en incorporant un département dans une autre région qui lui est limitrophe. Un droit d’option était prévu par la loi de 2015, permettant aux départements de changer de région dans un délai de trois ans, mais les critères rendaient cette possibilité inopérante : en effet, les départements désirant quitter une région pour une autre devaient obtenir l’aval de la région d’origine, une condition dans les faits impossible à remplir.
L’objet de cette proposition de loi est d’introduire, dans le code général des collectivités territoriales, une possibilité de consultation des électeurs d’un département et des régions concernées, à propos du projet de rattachement d’un département à une autre région. En ce sens, cette proposition de loi répond à un besoin démocratique exprimé par nos concitoyens qui désirent être partie prenante des processus de décision visant à remodeler la carte des collectivités locales, afin d’éviter qu’une nouvelle fois ne soit imposés aux territoires des décisions technocratiques ne correspondant pas aux aspirations de la population. Loin d’un remodelage de la carte administrative française décidé de manière centralisé, il importe de prendre en compte la volonté de prise en charge par les élus et les populations concernées.
Il convient de relever que la modification du code général des collectivités territoriales contenue dans cette proposition de loi répondrait tout particulièrement à une demande maintes fois exprimée en Bretagne en faveur de l’intégration de la Loire‑Atlantique à sa région originelle. Cette demande s’est majoritairement exprimée de plusieurs manières au cours des dernières décennies : les manifestations populaires ayant parcouru les rues de Nantes et d’autres villes de Loire‑Atlantique ; les sondages d’opinions qui les uns après les autres montrent une forte volonté d’une réunification de la Bretagne ; ou bien encore les vœux des collectivités territoriales dans l’ensemble de la Bretagne à cinq départements.
Ainsi, dès 1976, 7 000 manifestants défilaient dans les rues de Nantes, tandis qu’ils étaient près de 10 000 le 20 septembre 2008, démontrant au fil des années l’importance et la persistance du mouvement populaire. À Nantes, d’autres mobilisations d’importance ont vu le jour au lendemain du redécoupage territorial en 2014. La manifestation du 28 juin attirait 17 000 personnes, tandis que le 27 septembre se regroupaient pas moins de 40 000 manifestants dans les rues nantaises. Il s’agissait d’ailleurs de la seule mobilisation d’une telle ampleur à avoir été prévue sur le territoire français concernant les redécoupages, signe de la vigueur de cette revendication.
Ce soutien populaire exprimé de manière citoyenne se retrouve également dans les sondages d’opinion, dont l’un effectué par l’Institut LH2 et rendu public le 10 avril 2014, a montré que les habitants de la région Bretagne souhaitent la réunification à 57 %, contre 35 % qui y sont défavorables. Les habitants de la Loire‑Atlantique sont quant à eux 63 % à s’y montrer favorables. Par rapport aux études précédentes, notamment celle de TMO de décembre 2013 alors que le débat n’avait pas encore été porté sur la scène nationale, les pro‑réunification seraient de plus en plus nombreux en Loire‑Atlantique où l’on comptait 60 % d’opinions favorables, tandis qu’ils étaient 55 % en 2006. L’évolution des sondages sur la région Bretagne montre quant à eux la constance d’un soutien largement majoritaire à la réunification.
L’ensemble de ces expressions de soutien à une intégration de la Loire‑Atlantique à la Bretagne trouve des répercussions concrètes au sein des collectivités territoriales de Bretagne, dont le nombre de vœux en faveur de la réunification témoigne de l’intérêt des pouvoirs publics locaux à se faire les relais de la revendication de la population.
Par ailleurs, selon l’association Bretagne réunie, ce sont 548 communes sur 1 491 (soit 36,75 % du total sur les cinq départements bretons) qui ont voté sur plusieurs mandatures, parfois au travers de leur établissement public de coopération intercommunale, des vœux, motions, résolutions, actes de soutien, ou ont signé la Charte des Élus pour la réunification de la Bretagne.
Ajoutons à cela le soutien des milieux culturels et économiques, dont celui de l’association Produit en Bretagne qui regroupe 300 entreprises bretonnes des cinq départements employant plus de 100 000 salariés, pour saisir l’étendue de cette demande au sein de l’ensemble des composantes de la société bretonne.
Cette tendance se confirme et s’accentue après la réforme territoriale de 2015. Notons à titre d’exemple la pétition lancée, en 2018, par les militants de l’association Bretagne Réunie. Appelant à organiser une consultation populaire sur la question de la réunification de la Bretagne à cinq départements, cette pétition rassemble au final 105 000 signatures, soit plus de 10 % du corps électoral. Cette ampleur est tout simplement inédite à l’échelle d’un département. En 2022, à l’initiative du collectif « À la Bretonne », ce sont plus de 200 élus de tous bords politiques ainsi que plus d’un millier d’acteurs du monde associatif qui ont demandé aux candidats à la présidentielle de s’engager à organiser un référendum sur le rattachement de la Loire‑Atlantique à la Bretagne.
La Bretagne, à travers sa population, ses élus, ses associations, s’est toujours prononcée favorablement pour une consultation des électeurs de Loire‑Atlantique sur la réunification bretonne. Le changement majeur concerne les élus de Loire‑Atlantique, plaidant progressivement pour cette même consultation. Entre février et mars 2021, les conseils municipaux de Nantes, Rennes, Saint‑Nazaire et Quimper et Brest expriment chacun leur vœu pour un référendum en Loire‑Atlantique sur la réunification bretonne. La région Bretagne vote le même vœu en octobre.
En juin 2022, à l’approche des élections législatives, 60 candidats sur les cinq départements se sont engagés à l’obtenir, dont 16 pour la seule Loire‑Atlantique. Finalement, au sortir des élections, ce seront 21 députés des cinq départements sur 37 qui se montraient favorables à obtenir un vote des électeurs de Loire‑Atlantique sur la réunification. En parallèle, une étude d’impact cofinancée par la Région Bretagne et le Conseil départemental de Loire Atlantique est commandée en septembre 2022, afin d’éclairer les élus « sur les implications et conséquences que pourrait avoir la mise en œuvre de ce rattachement. »
La présente proposition de loi doit donc permettre à la population de Loire Atlantique de se prononcer sur sa propre situation territoriale. La consultation demandée est un sondage, n’a pas de valeur légale ni obligatoire pour l’État, mais elle est nécessaire d’un point de vue civique et démocratique. La question à laquelle les électeurs de Loire Atlantique devront répondre, si la proposition de loi est adoptée, permettra une clarification de la volonté citoyenne dans le département. Le besoin d’une démocratie plus participative est aujourd’hui clairement exprimé par nos concitoyens, ces derniers désirant prendre part davantage au processus de décision politique. Quelle meilleure question que celle du remodelage des collectivités territoriales, qui impacte au premier chef ses électeurs, permettrait de prendre en compte les aspirations de la population ?
Voici donc exposées les raisons pour lesquelles, dans un souci démocratique et de prise en compte de la cohésion de nos collectivités territoriales, la proposition de loi a pour objet de modifier le code général des collectivités territoriales à travers un dispositif analogue à celui prévu par le Gouvernement lors d’une précédente consultation en 2016 en Loire‑Atlantique, avec un périmètre élargi à celui des habitants d’une région. Cette proposition de loi est composée de deux articles :
L’article 1er prévoit la possibilité pour l’État de consulter les électeurs d’une région afin de recueillir leur avis sur un projet de modification des limites régionales, ainsi que les conditions d’organisation de cette consultation par l’État.
L’article 2 vise à gagner financièrement la proposition de loi.
– 1 –
proposition de loi
Article 1er
La section 1 du chapitre II du titre II du livre Ier de la quatrième partie du code général des collectivités territoriales est complétée par des articles L. 4122‑1‑2 et L. 4122‑1‑3 ainsi rédigés :
« Art. L. 4122‑1‑2. – L’État peut consulter les électeurs d’une ou plusieurs collectivités territoriales afin de recueillir leur avis sur un projet de modification des limites régionales visant à inclure le département dans le territoire d’une région qui lui est limitrophe.
« Art. L. 4122‑1‑3. – I. – Peuvent seuls participer à la consultation les électeurs de nationalité française inscrits, dans les conditions prévues par le chapitre II du titre Ier du livre Ier du code électoral, sur les listes électorales des communes dans lesquelles est organisée la consultation et les ressortissants d’un État membre de l’Union européenne inscrits, dans les conditions prévues aux articles LO 227‑1 à LO 227‑5 du même code, sur les listes électorales complémentaires de ces mêmes communes établies pour les élections municipales.
« II. – La consultation est décidée par un décret qui en indique l’objet, la date ainsi que le périmètre, qui définit la question posée et qui convoque les électeurs. Il est publié au plus tard deux mois avant la date de la consultation. La consultation ne peut avoir lieu après le premier jour du troisième mois précédant celui au cours duquel il est procédé aux élections et scrutins énumérés par les cinquième à dixième alinéas de l’article LO 1112‑6 du code général des collectivités territoriales.
« III. – Le décret prévu au II du présent article est notifié dans les deux semaines suivant sa publication par le représentant de l’État dans le département aux maires des communes concernées.
« Conformément à l’obligation qui leur est faite par le 3° de l’article L. 2122‑27 du code général des collectivités territoriales, les maires assurent la mise à disposition de l’information aux électeurs et l’organisation des opérations de la consultation dans les conditions prévues par le présent chapitre.
« L’État prend à sa charge toute dépense afférente à la consultation.
« IV. – À compter de la date de publication du décret prévu au I du présent article, les interdictions et restrictions prévues par les articles L. 47 à L. 50‑1, L. 52‑1 et L. 52‑2 du code électoral sont applicables à toute action de propagande portant sur le projet qui fait l’objet de la consultation ou sur celle‑ci.
« Sont également applicables les dispositions de la loi n° 77‑808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion.
« V. – Une lettre d’information relative à l’organisation de la consultation accompagnée de deux bulletins de vote est adressée par l’État à chaque électeur au plus tard le troisième jeudi précédant la consultation.
« VI. – Les électeurs font connaître par "oui" ou par "non" leur avis sur la question qui leur est posée.
« VII. – Les opérations de vote pour la consultation sont régies par les dispositions du chapitre VI du titre Ier du livre Ier du code électoral, à l’exception des articles L. 52‑19, L. 56, L. 57, L. 58, L. 67, du deuxième alinéa de l’article L. 68 et de l’article L. 85‑1, moyennant les adaptations suivantes :
« 1° Par dérogation au troisième alinéa de l’article L. 65, dans le cadre de la consultation prévue à l’article 1er de la loi n° du relative à l’organisation de consultation des citoyens sur le choix de leur région d’appartenance, à chaque table, l’un des scrutateurs extrait le bulletin de chaque enveloppe et le passe déplié à un autre scrutateur ; celui‑ci le lit à haute voix ; les réponses portées sur les bulletins sont relevées par deux scrutateurs au moins sur des feuilles de pointages préparées à cet effet. Si une enveloppe contient plusieurs bulletins, le vote est nul quand les bulletins portent des réponses contradictoires. Les bulletins multiples ne comptent que pour un seul quand ils désignent la même réponse. Les bulletins blancs sont décomptés séparément et annexés au procès‑verbal. Ils n’entrent pas en compte pour la détermination des suffrages exprimés, mais il en est fait spécialement mention dans les résultats des scrutins. Une enveloppe ne contenant aucun bulletin est assimilée à un bulletin blanc ;
« 2° Par dérogation au premier alinéa de l’article L. 66, dans le cadre de la consultation prévue à l’article 1er de la loi n° du relative à l’organisation de consultation des citoyens sur le choix de leur région d’appartenance, les bulletins ne contenant pas une désignation suffisante ou dans lesquels les votants se sont fait connaître, les bulletins trouvés dans l’urne sans enveloppe ou dans des enveloppes non réglementaires, les bulletins écrits sur papier de couleur, les bulletins ou enveloppes portant des signes intérieurs ou extérieurs de reconnaissance, les bulletins ou enveloppes portant des mentions injurieuses, ainsi que les bulletins de vote autres que ceux fournis par l’État, n’entrent pas en compte dans le résultat du dépouillement ;
« 3° Par dérogation à l’avant‑dernier alinéa du même article L. 66, dans le cadre de la consultation prévue à l’article 1er de la loi n° du relative à l’organisation de consultation des citoyens sur le choix de leur région d’appartenance, chacun de ces bulletins et enveloppes annexés doit porter mention des causes de l’annexion.
« VIII. – Les dispositions pénales prévues par le chapitre VII du titre Ier du livre Ier du code électoral sont applicables au scrutin de la consultation, à l’exception des articles L. 88‑1 à L. 90‑1, L. 95 et L. 113‑1.
« IX. – Il est institué une commission de recensement siégeant dans la commune la plus peuplée du ressort territorial où est organisée la consultation et composée de trois magistrats.
« X. – La régularité de la consultation régie par le présent chapitre peut être contestée dans les conditions, formes et délais prescrits pour les réclamations contre l’élection des membres des conseils municipaux. »
Article 2
I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
II. – La perte de recettes pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
III. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
IV. – La perte de recettes pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.