N° 1294

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 avril 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant reconnaître le droit à l’objection de conscience à l’expérimentation animale pour les étudiants et à encourager la réduction du nombre d’animaux utilisés dans la recherche et l’enseignement,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Aymeric CARON,

député.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les expériences que nous faisons subir aux animaux non humains dans les laboratoires ou les salles de cours reposent sur un indépassable paradoxe : nous justifions moralement ces expériences par le fait qu’elles touchent des individus non‑humains (et qu’on ne peut donc comparer ce qu’ils subissent à ce que subirait un humain), mais nous les justifions scientifiquement par le fait que ces individus non humains réagissent précisément comme des humains réagiraient à ces expériences.

La gêne est là, et l’opinion ne s’y trompe pas : elle est de plus en plus sensible aux problématiques liées à la condition des animaux et à leurs souffrances. En 2023, une initiative citoyenne européenne (ICE) visant à encourager la Commission européenne à s’engager pour une Europe sans expérimentation animale, a recueilli plus d’1,2 million de signatures à travers 22 États membres. Selon un sondage réalisé par l’Ifop pour la Fondation 30 millions d’amis et publié en février 2025, 86 % des Français sont favorables à l’interdiction de toute expérimentation animale. Parmi ces Français, se trouvent des étudiants qui se destinent à des carrières scientifiques mais qui ne souhaitent pas faire souffrir les animaux dans les laboratoires. En septembre 2022, à l’université de Strasbourg, sept étudiantes en deuxième année de master d’écophysiologie, écologie et éthologie, ont refusé de poser des sondes dans l’abdomen de rongeurs lors de travaux pratiques d’écophysiologie. Cette expérience devait se terminer par l’euthanasie des animaux. Même sanctionnées par une note pénalisante de 0, les étudiantes ont refusé de participer à ces travaux, considérant cette pratique contraire à leur éthique. Suite à cet évènement, le doyen de l’université a décidé de mettre fin, l’année suivante, à certaines expérimentations animales dans les travaux pratiques.

Conscient de la difficulté éthique que représente l’expérimentation animale, le législateur européen a choisi d’y soustraire les grands singes (bonobos, chimpanzés, gorilles), dont l’utilisation est désormais limitée à des occasions exceptionnelles. La science a en effet prouvé que l’ensemble des membres de la famille des grands singes, à laquelle l’humain appartient, partage des caractéristiques telles qu’il apparaît aujourd’hui indécent de faire subir aux grands singes non humains, qui sont nos proches cousins génétiques, des expériences que nous ne saurions tolérer sur les humains. C’est un progrès, mais largement insuffisant.

Tous les animaux non humains sensibles, à des degrés divers, ressentent la douleur et la souffrance. La science l’atteste et le droit le reconnaît puisque l’article L. 515‑14 du code civil précise que les animaux non humains sont, comme les humains, des êtres doués de sensibilité. Les expériences pratiquées sur des animaux vivants, quels qu’en soient les motifs, ne peuvent donc qu’être encadrées par la plus grande prudence. Dans quelles conditions ces expériences sont‑elles conduites ? Sont‑elles réellement nécessaires ? Combien d’animaux doivent être sacrifiés ? Quel niveau de douleur infligeons‑nous aux animaux sacrifiés ?

Cette proposition de loi a ainsi pour ambition d’encourager la transition de la recherche française vers la réduction de l’utilisation du modèle animal dans les laboratoires et dans les salles de cours, conformément aux dispositions de la directive 2010/63/UE. Cette directive de 2010 a permis d’inscrire dans la réglementation européenne la règle des « trois R » : remplacement, réduction et raffinement de l’utilisation des animaux à des fins scientifiques et éducatives.

L’article 4 de la directive définit ces principes ainsi : le remplacement consiste à ce que soit utilisée, au lieu d’une procédure impliquant des animaux, « une méthode ou une stratégie d’expérimentation scientifiquement satisfaisante, n’impliquant pas l’utilisation d’animaux vivants ». Les États membres doivent, par ailleurs, conformément au principe de réduction, veiller à ce que « le nombre d’animaux utilisés dans un projet soit réduit au minimum sans compromettre les objectifs du projet ». Enfin, le raffinement est défini par la directive comme l’élimination ou la réduction « au minimum », dans les conditions d’élevage, d’hébergement et de soins, et dans les méthodes utilisées dans les procédures, de « toute douleur, souffrance ou angoisse ou tout dommage durable susceptible d’être infligé aux animaux ».

Pourtant la directive, transposée en droit français par le décret n° 2013‑118 du 1er février 2013, n’a, en 10 ans, produit que des effets limités. D’après les statistiques annuelles publiées par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ([1]), ces principes de remplacement, de réduction et de raffinement n’ont abouti qu’à une très légère baisse du nombre d’animaux utilisés, et a même augmenté en ce qui concerne certaines espèces.

En France, en raison de l’élargissement récent du périmètre des statistiques – qui ne prenaient jusque‑là pas en compte les animaux d’élevage non utilisés mais génotypés –, le nombre total d’animaux utilisés dans le cadre de procédures scientifiques a atteint plus de 2 millions en 2022 contre 1 893 897 en 2021.

Plus largement, entre 2015 et 2022 nous sommes passés, en France, de 1 901 752 animaux utilisés à 1 802 025, soit une baisse de seulement 5,3 %. Sur la même période, on constate une augmentation de plus de 31 % du nombre de primates non‑humains utilisés dans des procédures expérimentales (de 3 162 en 2015 à 4 147 en 2022), une augmentation de plus de 19 % pour les chiens (avec 3961 chiens utilisés en 2022 contre 3 326 en 2015). La variation la plus forte concerne les chats, avec plus de 235 % d’augmentation en 7 ans : 1 127 chats utilisés en 2022 contre 336 en 2015.

Chaque année, ce sont ainsi environ deux millions d’animaux qui sont utilisés en France dans le cadre de telles procédures. Dans l’Union européenne et la Norvège, ce chiffre est porté à près de 9 millions. Ces statistiques ne prennent néanmoins pas en compte les invertébrés (à l’exception des céphalopodes), ni les animaux utilisés en dehors des procédures : animaux élevés pour générer des animaux expérimentaux, animaux euthanasiés pour prélèvement d’organes ou de tissus. Cette prise en compte aurait pour effet de doubler le nombre d’animaux utilisés dans l’Union européenne, portant ce chiffre à 18 millions d’animaux sacrifiés chaque année sur le territoire européen seulement.

Si les statistiques issues du rapport de 2024 de la Commission européenne relatif à la mise en œuvre de la directive 2010/63/UE sur l’année 2022 ([2]) font état d’une diminution, dans l’Union européenne, du nombre d’animaux par rapport à 2021 (‑10,9 %), c’est surtout en raison de 3 projets d’une ampleur exceptionnelle en termes de nombres d’animaux (1,3 million de poissons) réalisés en 2021. Depuis 2018, le nombre d’animaux utilisés n’a en réalité diminué que de 5 % dans toute l’Union.

Le chemin est également long en termes de remplacement : la France est l’un des pays de l’Union européenne où le nombre de procédures impliquant des animaux est le plus important, avec plus de 2 millions de procédures en 2022. La proportion de procédures dites « sévères » en France est également plus élevée que dans le reste de l’Union européenne, qui reste aux alentours de 8 à 10 % depuis 2015 (9,2 % en 2022, 3,6 % pour les procédures sans réveil), alors qu’elle s’élève en France entre 14 % et 19 % selon l’année. Ce chiffre ne répond pas à l’impératif de raffinement mis en avant par la directive.

Ces utilisations sont source d’insupportables souffrances et douleurs pour les animaux élevés à ces fins. Si 41 % des procédures n’occasionnent que des souffrances jugées légères (prises de sang, biopsies ou confinements courts en cage métabolique…), 42 % des procédures infligent aux animaux des souffrances susceptibles d’avoir « une incidence modérée sur le bienêtre ou l’état général des animaux ». Il s’agit d’inductions de tumeurs, de jeûnes forcés, de chirurgies sous anesthésie, de tests de toxicité, ou encore de certaines modifications génétiques.

Les autres expériences occasionnent des souffrances ou douleurs graves. En 2022, 244 710 procédures « sévères » (donc ayant une « incidence grave sur le bienêtre ou l’état général des animaux » ([3])) – soit 12 % du nombre total de procédures – ont été réalisées. Le 10 juillet 2022, le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche avait par exemple autorisé un projet visant à faire subir à plus de 27 000 rongeurs des expériences sévères, consistant à provoquer artificiellement des crises d’épilepsie par le biais de chocs sonores, d’injections ou de chocs électriques dans les yeux ou le cerveau.

La France est par ailleurs à la traîne sur le remplacement des animaux par des méthodes alternatives, même lorsqu’elles existent, et lorsqu’elles sont préférables aux tests sur les animaux. En 2022, à l’échelle de l’Union européenne, la France réalisait 99,5 % des tests de l’ascite sur des souris pour produire des anticorps monoclonaux (induction de tumeurs), une méthode pourtant interdite en Allemagne, en Autriche, au Royaume‑Uni, et aux Pays‑Bas. Dans son rapport de juin 2024, la Commission préconisait pourtant de cesser totalement d’utiliser cette méthode. Les laboratoires français continuent en outre à pratiquer des tests de pyrogénicité sur les lapins (37,3 % de ces tests à l’échelle de l’Union, européenne sont réalisés en France, ce qui en fait la championne européenne ([4])), consistant à injecter une substance à des lapins pour détecter l’apparition de fièvre, alors que des méthodes alternatives plus fiables, plus rapides et moins coûteuses, ont été validées par le laboratoire européen de référence pour les méthodes alternatives, l’EURL‑ECVAM. La direction européenne de la qualité du médicament et des soins de santé (EQDM) au Conseil de l’Europe avait annoncé en juin 2021 que de tels tests devraient être définitivement abandonnés d’ici 5 ans. En 2022, alors que l’on constate dans toute l’Union européenne une baisse de l’expérimentation de ce test à hauteur de 19,1 % depuis 2021, et de 35,7 % depuis 2018, seuls 6 pays européens, dont la France, sont responsables de plus de 98 % de la conduite de ces tests ([5]).

Les progrès en matière de remplacement des animaux dans les procédures ne correspondent pas au progrès scientifique accompli depuis plusieurs décennies en matière de méthodes alternatives à l’expérimentation sur des animaux. Que cela soit pour les cosmétiques –  pour lesquels les tests sur les animaux ont été interdits graduellement depuis 2004 – ou pour l’expérimentation en général, les méthodes alternatives à l’expérimentation animale sont en effet nombreuses et ont fait leurs preuves, nous permettant de nous détacher progressivement du modèle animal dans la recherche. Dans de nombreux cas, notamment en toxicologie, elles seraient plus fiables et plus prédictives que les tests sur les animaux, qui présentent des intérêts scientifiques limités. L’EURL‑ECVAM reconnaissait d’ailleurs en 2021 qu’une forte dépendance à l’expérimentation animale pouvait entraver les progrès dans certains domaines de la recherche sur les maladies ([6]), domaines dans lesquels les modèles animaux ne permettent pas d’appréhender des caractéristiques essentielles de maladies humaines, et estimait que l’adoption d’autres modèles pourrait permettre de nouvelles percées et avancées scientifiques.

En outre, de nombreux experts estiment qu’il est possible de se passer progressivement de l’expérimentation animale, notamment en commençant par les domaines où les performances prédictives des méthodes non animales sont les mieux démontrées, comme en toxicologie. Les méthodes non‑animales aujourd’hui développées (organoïdes, organes sur puces, omics…) ont plusieurs avantages par rapport à l’expérimentation animale, le plus notable étant qu’elles sont plus prédictives, car elles se basent sur des modèles et structures cellulaires qui imitent celles de l’être humain. En effet, il est admis au sein de la communauté scientifique qu’aucune espèce n’est le modèle fiable d’une autre espèce, en raison de la spécificité propre à chacune d’entre elles. C’est en cela que l’expérimentation animale peut être scientifiquement considérée comme un archaïsme. Si elle a permis de mettre au point des médicaments et vaccins indispensables par le passé, elle a aujourd’hui atteint ses limites. L’échec de la recherche sur les maladies du cerveau telles qu’Alzheimer en est une illustration exemplaire : selon l’Alzheimer Research & Therapy Center, plus de 99 % des potentielles thérapies évaluées avec succès sur des modèles animaux ont été mis en échec lors des essais sur patients ([7]). Cependant, sans calendrier et objectifs chiffrés, une telle ambition ne peut que rester lettre morte.

Enfin, et c’est là l’argument principal pour acter une réduction réelle du nombre d’animaux utilisés dans les expériences, ces procédures sont moralement injustifiables. Le principe même d’utiliser, de manipuler, d’altérer génétiquement, de provoquer des maladies, de torturer, de tuer des animaux, au nom de la science, est une aberration éthique. Les conditions de « vie » des animaux dans ces laboratoires sont la plupart du temps désastreuses. D’innombrables campagnes associatives dénoncent régulièrement ces conditions : dans un rapport publié en avril 2023, l’association One Voice expose le calvaire infligé par l’expérimentation animale à des milliers de primates chaque année dans des laboratoires au Cambodge, en Indonésie, au Vietnam ou sur l’Île Maurice, où des laboratoires européens passent leurs « commandes » d’animaux à expérimenter. Les macaques à longue queue, pourtant déclarés comme espèce en danger d’extinction par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en 2022, étaient concernés. Le rapport dévoile des individus piégés, immobilisés au sol puis enfermés dans des cages pour « produire » des petits qui subiront toutes sortes d’expériences à l’autre bout du monde.

Mais le territoire français n’est pas exempt de ces atrocités. Le cas du laboratoire NeuroSpin, situé en Essonne, est révélateur de graves dysfonctionnements et négligences de la part de l’État, puisque l’association a démontré que le laboratoire enfreint la loi depuis plus de dix ans : cages trop petites, absence d’infirmerie, matériel non stérilisé, médicaments périmés, expérimentations sans agrément… De nombreux macaques ont été blessés, voire tués, par inattention du personnel ou incapacité. Or ce laboratoire est l’un des principaux centres de recherche du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC). Malgré ces pratiques illégales, en mars 2022, la préfecture de l’Essonne a permis à NeuroSpin de continuer ses activités sur les primates pour six ans de plus. À Gannat, dans l’Allier, et à Mézilles, dans l’Yonne, des élevages de chiens destinés à des laboratoires français et européens ont été épinglés par One Voice pour les conditions de vie indignes des animaux : selon l’association, les chiens n’ont pas accès à l’extérieur, ne reçoivent aucune caresse, le personnel n’a pas le droit de créer du lien affectif avec eux. Le traitement réservé à ces chiens est absurde, alors que plus de la moitié des Français accueillent un chien chez eux, et le traitent comme un membre de leur famille.

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Le 15 septembre 2021, le Parlement européen adoptait une résolution exhortant l’Union européenne et les États membres à accélérer la transition vers une recherche sans animaux, avec des « objectifs de réduction ambitieux et réalisables ainsi que des calendriers accompagnant l’objectif général de réduction et de remplacement afin d’encourager le changement ». C’est précisément le but de la présente proposition de loi. Elle a en effet pour objet d’encourager la transition de notre modèle actuel de recherche vers un modèle scientifique plus éthique, où les animaux seraient remplacés par des méthodes alternatives lorsque cela est possible, conformément aux dispositions de la directive européenne, qui parle même d’ » objectif final que constitue le remplacement total des procédures appliquées à des animaux vivants à des fins scientifiques et éducatives, dès que ce sera possible sur un plan scientifique » ([8]).

Pour cela, la présente proposition de loi cherche à agir sur plusieurs leviers relativement simples et peu coûteux pour l’État.

Elle impose en son article 1er un objectif chiffré de réduction du nombre d’animaux utilisés dans les procédures scientifiques à hauteur de 50 % du nombre d’animaux utilisés d’ici 2050, par rapport à la référence 2022. Elle incite l’État à tout mettre en œuvre pour inciter les établissements publics et privés de recherche scientifique à remplacer, partout où cela est possible, l’utilisation d’animaux par des méthodes alternatives scientifiquement satisfaisantes n’utilisant pas d’animaux. L’objectif proposé est réaliste, et s’inspire de la Stratégie intégrée de recherche et de test mise en œuvre par Sanofi, leader français de la recherche et du médicament, laquelle a créé les conditions de mise en œuvre de l’objectif d’une réduction de 50 % du nombre d’animaux utilisés entre 2020 et 2030, soit sur 10 ans. En 2023, Sanofi avait réduit le nombre d’animaux utilisés de 46,7 %. La présente proposition de loi fixe le même objectif de réduction mais sur 25 ans, ce qui laisse amplement le temps à l’État et aux établissements publics et privés de recherche d’adopter des politiques de réduction et de remplacement.

L’article 2 vise à réformer la composition et la gouvernance des comités d’éthique, conformément aux recommandations du Comité national de réflexion éthique en expérimentation animale (CNREEA), lequel préconisait aux comités d’éthique de faire appel des experts en remplacement, réduction et raffinement des expérimentations conduites sur les animaux, de privilégier la présence de vétérinaires ayant des compétences dans le soin des espèces, d’assurer la formation des membres des comités d’éthique en ce qui concerne les méthodes alternatives et de reconnaître les travaux des membres des comités d’éthique afin de garantir leur indépendance et de leur octroyer de meilleures conditions de travail. Tous ces aspects ont été intégrés à la présente proposition de loi. S’inspirant d’une autre recommandation du CNREEA, l’article 2 oblige les évaluations scientifiques transmises aux comités d’éthique de comporter un paragraphe spécifique sur l’impact et l’importance du modèle animal dans le projet d’expérimentation, afin d’assurer la prise en compte des principes des « 3 R » dès la conception du projet.

Le même article prévoit par ailleurs d’intégrer la société civile aux comités d’éthique et d’assurer la transparence de leur composition en rendant publics les noms de leurs membres, conformément aux recommandations de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Le rapport de l’OPECST de 2019 indique en effet que la société civile est peu, très mal ou pas réellement représentée dans ces comités d’éthique en France, ce qui porte atteinte à l’exigence d’impartialité qui incombe nécessairement à ces comités. Prenant exemple sur les pays scandinaves, et notamment la Suède, où la société civile compose la moitié des comités d’éthique, l’OPECST estimait que la composition jugée déséquilibrée des comités d’éthique pouvait permettre en partie d’expliquer le faible nombre de refus de projets d’expérimentations animales[9].

L’article 3 s’inspire des législations de certains pays européens comme l’Italie et les Pays‑Bas, et reconnaît un droit à l’objection de conscience aux étudiants, apprentis, stagiaires et alternants de la formation professionnelle lors d’expériences conduites sur des animaux, et interdit de leur accorder un traitement discriminatoire en raison de cette objection de conscience. De nombreuses universités ont déjà sauté le pas et remplacé leurs travaux pratiques comportant l’utilisation d’animaux par des méthodes modernes d’enseignement. Ainsi, le même article impose aux formations scientifiques de remplacer les animaux par des méthodes alternatives, partout où le modèle animal n’est pas absolument indispensable d’ici le 31 décembre 2030.

Cette disposition s’inspire du rapport de l’OPECST de 2019, lequel mettait en lumière « l’utilisation, par la France, de beaucoup plus d’animaux que ses voisins, pour l’enseignement (secondaire et supérieur) » et indiquait que, selon certains experts, « des efforts pourraient être utilement faits dans l’enseignement secondaire et supérieur pour réduire l’utilisation d’animaux ». En effet, il est crucial de former les étudiants et futurs professionnels de la recherche à ces méthodes et techniques innovantes qui ne recourent pas à l’utilisation d’animaux, afin de briser la chaîne de l’expérimentation animale.

L’article 4 reconnaît un droit à la retraite à tout animal utilisé à des fins scientifiques ou éducatives, à la charge de l’établissement propriétaire de l’animal. La retraite des animaux s’organise à travers le conventionnement obligatoire entre les établissements de recherche et les structures d’accueil d’animaux. L’article interdit également l’euthanasie des animaux utilisés à des fins scientifiques ou éducatives, sauf dans les cas où leur état de santé est irrémédiablement endommagé et que leur maintien en vie leur occasionnerait des souffrances indicibles.

Enfin, l’article 5 de la présente proposition de loi oblige à réaliser et à publier, sur une base de données dédiée, les appréciations rétrospectives des projets impliquant des animaux à des fins scientifiques, dès que possible et dans un délai d’un an après la procédure. En 2009, l’OPECST avait soutenu le principe de la création d’une base de données permettant aux chercheurs de partager des résultats ou des données obtenus au laboratoire, mais qu’ils n’auraient pas l’intention de publier par la voie classique ; ce qui permettrait de ne pas réitérer inutilement des expériences, notamment lorsqu’elles sont vouées à l’échec. Une telle base de données publique n’a pourtant jamais été mise en œuvre, malgré la simplicité de la mesure.

Cette obligation exigerait de l’expérimentateur qu’il rende des comptes sur les expérimentations menées a posteriori et pas seulement en amont. Il est primordial, pour réduire le nombre d’animaux, de disposer d’un plus grand nombre de « retours d’expériences » sur l’utilisation de ces derniers dans les projets de recherche scientifique.

 


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proposition de loi

Article 1er

L’article L. 214‑3 du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :

1° Au début du premier alinéa, est ajoutée la mention : « I. – » ;

2° Il est ajouté un II ainsi rédigé :

« II. – Pour répondre aux principes européens de protection et de sauvegarde des animaux utilisés à des fins scientifiques et éducatives, la politique de recherche nationale a pour objectif de réduire le nombre d’animaux utilisés dans le cadre des procédures expérimentales dans la recherche, lorsque cela est rendu possible par l’existence d’une méthode alternative scientifiquement satisfaisante, à hauteur de 50 % d’animaux utilisés d’ici le 31 décembre 2050, par rapport à la référence 2022. Afin d’éviter l’effet pervers d’externalisation de l’utilisation des animaux, les établissements publics et privés de recherche transmettent, chaque année, le nombre d’animaux utilisés pour les besoins de la recherche en France, que les expériences aient eu lieu sur le territoire national ou en dehors.

« L’État met tout en œuvre pour inciter les établissements publics et privés de recherche scientifique à remplacer, partout où cela est possible, l’utilisation d’animaux par des méthodes alternatives scientifiquement satisfaisantes n’utilisant pas d’animaux. 

« Les modalités d’application du présent II sont définies par décret. »

Article 2

Après l’article L. 214‑3 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 214‑3 bis ainsi rédigé :

« Art. L. 2143 bis. – Afin de tendre au maximum vers la réalisation des objectifs des 3R, les comités d’éthique en expérimentation animale intègrent à leur composition, au titre des personnes non spécialisées, des personnes disposant d’une compétence professionnelle en éthique, en droit des animaux, en sciences humaines et sociales ou des représentants de la société civile impliqués dans un travail associatif pertinent pour l’évaluation éthique des projets.

« Ils s’efforcent d’intégrer à leur composition, ou tout du moins font appel, pour les besoins de l’évaluation éthique d’un projet scientifique, à des experts en remplacement, réduction et raffinement des expérimentations conduites sur les animaux, tels que :

« – Pour l’objectif de remplacement, des spécialistes en biochimie, biologie moléculaire et cellulaire, des spécialistes des approches in vitro et in silico ;

« – Pour l’objectif de réduction, des spécialistes des analyses statistiques ;

« – Pour l’objectif de raffinement, des spécialistes d’éthologie, ou de vétérinaires spécialisés en algologie.

« Autant que possible, les comités d’éthique en expérimentation animale privilégient la présence de vétérinaires ayant des compétences dans le soin des espèces utilisées à des fins scientifiques dans les établissements utilisateurs relevant du comité d’éthique. 

« Les membres des comités d’éthique en expérimentation animale suivent de manière obligatoire une formation à l’évaluation éthique en expérimentation animale, conformément aux recommandations du comité national d’éthique en expérimentation animale.

« La participation collégiale des membres aux évaluations éthiques est favorisée.

« Les membres des comités d’éthique en expérimentation animale sont dotés d’une lettre de mission décrivant le contenu et la durée de sa mission, la prise en compte dans l’activité professionnelle du temps consacré au comité et garantissant son indépendance vis‑à‑vis de sa hiérarchie.

« La transparence des comités d’éthique en expérimentation animale est assurée par la publicité des noms de leurs membres. Les membres desdits comités ne peuvent être soumis à aucun lien de subordination à un établissement pour la mission qu’ils exercent.

« Les évaluations scientifiques transmises aux comités d’éthique en expérimentation animale comprennent un paragraphe spécifique sur l’impact et l’importance du modèle animal dans le projet, notamment la pertinence de l’utilisation d’animaux vivants, de l’espèce et du modèle utilisés, pour atteindre l’objectif scientifique du projet, par comparaison avec des approches alternatives, ainsi que toutes les informations concernant le remplacement, la méthodologie expérimentale, la réduction et le raffinement du projet évalué. »

Article 3

L’article L. 214‑3 du code rural et de la pêche maritime, dans la rédaction résultant de la présente proposition de loi, est complété par un III ainsi rédigé :

« III. – Aucun étudiant, stagiaire, apprenti, ou élève de la formation professionnelle n’est tenu de participer à un acte d’expérimentation animale et peut, pour obéir à sa conscience, refuser de pratiquer ou de concourir à un tel acte.

« Ce refus n’entraîne aucune discrimination dans la notation de l’étudiant. Une méthode alternative n’impliquant pas d’animaux est mise à la disposition de l’étudiant qui fait valoir son objection de conscience. 

« Partout où le modèle animal n’est pas strictement nécessaire, l’utilisation des animaux vivants à des fins d’enseignement et de formation est remplacée d’ici le 31 décembre 2030 par d’autres méthodes pédagogiques. »

Article 4

Après l’article L. 214‑3 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 241‑13 ter ainsi rédigé :

« Art. L. 2143 ter. – Un droit à la retraite est reconnu à tout animal utilisé à des fins scientifiques ou éducatives, qui doit pouvoir bénéficier d’une continuité de vie sereine et adaptée aux besoins physiologiques de son espèce après avoir été utilisé. Cette retraite est à la charge de l’établissement propriétaire de l’animal, qui conclut une convention avec une structure d’accueil d’animaux permettant de garantir la prise en charge et le bien‑être de l’animal. La retraite est prononcée par le vétérinaire habilité de l’établissement propriétaire après une utilisation de l’animal concerné lors d’un protocole modéré ou sévère au sens de l’annexe VIII de la directive 2010/63/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques. L’euthanasie des animaux utilisés à des fins scientifiques ou éducatives est interdite, sauf dans les cas où leur état de santé était irrémédiablement endommagé et que leur maintien en vie leur occasionnerait des souffrances indicibles. »

Article 5

Les appréciations rétrospectives des projets impliquant des animaux à des fins scientifiques sont réalisées pour tous les projets impliquant des animaux, quels qu’ils soient, dès que possible et dans un délai d’un an après la procédure, dans les conditions prévues par les recommandations du comité national d’éthique en expérimentation animale. Une base de données nationale publiant obligatoirement les appréciations rétrospectives est créée d’ici le 31 décembre 2025.

Article 6

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services. 

 

 


([1])  Utilisation d’animaux à des fins scientifiques dans les établissements français, Enquête statistique 2022, Direction générale de la recherche et de l’innovation

https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/2024-01/enqu-te-2022-utilisation-des-animaux-des-fins-scientifiques-31305.pdf

([2])  Rapport du 27 juin 2024 de la Commission européenne relatif à la mise en œuvre de la directive 2010/63/UE en 2022 https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-12496-2024-INIT/en/pdf

([3])  annexe VIII de la directive 2010/63/UE.

([4])  Rapport du 27 juin 2024 de la Commission européenne relatif à la mise en œuvre de la directive 2010/63/UE en 2022 https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-12496-2024-INIT/en/pdf

([5])  Ibid, (p.43)

([6])  Dura, Adelaide; Gribaldo, Laura; Deceuninck, Pierre (2021): EURL ECVAM Review of non- animal models in biomedical research - Neurodegenerative Diseases. Centre commun de recherche de la Commission européenne (JRC) [Dataset] PID: http://data.europa.eu/89h/a8fd26ef-b113-47ab-92ba-fd2be449c7eb

([7])  Cummings, J.L., Morstorf, T. & Zhong, K. Alzheimer’s disease drug-development pipeline: few candidates, frequent failures. Alz Res Therapy 6, 37 (2014). https://doi.org/10.1186/alzrt269

([8])  Considérant 10 de la directive 2010/63/UE du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques.

([9])  En 2018 en France sur 3 708 projets soumis, tous ont été acceptés, et en 2017 seule une dizaine de refus a été constatée.