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N° 1318

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 avril 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à lutter contre le non-recours aux droits sociaux,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Sandrine RUNEL, Mme Martine FROGER, Mme Marie-José ALLEMAND, M. Pouria AMIRSHAHI, M. Joël AVIRAGNET, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, M. Fabrice BARUSSEAU, Mme Béatrice BELLAY, M. Karim BENBRAHIM, M. Mickaël BOULOUX, M. Elie CALIFER, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Lionel CAUSSE, M. Paul CHRISTOPHLE, M. Pierrick COURBON, M. Alain DAVID, Mme Fanny DOMBRE COSTE, Mme Stella DUPONT, M. Inaki ECHANIZ, M. Romain ESKENAZI, M. Philippe FAIT, M. Olivier FALORNI, M. Olivier FAURE, M. Denis FÉGNÉ, M. Julien GOKEL, Mme Pascale GOT, M. Emmanuel GRÉGOIRE, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Florence HEROUIN-LÉAUTEY, Mme Céline HERVIEU, M. Sacha HOULIÉ, M. Cyrille ISAAC-SIBILLE, Mme Chantal JOURDAN, Mme Émeline K/BIDI, Mme Karine LEBON, M. Stéphane LENORMAND, M. Laurent LHARDIT, Mme Delphine LINGEMANN, M. Benjamin LUCAS-LUNDY, M. Christophe MARION, M. Max MATHIASIN, M. Emmanuel MAUREL, Mme Estelle MERCIER, M. Yannick MONNET, M. Philippe NAILLET, M. Jacques OBERTI, M. Hubert OTT, Mme Sophie PANTEL, Mme Constance DE PÉLICHY, M. Marc PENA, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, M. Dominique POTIER, M. Christophe PROENÇA, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Davy RIMANE, Mme Valérie ROSSI, Mme Claudia ROUAUX, M. Sébastien SAINT-PASTEUR, M. Hervé SAULIGNAC, M. Arnaud SIMION, M. Thierry SOTHER, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, Mme Mélanie THOMIN, Mme Anne-Cécile VIOLLAND,

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Notre système de protection sociale comprend des droits sociaux permettant théoriquement de protéger toute personne de la grande pauvreté : revenu de solidarité active (RSA), prime d’activité, assurance chômage et minimum vieillesse notamment. Seulement, une part significative des foyers ayants droit à ces prestations sociales n’en font pas la demande. C’est un tiers (34 %) des foyers éligibles au RSA qui n’en fait pas la demande en 2018 soit 600 000 foyers chaque semestre. Dans le cas de l’assurance chômage, ce taux de non‑recourants est estimé à 30 % en 2018‑2019, et atteint 50 % pour le minimum vieillesse en 2016 ([1]).

Ce non‑recours a notamment des conséquences directes sur les conditions de vie des personnes non requérantes, puisque, par exemple pour le RSA le montant des droits non perçus s’élèverait à 330 euros par mois et par unité de consommation. Par ailleurs, ce taux de non‑recours élevé pose question sur l’accessibilité à chacun et chacune aux droits et services publics.

Les causes du non recours sont diverses.

Elles peuvent être la méconnaissance des aides, les difficultés d’accès aux prestations ou la crainte du regard porté par la société. L’Observatoire des non‑recours aux droits et services (Odenore) distingue ainsi cinq formes de non‑accès aux droits : par non‑connaissance, par non‑proposition par les agents ou conseillers prestataires, par non‑demande, par non‑réception ou par non‑orientation. D’après une enquête de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) de 2021 ([2]), les raisons principales pouvant expliquer que certaines personnes n’aient pas recours aux aides et dispositifs sociaux en 2021 sont le manque d’information (39 %) et la complexité des démarches (23 %).

Pour les personnes en situation de précarité et/ou âgées, l’enjeu de la fracture numérique explique également ce non‑recours aux droits fondamentaux.

En effet, la dématérialisation des services publics s’est fortement accélérée depuis environ dix ans, interrogeant les conséquences induites par des relations administratives dématérialisées. Pour certaines personnes, cette dématérialisation est activatrice, voire génératrice de difficultés d’accès aux droits. Plus encore que d’être un facteur de non‑recours, cette dématérialisation totale est une source de distance sociale : comment lutter contre le non‑recours, si administration et personnes concernées n’ont plus de lieu pour communiquer ?

De fait, la faculté d’accéder à des plateformes en ligne nécessite l’accès matériel à un ordinateur ou smartphone et à internet, mais également la maîtrise des procédures administratives et de compétences numériques (messagerie électronique, scan de documents,…). Pour les personnes en situation de précarité et/ou âgées, l’accès à ces outils et compétences n’est pas acquis.

En effet, en 2019, c’est 17 % des ménages qui n’ont pas accès à un ordinateur et 14 % qui n’ont pas accès à internet ([3]). C’est également 15 % de la population française qui est en situation d’illectronisme en 2021, soit environ 10 millions de personnes. L’illectronisme est plus répandu chez les séniors, les personnes les plus précaires, les moins diplômés, les habitants des départements et régions d’outre‑mer ainsi que les personnes vivant seules. Pour ces personnes, l’objectif de services publics 100 % dématérialisés complexifie et freine leur accès aux droits et services. Le basculement vers les démarches en ligne crée des obstacles, retarde et complexifie l’accès des usagers aux prestations sociales.

En outre, la disparition progressive de la relation de l’État à l’usager « au guichet » complexifie encore davantage l’accès aux droits des foyers aux profils atypiques ne rentrant pas dans les cases des formulaires électroniques. Les relations directes permettent par ailleurs aux personnes de mieux appréhender les conditions d’accès aux droits et services, dans une démarche de pédagogie et d’accessibilité.

Pour lutter contre cet éloignement de l’État et assurer à toutes et tous une procédure d’accès aux droits et prestations adaptée, cette proposition de loi préconise de conserver plusieurs modalités d’accès aux services publics, pour qu’aucune démarche administrative ne soit uniquement accessible par voie dématérialisée. C’est également la recommandation de la Défenseure des droits dans son rapport de 2019 sur la dématérialisation et les inégalités d’accès aux services publics.

Par ailleurs, considérant que la complexité des démarches est l’une des causes principales du non‑recours aux droits et aux prestations, les services publics cherchent depuis quelques années à faciliter les procédures. C’est notamment l’ambition de la nouvelle réforme de la solidarité à la source pour le RSA et la prime d’activité, généralisée dans toutes les Caisses d’allocations familiales de France (Caf) de France depuis mars 2025. En mettant en place un pré‑remplissage des déclarations trimestrielles de ressources des allocataires, la solidarité à la source allège la charge déclarative pour les bénéficiaires, qui était auparavant très lourde et fastidieuse.

C’est dans cette logique de simplification des procédures pour les ayants droit de prestations sociales que cette proposition de loi vise à consacrer le principe de saisine unique auprès d’une administration octroyant plusieurs droits (par exemple, la Caf).

L’introduction du minimum net social est une première étape dans cette harmonisation des demandes selon les prestations. Néanmoins, le législateur prévoit, aujourd’hui, des pièces justificatives différentes, des formulaires différents selon les prestations, complexifiant les demandes de droits groupées. C’est notamment le cas des Caf qui administrent différentes prestations sociales (RSA, allocation aux adultes handicapés [AAH], prime d’activité, aide personnalisée au logement [APL]…) mais pour lesquelles les bénéficiaires doivent remplir plusieurs demandes, alourdissant la procédure encore davantage.

Or si le non‑recours concerne l’accès aux prestations sociales, il touche également les droits connexes auxquels les ayants droit peuvent bénéficier (tarifs sociaux pour les transports publics, complémentaire santé solidaire, aides locales, etc…). Pour réduire ce non recours aux droits connexes, les administrations ont besoin de pouvoir transférer les données concernant les bénéficiaires afin d’automatiser l’ouverture des droits connexes (exemple particulièrement parlant pour les tarifs sociaux pour les transports publics).

Dans la logique « Ditesle nous une fois », cette proposition de loi vise ainsi à faciliter les ouvertures de droits entre les administrations et consacrer le principe de saisine unique auprès d’une administration octroyant plusieurs droits, afin de soulager la charge déclarative des bénéficiaires.

Tel est l’objet de cette proposition de loi.

L’article 1er vise à encadrer la dématérialisation des démarches administratives en garantissant le maintien des démarches papier et postale une fois qu’une démarche est dématérialisée.

L’article 2 vise à faciliter les ouvertures de droit entre administrations. Aujourd’hui, les données transmises par un usager à une première administration (ex. Caf) pour ouvrir un droit (ex. RSA, prime d’activité) ne sont pas systématiquement transmises et utilisées par d’autres administrations pour ouvrir d’autres droits (ex. : Centre communal d'action sociale [CCAS], tarif social pour les opérateurs de transport, etc.). Il s’agit ici de systématiser ces échanges dans une logique de « Dites‑le nous une fois ».

L’article 3 vise à consacrer le principe d’une saisine unique auprès d’une administration octroyant plusieurs droits. Aujourd’hui, un usager peut avoir à transmettre plusieurs demandes - comportant notamment les mêmes données - pour ouvrir plusieurs droits par une même administration (ex. CAF). Il s’agit ici de prévoir que toute administration octroyant plusieurs droits fasse remplir un formulaire unique comportant l’ensemble des données dont elle a besoin pour octroyer - ou non - ces droits.

L’article 4 vise à gager la présente proposition de loi.

 


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proposition de loi

Article 1er

Le troisième alinéa de l’article L. 112‑9 du code des relations entre le public et l’administration est ainsi rédigé :

1° Les mots : « a mis » sont remplacés par le mot : « met » ;

2° À la fin, les mots : « réservé à l’accomplissement de certaines démarches administratives, une administration n’est régulièrement saisie par voie électronique que par l’usage de ce téléservice » sont remplacés par les mots : « , l’administration maintient une procédure de saisine physique et par voie postale ».

Article 2

I. – À la première phrase du premier alinéa du II de l’article L. 114‑8 du code des relations entre le public et l’administration, les mots : « peuvent échanger » sont remplacés par le mot : « échangent » ;

II. – Le I du présent article entre en vigueur à une date déterminée par décret, et au plus tard au 1er janvier 2027.

Article 3

La sous‑section 2 de la section 1 du chapitre II du titre Ier du livre Ier du code des relations entre le public et l’administration est complétée par un article L. 113‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1131. – Une administration met à la disposition du public un formulaire unique collectant l’ensemble des informations nécessaires à l’examen des droits qu’elle octroie. »

Article 4

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

III. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


([1])  Les Dossiers de la Drees n°97 (2022), Documents d’études n°263 de la Dares (2022).

([2])  Drees, “Prestations sociales : pour quatre personnes sur dix, le non recours est principalement lié au manque d’information”, Etudes et Résultats n°1263, avril 2023. Données du Baromètre d’opinion 2021 de la Drees.

([3])  Insee, “Ordinateur et accès à Internet : les inégalités d’équipement persistent selon le niveau de vie”, Insee Focus n°226, 2021