N° 1325

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 avril 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à pérenniser les haltes soins addictions,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Anna PIC,

députée.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La politique de réduction des risques liés à l’usage de drogues en France a connu une avancée majeure avec l’expérimentation des « salles de consommation à moindre risque » (SCMR), instaurées par la loi en 2016 pour une durée de six ans ([1]). En 2021, cette expérimentation a été prolongée sous une nouvelle appellation, « haltes “soins addictions” » (HSA), jusqu’à la fin de l’année 2025 ([2]). Ces dispositifs s’inscrivent dans la continuité des stratégies de santé publique mises en place depuis les années 1990 afin de limiter les dommages sanitaires et sociaux liés à l’usage de produits psychoactifs.

Les HSA offrent aux usagers de drogues un cadre sécurisé où ils peuvent consommer des substances licites ou illicites sous la supervision de professionnels de santé. En plus de réduire le risque de contamination par le VIH et le virus de l’hépatite C (VHC), elles permettent de prévenir les complications médicales graves, ainsi que de limiter les overdoses, parfois mortelles.

Depuis 2016, seules deux HSA ont été mises en place en France, à Paris et à Strasbourg, avec des modèles d’organisation distincts. La HSA parisienne, située à proximité de l’hôpital Lariboisière dans un quartier densément peuplé autour de la gare du Nord, accueille exclusivement des usagers injecteurs. À Strasbourg, la structure intégrée au nouvel hôpital civil prend en charge à la fois les usagers injecteurs et les inhaleurs et propose, depuis 2021, une expérimentation unique comprenant vingt places d’hébergement.

L’impact positif des HSA est désormais solidement établi. De nombreuses études internationales et, plus récemment, les travaux menés en France par l’Inserm ainsi que ceux de l’IGA/IGAS confirment leurs bénéfices significatifs ([3]) ([4]).

Le bilan des HSA est très largement bénéfique sur le plan sanitaire. Sur une période de dix ans à partir de l’ouverture des haltes de Paris et de Strasbourg, les projections de l’Inserm indiquent qu’elles permettraient d’éviter 6 % des infections par le VIH et 11 % des infections par le VHC. Leur impact est encore plus marqué sur la prévention des overdoses, des complications médicales et des hospitalisations avec une réduction de 69 % des overdoses, 71 % des passages aux urgences et 77 % des cas d’abcès et d’endocardites associés.

Les HSA favorisent la réinclusion médicosociale des publics les plus précaires. Les usagers des HSA sont, le plus souvent, marqués par l’errance, la violence de la rue et par des pathologies chroniques. Il s’agit de personnes en situation d’échec face aux dispositifs traditionnels de prise en charge en addictologie, et particulièrement éloignées des établissements sociaux, médico‑sociaux ou sanitaires existants. À Paris, selon l’IGAS, 40 % des usagers sont issus de l’aide sociale à l’enfance, et 79 % se trouvent en situation d’hébergement instable à leur arrivée. Les HSA permettent ainsi un accompagnement vers des parcours de soins durables : en 2023, 51 % des usagers parisiens ont pu accéder à un Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) après y avoir stabilisé leur situation. Les HSA sont donc une solution complémentaire de l’existant mais essentielle dans un parcours de prise en charge global.

Les HSA sont une solution économiquement efficace. L’analyse coût‑efficacité menée par l’Inserm montre que leur impact financier est globalement favorable, avec un total estimé à 6 millions d’euros de coûts médicaux évités à Paris et 5,1 millions d’euros à Strasbourg. Cette économie résulte principalement de la réduction des passages aux urgences, représentant 3,5 millions d’euros économisés à Paris et 3,1 millions à Strasbourg, ainsi que de la diminution des cas d’endocardites, avec un gain estimé à 1,7 million d’euros à Paris et 1,5 million à Strasbourg.

Les HSA contribuent également à l’amélioration de la tranquillité publique en réduisant la consommation de rue et la délinquance. Depuis 2016, environ 550 000 injections ont eu lieu dans ces structures, entraînant une chute significative du nombre de seringues abandonnées aux abords des centres, passant de 150 à moins de 10 par jour à Paris. De plus, contrairement aux idées reçues, ces dispositifs ne génèrent pas de hausse de la délinquance. L’étude de l’Inserm montre que les usagers des HSA de Paris et Strasbourg sont moins auteurs de délits que ceux qui n’y ont pas accès, comme à Bordeaux et Marseille. La probabilité de commettre une infraction y est réduite d’une dizaine de points pour les usagers bénéficiant d’une HSA. Des études similaires menées à Sydney et Vancouver aboutissent aux mêmes conclusions ([5]) ([6]). De nombreux dispositifs de dialogue (comités de voisinage, ligne téléphonique directe, etc.) permettent par ailleurs de répondre aux questions et préoccupations des riverains tout en facilitant la coordination entre les différents acteurs concernés, notamment les services de police.

Le soutien aux HSA est largement partagé par les Français et les professionnels concernés. En réduisant la pression sur les services hospitaliers, les forces de l’ordre et les tribunaux, ces structures permettent aux différents acteurs publics de se concentrer sur d’autres enjeux prioritaires. À Paris, plusieurs collectifs de riverains et de parents d’élèves se sont constitués pour défendre la HSA du 10e arrondissement. Plus globalement, 80 % des Français se déclarent favorables au principe des HSA, 76 % à l’ouverture de nouvelles structures, et 55 % à l’ouverture d’une HSA dans leur propre quartier[7].

Dès lors, après neuf années d’expérimentation, il convient de pérenniser le dispositif des haltes « soins addictions ».

 


– 1 –

proposition de loi

Article 1er

I. – Après l’article L. 3411‑9 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 3411‑9‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 341191. – I. – Une halte “soins addictions” est un espace de réduction des risques par usage supervisé et d’accès aux soins, dans le respect d’un cahier des charges national arrêté par le ministre chargé de la santé.

« Une halte “soins addictions” est ouverte dans chaque centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques et des dommages pour usagers de drogue mentionnés à l’article L. 3411‑9 et chaque centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie mentionnés à l’article L. 3411‑6, désigné par arrêté du ministre chargé de la santé, pris après avis du directeur général de l’agence régionale de santé territorialement compétente et en concertation avec le maire de la commune concernée et, à Paris, Lyon et Marseille, en concertation avec le maire d’arrondissement ou de secteur concerné.

« II. – Une halte “soins addictions” accueille les usagers de substances psychoactives ou classées comme stupéfiants qui souhaitent bénéficier de conseils en réduction de risques dans le cadre d’usages supervisés mentionnés à l’article L. 3411‑8.

« Elle est située dans les locaux du centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques et des dommages pour usagers de drogue et du centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie, dans des locaux distincts ou dans une structure mobile.

« III. – La personne qui détient pour son seul usage personnel et consomme des stupéfiants à l’intérieur d’une halte “soins addictions”, dans le respect des conditions fixées dans le cahier des charges mentionné au I. du présent article, ne peut être poursuivie pour usage illicite et détention illicite de stupéfiants.

« Le professionnel intervenant au sein d’une halte “soins addictions” et qui agit conformément à sa mission de supervision et d’accès aux soins ne peut être poursuivi pour complicité d’usage illicite de stupéfiants et pour facilitation de l’usage illicite de stupéfiants. »

II. – Le chapitre préliminaire du titre VI du livre Ier du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Après le 11° de l’article L. 160‑8, il est inséré un 12° ainsi rédigé :

« 12° La couverture des frais relatifs à l’activité des centres mentionnés à l’article L. 3411‑9‑1 du code de la santé publique. »

2° Après le 32° de l’article L. 160‑14, il est inséré un 33° ainsi rédigé :

« 33° Pour les frais occasionnés par une prise en charge dans les centres mentionnés à l’article L. 3411‑9‑1 du code de la santé publique. »

III. – L’article 43 de la loi n° 2016‑41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé est abrogé.

Article 2

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

III. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les alcools prévue au chapitre III du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


([1]) Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016, article 43.

([2]) Loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021, article 83.

([3]) « Salles de consommation à moindre risque : rapport scientifique », Inserm, mai 2021.

([4]) « Les haltes soins addictions : Un dispositif expérimenté depuis 2016 pour réduire les risques et nuisances associés à la consommation de stupéfiants dans l’espace public », IGA/IGAS, octobre 2024.

[5] Karen Freeman et al. « The impact of the Sydney Medically Supervised Injecting Centre (MSIC) on crime », Drug and Alcohol Review, vol. 24, n°2, 2005, p. 173-184.

[6] Micheal John Milloy et al. « Recent incarceration and use of a supervised injection facility in Vancouver, Canada », Addiction Research & Theory, vol. 17, n°5, 2009, p. 538-545.

[7] Enquête sur les représentations, opinions et perceptions sur les psychotropes (EROPP), Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), édition 2018.