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N° 1374
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 mai 2025.
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
visant à garantir le droit du sol comme fondement de l’acquisition de la nationalité française,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
« Vive la République universelle ! », Louise Michel, 1871
Le droit du sol est intimement lié à ce qui fonde la République
Le droit du sol a une histoire millénaire dans notre pays et dans le bassin méditerranéen que nous avons en partage. Déjà à Rome, à partir du 4e siècle avant notre ère, les citoyens des cités du Latium acquièrent le droit de cité romain, jusqu’à ce que celui‑ci soit étendu progressivement à toute la République puis à l’Empire jusqu’à l’édit de Caracalla en l’an 212, appliqué sur notre territoire actuel. C’est alors une conception « ouverte » et métissée de la nationalité qui naît, contraire à la tradition du sang en vigueur dans les pays du Nord de l’Europe. La nationalité est alors indissociable des droits civiques et fondée d’abord sur l’appartenance à une communauté politique de résidence et d’exercice démocratique.[1]
En 1315, c’est le roi Louis X qui déclare libre tout esclave touchant le sol de France. En 1515, vingt ans avant la proclamation de la langue française comme langue du Royaume, le droit du sol est affirmé en rendant sujet du roi de France tout enfant né sur le sol français de parents étrangers. Avant même la République, le droit du sol est constitutif du visage que présente la France au monde.
Le droit du sol fait un pas supplémentaire avec la Révolution française : il entre alors au fondement de l’établissement de notre Nation républicaine. Les révolutionnaires marquent ainsi dans la Constitution de 1791 que « sont citoyens français […] ceux qui, nés en France d’un père étranger, ont fixé leur résidence dans le Royaume ». La nationalité n’est plus différente de la citoyenneté : est Français celui qui vit ici et qui acquiert pour cela des droits politiques d’exercice de la souveraineté. Aucune division ethnique ou religieuse ne peut empêcher un citoyen français de l’être à part entière et à égalité avec ses concitoyens.
En 1793, l’accès à la nationalité est encore facilité, à l’article 4 de la nouvelle Constitution : « Tout homme né et domicilié en France, âgé de 21 ans accomplis ; – Tout étranger âgé 21 ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année – Y vit de son travail – Ou acquiert une propriété – Ou épouse une Française – Ou adopte un enfant – Ou nourrit un vieillard ; – Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l’humanité – Est admis à l’exercice des Droits de citoyen français ». C’est un principe à vocation universelle : toute personne née ou habitant en France, liée ou concourant de quelque façon que ce soit au destin du pays doit se voir conférer l’exercice de la citoyenneté.
Hormis un retour à la loi du sang sous Napoléon et les nombreuses tentatives du régime de Vichy d’y attenter, ce droit est consolidé et réaffirmé à plusieurs reprises en République française : en 1889, en 1927 et en 1973. Il fait partie de ce que nous sommes et garantit l’unité de notre peuple sur notre devise : Liberté, Égalité, Fraternité.
Faire face à une offensive réactionnaire sans précédents
Aujourd’hui, toute l’extrême droite cherche à remettre en cause ce principe fondamental définissant la France, avec l’appui récent de membres du Gouvernement Bayrou. Prétextant une « submersion migratoire » alors que le solde migratoire est stable depuis vingt ans dans notre pays, elle prétend restreindre le droit du sol partout où cela est possible.
À commencer par les Outre‑mer, qu’elle cherche ainsi à soustraire au territoire de la République et à l’égalité en droits avec l’Hexagone. A Mayotte par exemple, le droit du sol connaît sous l’influence de l’extrême droite un recul sans précédent. En 2018, la loi Collomb restreint l’accès à la nationalité par la naissance : il faut que l’un des parents prouve une situation régulière depuis plus de trois mois avant l’accouchement pour que son enfant puisse prétendre à la nationalité. En 2024, étaient visés, avec Mayotte, la Guyane et Saint‑Martin. Aujourd’hui, sur demande de Mme Marine Le Pen, de M. Gérald Darmanin à M. Bruno Retailleau, tous revendiquent l’abrogation pure et simple du droit du sol à Mayotte, anticipant sa suppression partout en France. Et ce quand bien même il est prouvé que « l’attractivité de notre droit de la nationalité relève assez largement du mythe ». ([2])
Ces attaques ne sont pas nouvelles, mais elles gagnent en intensité. Dès 1984, des élus de la droite proposent de supprimer le droit du sol. En 1993, la loi Pasqua instaure une obligation de manifester la volonté d’obtenir la nationalité par l’enfant entre 16 et 21 ans. Abrogée sous M. Lionel Jospin, une disposition similaire réapparaît dans la loi immigration de 2024 reprenant des pans entiers du programme du Rassemblement national.
Si celui‑ci propose bien de supprimer totalement le droit du sol actuellement en vigueur, y compris le double droit du sol, il n’est désormais plus le seul dans l’espace politique. Dorénavant, le ministre de la Justice estime que « le débat public doit s’ouvrir sur le droit du sol dans notre pays » et le ministre de l’intérieur se dit « favorable à restreindre le droit du sol à l’ensemble du territoire français ».
Droit du sol et double droit du sol aujourd’hui
Le droit français consacre deux façons d’accéder à la nationalité par le droit du sol inscrites dans notre code civil. Le droit du sol tel qu’il est souvent décrit fait référence à l’article 21‑7. Il est loin d’y être automatique : selon les spécialistes, il peut être même considéré comme un « droit du sol relatif », ou un « droit du sol conditionnel et différé ». ([3]) Cet article permet à un enfant né en France de deux parents étrangers d’obtenir la nationalité française. Mais il ne peut l’obtenir qu’à 18 ans (ou sur demande de ses parents à partir de 13 ans ou de lui‑même à partir de 16 ans), et à condition de résider en France et d’avoir résidé en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans depuis l’âge de 11 ans.
Ce droit du sol concerne plus de 30 000 jeunes par an, pour des générations de plus de 700 000 personnes nées en France, et sur 80 000 personnes nées en France de parents étrangers. C’est‑à‑dire que moins de la moitié seulement des enfants nés en France de parents étrangers accède finalement à la nationalité. Ils ne représentent qu’un tiers seulement des 100 000 Français nouvellement reconnus chaque année. Parmi eux, seuls 2 000 jeunes environ bénéficieront d’une nationalité dite automatique, c’est‑à‑dire sans en avoir fait de déclaration préalable. ([4])
Mais le droit du sol est fait aussi de ce qu’on appelle le « double droit du sol », à l’article 19‑3 du code civil. Il précise qu’ » est français l’enfant né en France lorsque l’un de ses parents au moins y est lui‑même né ». Celui‑ci concerne près de 100 000 nouveau‑nés chaque année, soit autant que pour tous les autres modes d’acquisitions de nationalité française chaque année. Mais surtout il fonde la reconnaissance de la nationalité pour tous les Français, soit y compris pour les Français issus du droit du sang ! Comme l’explique le Rapport de la Commission de la nationalité de 1987 : « le [double droit du sol] permet à la très grande majorité des « Français par le sang » d’apporter facilement la preuve de leur nationalité qui serait, sans ce moyen, une preuve « diabolique » à établir car elle exigerait de remonter à l’infini la chaîne de la filiation ». Il est donc au fondement de la définition de la nationalité dans notre pays.
L’urgence de protéger ce droit : faire France de tout bois
Pourtant, ce droit n’est inscrit nulle part dans notre Constitution. Ainsi, il n’y a pas de garde‑fou solide au règne de la loi du sang en France. Robert Badinter, quand il était président du Conseil constitutionnel, affirmait que « si le législateur avait supprimé le droit du sol, la question [de savoir s’il est un principe fondamental reconnu par les lois de la République] se poserait bien ». Sinon, comme cela a été démontré en 2018 pour la loi Mayotte, l’ancien Garde des Sceaux constatait qu’il était possible « simplement d’en adapter certaines modalités » sans risquer de censure. ([5])
Cela laisse présager toute sorte d’atténuation le rendant impossible dans les faits, ce qui empêcherait des enfants par milliers d’être reconnus comme citoyens de leur pays. D’ailleurs, personne ne mentionne les risques qui courraient alors sur la suppression du double droit du sol, les deux étant inextricablement liés. Il est donc urgent de l’inscrire dans notre Constitution.
De plus, nous ne nous contentons pas du fait que la Constitution puisse peut‑être le garantir en l’état : nous affirmons qu’elle doit le garantir pleinement dès maintenant. Plusieurs pays dans le monde l’ont déjà fait, et pour certains depuis longtemps. Les États‑Unis d’Amérique ont depuis 1789 dans leur 14e amendement que « Toute personne née ou naturalisée aux États‑Unis, et soumise à leur juridiction, est citoyenne des États‑Unis et de l’État dans lequel elle réside ». Le Mexique a depuis 1917 un article entier consacré aux règles d’accès à sa nationalité dans lequel figure le droit du sol en premier, comme un droit dès la naissance : « Est mexicain par naissance celui qui né sur le territoire de la République, quel que soit la nationalité de ses parents ». Plus récemment, l’Équateur a suivi ce modèle en 2008 sous la présidence de Rafael Correa, à son article 7 de la Constitution : « Sont équatoriens et équatoriennes de naissance les personnes nées en Équateur ».
La Constitution française ne possédant pas de tel article décrivant les règles relatives à la nationalité, si ce n’est à son article 34 précisant que la nationalité relève du domaine de la loi, il nous est apparu essentiel de le faire figurer en haut de notre Constitution, à l’endroit même où les grands principes et caractéristiques de la communauté nationale en République sont affirmés.
Il nous appartient aujourd’hui de donner au droit du sol une place protégée et centrale dans notre Constitution, à la hauteur de sa place dans les principes républicains qui unissent notre peuple. En conformité avec son histoire longue, et à l’heure des défis mondiaux auxquels le peuple français a vocation à participer pleinement, la République française a plus que jamais pour devoir de faire France de tout bois.
L’article unique de la présente proposition de loi constitutionnelle propose d’inscrire le droit du sol à l’article premier de notre Constitution, afin de garantir qu’il puisse continuer de fonder l’accès à la nationalité française et qu’il ne puisse lui être porté atteinte.
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PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
Article unique
L’article premier de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La loi garantit l’accès à la nationalité française à tout enfant né sur le sol français. »
([1]) Florence Dupont, Rome, la ville sans origine. L’Énéide: un grand récit du métissage ?, Paris, Gallimard, 2011, 202 pages.
([2]) https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/02/15/fin-du-droit-du-sol-a-mayotte-l-attractivite-de-notre-droit-de-la-nationalite-releve-assez-largement-du-mythe_6216638_3232.html
([3]) https://www.francetvinfo.fr/vrai-ou-fake/vrai-ou-faux-l-automaticite-du-droit-du-sol-a-laquelle-jordan-bardella-dit-vouloir-mettre-fin-existe-t-elle-vraiment_6631404.html https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/02/17/restreindre-le-droit-du-sol-pour-limiter-l-immigration-un-non-sens_6550317_3232.html#:~:text=Chaque%20ann%C3%A9e%2C%20un%20peu%20plus%20de%2030%20000%20jeunes%20deviennent,ans%20depuis%20ses%2011%20ans.
([4]) Acquisitions de la nationalité française. Données de 1999 à 2023, Insee, 2024 ; Naissances selon la nationalité et le pays de naissance des parents. Données annuelles de 1998 à 2023, Insee, 2024.
([5]) Compte rendu de la séance du 20 juillet 1993 du Conseil Constitutionnel.