N° 1389
_____
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 mai 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à reprendre en main et moderniser le système du titre-restaurant en s’inspirant du chèque-vacances,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Boris TAVERNIER, Mme Christine ARRIGHI, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, Mme Delphine BATHO, Mme Lisa BELLUCO, M. Nicolas BONNET, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Julie LAERNOES, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, Mme Eva SAS, M. Nicolas THIERRY, Mme Dominique VOYNET, Mme Christine PIRÈS BEAUNE,
députés et députées.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Une réforme structurelle du titre‑restaurant s’impose. Dispositif plébiscité par les travailleurs et les travailleuses, le titre‑restaurant est utilisé aujourd’hui par plus de 5 millions de salariés pour une valeur faciale globale de près de 10 milliards d’euros. Son objectif est de contribuer au repas du salarié qui ne dispose pas dans son entreprise d’une cantine ou d’un local aménagé. Les titres‑restaurants sont achetés par les employeurs auprès d’opérateurs privés qui les commercialisent. Le salarié contribue également à leur financement. L’État de son côté se mobilise par des exonérations fiscales et sociales pour environ 1,5 milliard d’euros chaque année.
Bien qu’en croissance, force est de constater qu’aujourd’hui le système dysfonctionne. Le marché du titre‑restaurant est dominé par 4 grands opérateurs qui se partagent 99 % des parts de marché. Cette organisation oligopolistique du marché est source de dérives, en témoigne la condamnation de ces quatre opérateurs en 2023 à plus de 400 millions d’euros d’amende pour pratiques anticoncurrentielles.
À un marché défaillant, l’Autorité de la concurrence pointe également une hausse continue des taux de commission pour les commerçants et notamment les restaurateurs. Cette hausse vient pénaliser une profession déjà fragilisée par de multiples phénomènes : l’inflation, un temps de pause repas des salariés qui se contracte, la hausse du coût de l’énergie, la concurrence de la livraison à domicile ou encore la possibilité depuis 2022 pour les salariés de faire leurs courses en grande distribution avec leurs titres‑restaurants.
Au‑delà d’un système qui dysfonctionne, le titre‑restaurant, malgré un soutien public important via la défiscalisation, passe à côté des enjeux majeurs que sont la lutte contre la précarité alimentaire et la transition vers une alimentation plus durable.
Cette proposition de loi vise donc à corriger le système en s’inspirant d’un outil fonctionnel, proche dans la pratique mais fondamentalement différent dans l’intention et qui a fait la preuve de son efficacité : le chèque‑vacances et l’Agence nationale du chèque‑vacances (ANCV).
Instituée par le ministère du Temps libre en 1982 pour favoriser le départ en vacances des salariés, l’Agence nationale du chèque‑vacances est un établissement public qui gère le chèque‑vacances.
Entièrement autofinancée par son activité commerciale, l’Agence nationale du chèque‑vacances propose aux commerçants des taux de commissions transparents et plus faibles que ceux pratiqués par les opérateurs de titres‑restaurants. À ces commissions réduites, les excédents de l’activité chèque‑vacances permettent à l’ANCV de financer pour plusieurs dizaines de millions d’euros par an des associations qui permettent aux plus fragiles de partir en vacances.
Dans un souci d’amélioration de la politique publique et prenant acte de ce qui fonctionne et de ce qui dysfonctionne, cette proposition de loi vise à transformer le système du titre‑restaurant en s’inspirant du modèle du chèque‑vacances.
Pour cela, l’article 1er met un terme au marché des titres‑restaurants dans son organisation actuelle. Concrètement, il donne le monopole de l’émission et du remboursement des titres‑restaurants à un nouvel établissement public à caractère industriel et commercial : l’Agence nationale pour le titre‑restaurant (ANTR). Construit sur le modèle de l’Agence nationale pour le chèque vacances, cet article précise la gouvernance de ce nouvel établissement ainsi que ses moyens et sa mission, à savoir gérer et développer les titres‑restaurants et concourir aux politiques d’accès à l’alimentation. Il rend obligatoire la signature de conventions entre les lieux de distribution alimentaire et l’ANTR. Ces conventions peuvent intégrer des critères de durabilité et de qualité de l’alimentation. Cet article consacre également la vocation sociale de l’ANTR qui concourt aux politiques d’accès à l’alimentation par le financement - via ses excédents - d’actions de lutte contre la précarité alimentaire.
Cet article vient également faciliter la vie des salariés bénéficiaires de titres‑restaurants en pérennisant de facto l’utilisation des titres restaurants pour acheter des produits alimentaires non‑immédiatement consommables et en donnant le droit aux bénéficiaires d’utiliser leur titre‑restaurant où ils le souhaitent, quand ils le souhaitent. Il légalise également le fait de donner son titre‑restaurant.
L’article 2 fixe l’entrée en vigueur de la loi au 1er janvier 2027. Cette date permet de laisser le temps aux opérateurs privés de s’adapter au changement de législation et à l’ANTR de se mettre en ordre de marche. Par ailleurs, elle apporte une certaine sécurité juridique aux salariés bénéficiant de titres‑restaurants en venant prendre le relai de la loi n° 2025‑56 du 21 janvier 2025 visant à prolonger la dérogation d’usage des titres restaurant pour tout produit alimentaire dont le contenu arrivera à expiration le 31 décembre 2026.
L’article 3 vient gager cette proposition de loi.
– 1 –
proposition de loi
Article 1er
Le chapitre II du titre VI du livre II de la troisième partie du code du travail est ainsi rédigé :
« Section 1
« Dispositions générales
« Art. L. 3262‑1. – Le titre‑restaurant est un titre spécial de paiement remis par l’employeur aux salariés pour réaliser des dépenses alimentaires auprès de commerces, de restaurants ou de toute autre structure conventionnée.
« Ces titres sont émis par l’Agence nationale pour le titre‑restaurant.
« Art. L. 3262‑2. – Les restaurants, commerces et autres structures qui souhaitent pouvoir accepter des titres‑restaurants doivent avoir signé une convention avec l’Agence nationale pour le titre‑restaurant suivant les conditions fixées à l’article L. 3262‑9 du code du travail.
« Art. L. 3262‑3. – Un salarié peut recevoir un titre‑restaurant y compris si son horaire de travail ne comprend pas un temps de pause pour la restauration. Il peut librement céder son titre à autrui. Il peut l’utiliser sur l’ensemble du territoire national et tous les jours de la semaine.
« Art. L. 3262‑4. – Les titres qui n’ont pas été présentés au remboursement par un organisme mentionné à l’article L. 3262‑2 du code du travail avant la fin du deuxième mois suivant l’expiration de leur période d’utilisation sont définitivement périmés.
« La contre‑valeur des titres périmés est affectée au bénéfice d’actions de lutte contre la précarité alimentaire et de construction de filières alimentaires territorialisées.
« Art. L. 3262‑5. – Conformément à l’article 81 du code général des impôts, lorsque l’employeur contribue à l’acquisition des titres par le salarié bénéficiaire, le complément de rémunération qui en résulte pour le salarié est exonéré d’impôt sur le revenu dans la limite prévue au 19° dudit article.
« Section 2
« Agence nationale pour le titre‑restaurant
« Art. L. 3262‑6. – Un établissement public de l’État à caractère industriel et commercial doté de l’autonomie financière, prenant le nom d’Agence nationale pour le titre‑restaurant, est seul chargé d’émettre les titres‑restaurants et de rembourser les personnes et organismes dans les conditions fixées à l’article L. 3262‑1.
« Il est placé sous la tutelle du ministre de l’économie et des finances et du ministre chargé du travail et soumis au contrôle économique et financier de l’État.
« Cet établissement est habilité à financer des opérations de nature à faciliter l’accès de tous à une alimentation durable, y compris par des aides destinées à construire et consolider des filières alimentaires territorialisées et solidaires.
« Art. L. 3262‑7. – L’Agence nationale pour le titre‑restaurant est habilitée à exercer toute activité qui se rattache directement ou indirectement à sa mission de gérer et développer le dispositif du titre‑restaurant. Elle concourt à la mise en œuvre des politiques d’accès à l’alimentation.
« Conformément aux orientations définies par son conseil d’administration, elle attribue des aides permettant de soutenir le financement d’actions favorisant l’accès de tous à l’alimentation.
« Art. L. 3262‑8. – L’Agence nationale pour le titre‑restaurant est administrée par un conseil d’administration comprenant des représentants des bénéficiaires de titre‑restaurant, désignés sur proposition des organisations syndicales intéressées, des représentants des employeurs, des représentants des structures d’acceptation des titres‑restaurants, des représentants de l’État et des collectivités territoriales, des personnalités qualifiées compétentes dans le domaine de la transition du système alimentaire et dans le domaine social, et des représentants des personnels de l’agence élus par ceux‑ci.
« Elle est dirigée par un directeur général.
« Art. L. 3262‑9. – Une commission de conventionnement est chargée de définir les critères notamment environnementaux, sociaux et économiques que doivent respecter les structures qui souhaitent pouvoir accepter des titres‑restaurants. Cette commission est composée de :
« 1° Des représentants des bénéficiaires de titres‑restaurants, désignés sur proposition des organisations syndicales intéressées ;
« 2° Des représentants de structures acceptant les titres‑restaurants ;
« 3° Des personnalités qualifiées, compétentes dans le domaine de la transition des systèmes alimentaires et dans le domaine social.
« Art. L. 3262‑10. – Une commission d’attribution est chargée de proposer au directeur général l’affectation des aides mentionnées à l’article L. 3262‑7. Elle comprend, en nombre égal :
« 1° Des représentants des bénéficiaires de titres‑restaurants, désignés sur proposition des organisations syndicales intéressées ;
« 2° Des représentants de l’État ;
« 3° Des personnalités qualifiées, compétentes dans le domaine de la transition du système alimentaire et dans le domaine social.
« La qualité de membre de cette commission est incompatible avec celle de membre du conseil d’administration de l’agence et avec celle de gestionnaire d’un organisme bénéficiaire d’une aide mentionnée à l’article L. 3262‑7.
« Art. L. 3262‑11. – Les ressources de l’Agence nationale pour le titre‑restaurant comprennent notamment :
« 1° Les commissions perçues à l’occasion de la cession et du remboursement des titres‑restaurants et les retenues pour frais de gestion effectuées à l’occasion des opérations d’affectation de la contre‑valeur des titres périmés ;
« 2° Les produits financiers résultant notamment du placement des fonds reçus en contrepartie de la cession des titres‑restaurants ;
« 3° Les concours financiers sous forme de subventions, d’emprunts ou d’avances consentis par l’État et les personnes publiques et privées ;
« 4° Le produit des publications ;
« 5° Le produit des participations ;
« 6° Les revenus des biens meubles et immeubles de l’établissement public et le produit de leur aliénation ;
« 7° Les dons et legs ;
« 8° La rémunération des services rendus.
« Section 3
« Dispositions d’applications
« Art. L. 3262‑12. – Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application de la présente section. »
Article 2
La présente loi entre en vigueur le 1er janvier 2027.
Article 3
I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
II. – La perte de recettes pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
III. – La perte de recettes pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.