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N° 1392

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 mai 2025.

PROPOSITION DE LOI

 visant à réguler le fractionnement du travail dans le secteur de la propreté,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Océane GODARD, Mme Marie-José ALLEMAND, M. Joël AVIRAGNET, M. Christian BAPTISTE, M. Fabrice BARUSSEAU, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Laurent BAUMEL, Mme Béatrice BELLAY, M. Karim BENBRAHIM, M. Mickaël BOULOUX, M. Philippe BRUN, M. Elie CALIFER, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Paul CHRISTOPHLE, M. Pierrick COURBON, M. Alain DAVID, M. Arthur DELAPORTE, M. Stéphane DELAUTRETTE, Mme Dieynaba DIOP, Mme Fanny DOMBRE COSTE, M. Peio DUFAU, M. Inaki ECHANIZ, M. Romain ESKENAZI, M. Olivier FAURE, M. Denis FÉGNÉ, M. Guillaume GAROT, M. Julien GOKEL, Mme Pascale GOT, M. Emmanuel GRÉGOIRE, M. Jérôme GUEDJ, M. Stéphane HABLOT, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Florence HEROUIN-LÉAUTEY, Mme Céline HERVIEU, M. François HOLLANDE, Mme Chantal JOURDAN, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Gérard LESEUL, M. Laurent LHARDIT, Mme Estelle MERCIER, M. Philippe NAILLET, M. Jacques OBERTI, Mme Sophie PANTEL, M. Marc PENA, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, M. Dominique POTIER, M. Pierre PRIBETICH, M. Christophe PROENÇA, Mme Marie RÉCALDE, Mme Valérie ROSSI, Mme Claudia ROUAUX, M. Aurélien ROUSSEAU, M. Fabrice ROUSSEL, Mme Sandrine RUNEL, M. Sébastien SAINT-PASTEUR, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Hervé SAULIGNAC, M. Arnaud SIMION, M. Thierry SOTHER, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, Mme Mélanie THOMIN, M. Boris VALLAUD, M. Roger VICOT, M. Jiovanny WILLIAM,

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi vise à encadrer le fractionnement du travail dans le secteur de la propreté, car elle impacte directement les conditions de travail et la qualité de vie des professionnelles et professionnels concernés.

Les agents de propreté jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement de nos services publics, des entreprises et des espaces de vie. 

Nous les avons applaudis chaque soir à vingt heures durant la pandémie de covid‑19, qui a mis en lumière l’importance vitale de ces professions pour la santé publique et la continuité de la vie économique et sociale. L’exposition Psychodémie, présentée au musée Mucem de Marseille du 10 décembre 2021 au 25 mars 2022, a d’ailleurs illustré l’impact de cette crise sur nos sociétés et la reconnaissance tardive accordée à ces travailleuses et travailleurs. Pourtant, cette prise de conscience ponctuelle n’a pas suffi à améliorer durablement leurs conditions de travail.

Pourtant, leur travail demeure largement invisibilisé. 31 % des salariés de la propreté travaillent à 6 heures du matin contre 8 % de l’ensemble des salariés, selon l’enquête « Conditions de travail » de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), parue en 2019. Ils sont majoritairement employés en horaires décalés ‑ tôt le matin, tard le soir ou répartis en plusieurs vacations au cours de la journée ‑, ils exercent dans des temporalités où la majorité des usagers et des travailleurs ne les rencontrent pas. Cette réalité contribue à une forme d’effacement de leur contribution, alors même qu’elle est indispensable au maintien de l’hygiène et de la salubrité, et conduit à un manque de reconnaissance général pour le travail effectué. En effet, les horaires décalés impliquent que le travailleur n’a pas d’interaction avec les bénéficiaires de son service. Plus largement, il s’agit de poser la question de la valeur même de son travail qui nécessite d’être valorisée. La sécurisation des parcours professionnels est un enjeu central de cette proposition de loi pour lutter contre la précarisation et favoriser des emplois de qualité. Aujourd’hui, le fractionnement du travail impose aux employeurs de multiplier les contrats à temps partiel, ce qui rend les parcours professionnels plus instables. En repensant l’organisation du travail, cette proposition de loi permettrait de structurer des emplois plus attractifs, avec une meilleure reconnaissance et des conditions plus favorables à l’épanouissement professionnel et personnel.

Les travailleuses et travailleurs de la propreté sont loin de tout collectif ; structurellement, il s’agit d’un exercice souvent solitaire. En effet, dans le cas de contrats souscrits avec un donneur d’ordre, ceux‑ci ne sont pas nécessairement renouvelés, y compris dans le public. En découlent des contraintes ; comment avoir de la visibilité dans le futur pour ces travailleurs laissés‑pour‑compte des politiques des ressources humaines ? La possibilité d’un travail fractionné, dans des horaires plus proches du rythme biologique naturel, permettra aux travailleurs de réduire la fatigue accumulée entre leurs services. Le travail de nuit impacte en effet le sommeil, le syndrome métabolique, et a des effets probables sur la santé psychique ou encore les maladies cardiovasculaires. À long terme, cela pourra réduire le taux d’absentéisme et les coûts liés aux soins de santé, ainsi qu’améliorer la productivité et la qualité de vie au travail et l’attractivité d’un métier qui à ce jour comprend seulement 6 % des jeunes de moins de 25 ans. 

Au‑delà des enjeux professionnels, cette proposition de loi a un impact social majeur. 

Il s’agit de concilier vie professionnelle et vie personnelle ; nombreuses et nombreux sont les travailleurs du secteur qui voient leur organisation quotidienne entravée par des horaires qui limitent leur vie sociale, familiale, affective, sportive et associative. Une agente de propreté depuis 33 ans, décrit sa routine : « Se lever à 4 heures, rouler en pleine nuit pour prendre son poste à 5 heures, nettoyer des bureaux vides pendant 3 heures, sans jamais croiser personne, puis rentrer chez soi, pour recommencer éventuellement le même cycle, dans une autre entreprise, en fin de journée… ».

À titre d’exemple, l’impact est positif dans le cas de parents en ce qu’il favorise le développement affectif de leurs enfants. S’ils sont présents aux moments‑clés de la journée - le matin avant l’école, le soir après la classe - ils bénéficient d’un encadrement affectif et éducatif plus stable, essentiel pour le bien‑être émotionnel et l’épanouissement des enfants, dans l’optique d’une parentalité plus sereine, avec des effets positifs sur le temps long.

Si nous favorisons des horaires de travail intégrés au rythme de la société, nous améliorerons ainsi la qualité de vie des travailleuses et des travailleurs et nous favorisons leur engagement ainsi que ceux de leurs proches dans la vie en société. 

Les horaires de travail ne permettent par ailleurs pas de bénéficier des conditions de transport les plus adaptées. 

Dans les grandes agglomérations et leurs périphéries, ces travailleurs doivent souvent parcourir de longues distances pour rejoindre leur lieu d’exercice, notamment dans les bassins d’emploi à forte polarisation urbaine. Ces trajets peuvent être particulièrement contraignants en raison d’une offre de transport en commun peu adaptée à leurs besoins spécifiques : fréquences réduites en dehors des heures de pointe, absence de dessertes nocturnes ou encore correspondances limitées. Faute d’alternatives viables, beaucoup sont contraints d’utiliser leur véhicule personnel, ce qui engendre des coûts supplémentaires liés au carburant, au stationnement et à l’entretien, et ce qui contribue à la congestion routière et aux émissions de gaz à effet de serre. La proposition de loi va donc dans le sens d’une réduction de l’empreinte carbone, de la congestion urbaine et encourage des comportements de mobilité plus durables et collectifs. 

L’article 1er vise à réguler le travail fractionné dans la propreté dans le secteur privé. 

Pour ce faire, il pose le principe que tout travail fractionné réalisé par ces travailleurs doit être justifié par la continuité de l’activité économique ou celle de services publics. Cette justification sera validée par l’Inspection du travail.

Enfin, et dans l’objectif de respecter le dialogue social, cet article renvoie les modalités de sa mise en œuvre à un accord de branche.

Un tel accord de branche serait à négocier dans les 6 mois suivant la promulgation de la proposition de loi (sensibilisation des employés dans les bureaux au passage en journée des services de nettoyage, prise en charge des frais de transports publics, etc…). De manière à inciter les partenaires sociaux à trouver un accord, il est proposé que sans accord trouvé dans les six mois, le ministre du travail puisse reprendre la main et fixer par arrêté les modalités de mise en œuvre. Le passage à un travail en journée nécessite l’accompagnement des entreprises et des collectivités dans l’évolution des pratiques, dans le sens d’une adaptation progressive et concertée.

L’article 2 procède aux mêmes évolutions dans le secteur public. Même s’il demeure peu d’agents publics dans le secteur de la propreté - l’essentiel de ces activités ayant été confié à des prestataires privés - il s’agit ici de ne pas créer de failles dans la législation.

L’article 3 procède aux mêmes évolutions pour la commande publique, sauf naturellement le renvoi à un accord de branche. 

Par le biais de l’exemplarité de la commande publique, les marchés publics ont un rôle clé à jouer dans ces évolutions. En tant que donneurs d’ordre majeurs, l’État et les collectivités doivent intégrer ces exigences dans leurs appels d’offres afin d’inciter les entreprises à adopter des pratiques plus responsables. 

Malgré les circulaires successives du Gouvernement de 2008, 2013 et 2022 visant à encourager le travail en journée des agents de propreté dans les marchés publics, leur mise en œuvre concrète reste limitée et inégale selon les acheteurs publics. Une majorité des marchés de l’État intègrent ces principes, mais les études de faisabilité qui sont fondamentales pour adapter les horaires de travail aux réalités des sites restent marginales. Par ailleurs, ces circulaires ne s’imposent pas aux autres acheteurs publics (collectivités, hôpitaux, universités, bailleurs sociaux).

L’article 4 constitue le gage financier.

 


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proposition de loi

Article 1er

Le paragraphe 1 de la sous‑section 1 de la section 2 du chapitre Ier du titre II du livre Ier de la troisième partie du code du travail est complété par un article L. 3121‑16‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 3121161. – Tout fractionnement du travail conduisant à des vacations d’une amplitude inférieure à six heures des travailleurs relevant de la branche professionnelle des entreprises de propreté et services associés ne peut être autorisé que s’il concourt à la continuité d’activité économique essentielle. Cette autorisation est fournie par l’agent de contrôle de l’inspection du travail mentionné à l’article L. 8112‑1. 

« Les modalités de mise en œuvre du présent article sont déterminées par un accord de branche négocié en application du titre III du livre II de la deuxième partie du code du travail et conclu dans les six mois suivant la promulgation de la loi n°     du      visant à réguler le fractionnement du travail dans le secteur de la propreté. En l’absence d’accord, le ministre chargé du travail détermine sans délai par arrêté lesdites modalités. »

Article 2

Le code général de la fonction publique est ainsi modifié : 

1° Après le 2° de l’article L. 222‑3, il est inséré un 2° bis ainsi rédigé : 

« 2° bis Les modalités de mise en œuvre de l’article L. 612‑8‑1 ; » 

2° La section 1 du chapitre II du titre Ier du livre VI est complétée par un article L. 612‑8‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 61281. – Tout fractionnement du travail conduisant à des vacations d’une amplitude inférieure à six heures des agents publics affectés sur un poste dont les activités relèvent de la propreté ne peut être autorisé que s’il concourt à la continuité du service. Cette autorisation est fournie par l’agent de contrôle de l’inspection du travail mentionné à l’article L. 8112‑1. »

Article 3

Le I de l’article L. 2112‑2‑1 du code de la commande publique est complété par une phrase ainsi rédigée : « Pour ces marchés répondant à un besoin relatif à des services de propreté, l’acheteur prévoit également des conditions d’exécution limitant au strict impératif de continuité du service le fractionnement du travail conduisant à des vacations d’une amplitude inférieure à six heures. »

Article 4

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

III. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.