N° 1398

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 mai 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer la sécurité et à encadrer l’usage des engins de déplacement personnel motorisés,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Marc CHAVENT,

député.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis une dizaine d’années, les trottinettes électriques, monoroues, gyropodes et autres engins sont partout, dans nos villes comme dans nos campagnes. Démocratisés au tournant des années 2010, ils incarnent un mode de déplacement novateur, agile et résolument tourné vers l’avenir. Moyens de transport individuel à faible empreinte carbone, ils représentent une opportunité considérable pour la mobilité dite « douce » et les trajets de courte distance.

Leur simplicité d’usage et leur coût d’acquisition modéré les rendent particulièrement attractifs pour une population diversifiée : adolescents, étudiants, actifs en milieu urbain, travailleurs précaires, mais aussi personnes résidant en zone périurbaine et ne disposant pas du permis de conduire.

Cette démocratisation s’explique également par l’évolution de nos infrastructures urbaines. Le développement des pistes cyclables et des zones partagées a favorisé l’essor des engins de déplacement personnel motorisés (EDPM), tandis que leur légèreté, leur faible consommation d’énergie, leur entretien limité et leur facilité de stockage ont su convaincre les usagers.

Toutefois, l’irruption massive et rapide de ces engins dans l’espace public a également engendré des dérives : conduite sans casque ni protections, circulation sur les trottoirs ou les voies rapides, modifications techniques augmentant leur vitesse ou leur autonomie de manière illégale, usage collectif d’engins prévus pour un seul utilisateur, et plus largement une cohabitation souvent chaotique avec les autres modes de transport, notamment piétons et cyclistes.

Dès 2011, la Cour de cassation avait considéré qu’une trottinette à moteur thermique était un véhicule terrestre à moteur non homologué et qu’un tel véhicule ne devait pas circuler sur la voie publique (Cour de cassation, 2ème chambre civ., 17 mars 2011, n° 1014.938). Face au constat de l’absence d’un cadre réglementaire clair, le régulateur a progressivement comblé le « vide juridique » dont bénéficiaient les EDPM par le recours à l’adoption d’actes réglementaires.

Une première étape importante a été franchie avec le décret n° 20191082 du 23 octobre 2019, article 23, qui a intégré les EPDM dans le Code de la route au sein des engins de déplacement personnel motorisés, leur conférant ainsi un statut juridique propre et des règles spécifiques de circulation.

Un second tournant a été opéré avec le décret n° 2023848 du 1er septembre 2023, qui a répondu à l’augmentation préoccupante des accidents en relevant l’âge minimum de conduite d’une trottinette électrique de 12 ans à 14 ans. Il a également renforcé le régime de sanctions : le transport de passagers et la circulation sur des voies interdites, auparavant punis d’une amende de 2e classe (35 euros), sont désormais des infractions de 4e classe passibles d’une amende de 135 euros (Décret n° 2023848 du 1er septembre 2023, Légifrance). Ce même texte a introduit une obligation de port d’équipements réfléchissants la nuit ou en cas de visibilité réduite, soulignant une volonté de sécurisation accrue.

Enfin, le décret n° 20241074 du 27 novembre 2024 a poursuivi cet effort de clarification et d’adaptation aux réalités du terrain. Il autorise l’ajout de dispositifs d’éclairage ou de signalisation complémentaires sur l’engin ou portés par le conducteur. Il prévoit aussi la possibilité de circuler à deux de front sur certaines voies identifiées (notamment les voies vertes, les aires piétonnes ou les zones de rencontre), dans le souci d’assurer une meilleure lisibilité des comportements attendus dans l’espace public partagé.

Pour autant, ces avancées règlementaires ne nous semblent plus suffisantes pour répondre à l’urgence de la situation.

Les chiffres de l’accidentologie sont sans appel : en 2024, l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR) recensait 44 décès et plus de 780 blessés graves liés à l’usage des EDPM, dont la grande majorité impliquait des trottinettes électriques (ONISR, « La sécurité routière en France - Bilan 2025 », 30 janvier 2025). Les usagers de ces engins, souvent peu ou mal protégés, sont particulièrement exposés lors de collisions, y compris à faible vitesse.

Malgré le durcissement du cadre réglementaire, de nombreux comportements à risque perdurent. Le transport de passagers reste courant, alors même que les trottinettes actuelles ne sont pas conçues pour supporter un tel usage. La circulation en dehors des voies autorisées, sur les trottoirs notamment, continue de mettre en danger piétons et usagers vulnérables. Ces comportements, bien qu’infractionnels, sont trop rarement sanctionnés, faute de moyens de contrôle adaptés et de pédagogie suffisante.

En outre, la réglementation technique des trottinettes après leur mise sur le marché demeure lacunaire. Aujourd’hui, de nombreuses trottinettes font l’objet de modifications illégales (bridage levé, ajout de batteries, moteur changé) permettant d’atteindre des vitesses très supérieures à celles prévues par la législation. Il ne saurait être question d’imposer un contrôle technique aux particuliers ‑ une telle mesure serait aussi inapplicable qu’injuste ‑ mais il est en revanche possible de cibler les acteurs professionnels de la filière des vendeurs et réparateurs d’EPDM.

Enfin, toute tentative de régulation doit garder à l’esprit que les EPDM ont une l’utilité sociale et écologique. Elles répondent à une vraie demande de mobilité, permettent de désengorger les transports en commun dans certaines zones, et participent à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.

De manière cohérente avec l’ensemble de ces remarques, la présente proposition de loi vise à renforcer la sécurité et à encadrer l’usage des engins de déplacement personnel motorisés.

L’article 1er de la proposition de loi vise à compléter le code de la route par l’insertion d’un chapitre dédié à la circulation des engins de déplacement personnel motorisés (EDPM) et des cyclomobiles légers, au sein du titre III du livre IV. Ce nouveau chapitre vise à encadrer strictement l’usage de ces engins, dont la multiplication rapide sur la voie publique pose des enjeux croissants de sécurité routière, de responsabilité et d’ordre public.

La section 1 de ce chapitre énonce les dispositions générales applicables à l’usage des EDPM. Elle pose, en premier lieu, le principe de l’obligation, pour tout conducteur, de porter un casque homologué, conforme aux normes techniques définies par voie réglementaire. Cette mesure de sécurité individuelle répond à l’augmentation du nombre d’accidents impliquant des EDPM. Le non‑respect de cette obligation est sanctionné par une contravention de quatrième classe.

L’article 1er interdit également la conduite d’un engin de déplacement personnel motorisé aux mineurs de moins de seize ans. Toutefois, afin de prendre en compte les usages encadrés et les possibilités de mobilité des plus jeunes, une exception est prévue pour les mineurs âgés de quatorze à seize ans, à condition que la vitesse maximale de leur engin soit limitée à quinze kilomètres par heure.

L’interdiction du transport de passagers sur les engins de déplacement personnel motorisés est également prévue. Ils ne pourront être utilisés que par un seul conducteur, sous peine d’une contravention de quatrième classe.

La vitesse maximale autorisée pour les EDPM est aussi encadrée. Elle est fixée à vingt kilomètres par heure en agglomération et vingt‑cinq kilomètres par heure hors agglomération. Afin de garantir le respect effectif de ces limitations, il est prévu que tout engin mis en circulation après l’entrée en vigueur de la présente loi soit équipé d’un limiteur de vitesse non modifiable.

La section 2 du nouveau chapitre est consacrée aux contrôles et aux sanctions. Elle introduit des dispositions permettant de lutter contre la modification illégale des engins.

Sous ce régime, sera puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait de circuler sur la voie publique avec un engin ayant fait l’objet d’une modification technique ayant pour effet d’en augmenter la vitesse ou la puissance au‑delà des limites fixées par la réglementation. Il prévoit en outre que l’engin modifié puisse faire l’objet d’une mesure de confiscation pour une durée maximale de trente jours. En cas de récidive légale, le véhicule du conducteur est saisi.

L’article L. 435‑1 introduit une infraction spécifique visant à réprimer les pratiques commerciales de débridage. Le fait, pour toute personne morale, de proposer à la vente, de commercialiser ou d’installer un dispositif permettant de modifier un engin dans le but d’en accroître la vitesse ou la puissance au‑delà des seuils légaux est puni de trois ans d’emprisonnement, de 300 000 euros d’amende et d’une mesure de fermeture administrative de l’établissement pour une durée maximale de trente jours. Cette disposition vise à assécher l’offre de kits de débridage et à responsabiliser les acteurs économiques du secteur.

L’article 2 de la proposition de loi renvoie à un décret en Conseil d’État la définition des modalités d’application de l’ensemble de ces dispositions, notamment les normes techniques applicables aux limiteurs de vitesse et les procédures de contrôle associées.

Tel est le sens de la proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui.

 


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proposition de loi

Article 1er

Le titre 3 du livre 4 du code de la route est complété par un chapitre 5 ainsi rédigé :

« Chapitre 5

« Circulation des engins de déplacement personnel motorisés et des cyclomobiles légers

« Section 1

« Dispositions générales

« Art. L. 4351. – Tout conducteur d’un engin de déplacement personnel motorisé porte un casque homologué, conformément aux normes techniques fixées par arrêté du ministre chargé des transports.

« Le non‑respect de cette obligation est puni de l’amende prévue pour les contraventions de quatrième classe.

« Art. L. 4352. – I. – La conduite d’un engin de déplacement personnel motorisé est interdite aux mineurs de moins de 16 ans, à l’exception du cas prévu au II du présent article.

« II. – La vitesse maximale des engins de déplacement personnel motorisés destinés aux mineurs âgés de 14 à 16 ans doit être limitée à 15 km/h.

« Art. L. 4353. – I. – Les engins de déplacement personnel motorisés ne peuvent transporter qu’un conducteur.

« II. – Le fait de circuler sur un engin de déplacement personnel motorisé en ne respectant pas le III est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe.

« Art. L. 4354. – Les engins de déplacement personnel motorisés ne peuvent circuler à une vitesse supérieure à 20 km/h en agglomération et 25 km/h hors agglomération.

« Tout engin mis en circulation après l’entrée en vigueur du présent article doit être équipé d’un limiteur de vitesse non modifiable, dont les caractéristiques techniques sont définies par décret.

« Section 2

« Contrôles et sanctions

« Art. L. 4355. – I. – Est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait de circuler sur la voie publique au moyen d’un engin de déplacement personnel motorisé ayant fait l’objet d’une modification technique ayant pour effet d’en augmenter la vitesse ou la puissance au‑delà des limites fixées par la réglementation.

« II. – L’engin de déplacement personnel motorisé mentionné au I peut faire l’objet d’une mesure de confiscation pour une durée maximale de trente jours.

« III. – En cas de récidive légale, le véhicule du conducteur est saisi.

« Art. L. 4356. – Le fait, pour toute personne morale, de proposer à la vente, de commercialiser ou d’installer un dispositif permettant de modifier un engin de déplacement personnel motorisé en vue d’en accroître la vitesse ou la puissance au‑delà des limites réglementaires est puni de trois ans d’emprisonnement, de 300 000 euros d’amende et d’une fermeture administrative de l’établissement d’une durée maximale de trente jours. »

Article 2

Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application de la présente loi, notamment les normes techniques des limiteurs de vitesse et les procédures de contrôle.