N° 1416
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 mai 2025.
PROPOSITION DE LOI
portant moratoire des zones à faibles émissions,
(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Éric CIOTTI, les membres du groupe UDR [(1)],
députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les zones à faibles émissions (ZFE) trouvent leur fondement juridique dans plusieurs textes de loi successifs, qui ont progressivement renforcé les restrictions de circulation sous couvert de lutte contre la pollution atmosphérique.
La loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015 a ainsi réformé le dispositif en zones à circulation restreinte (ZCR) afin de permettre aux collectivités locales d’interdire certains véhicules en fonction de leur classification Crit’Air, instaurant les premières interdictions concrètes de circulation. Ce mouvement a été amplifié par la loi d’orientation des mobilités (LOM) de 2019 qui a marqué un tournant en rendant obligatoire l’instauration de ZFE dans les zones où la qualité de l’air était jugée insuffisante, ce qui concernait 11 agglomérations comme Paris, Lyon, Marseille, Strasbourg, Rouen ou encore Grenoble. Enfin, la loi « Climat et Résilience » de 2021 est allée encore plus loin en imposant les ZFEs dans toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants, soit 45 métropoles en 2025 représentant 40 % de la population française.
Malgré ce cadre législatif, la mise en place des ZFE souffre d’un manque criant de cohérence et d’applicabilité. Le rapport du Sénat de 2023 souligne que les collectivités locales sont « au pied du mur », confrontées à des contraintes techniques, financières et sociales considérables. Certaines agglomérations, comme Amiens ou Perpignan, ont bénéficié de dérogations, tandis que d’autres, comme Dijon ou Toulon, ont suspendu l’application des ZFE malgré leur obligation légale.
De plus, la mise en place du contrôle automatisé des ZFE, prévu pour 2026, soulève d’importantes questions sur son efficacité et son acceptabilité. Le retard pris dans le déploiement de la lecture automatique des plaques d’immatriculation laisse présager une gestion chaotique, où les erreurs de verbalisation seront inévitables.
Surtout, les ZFEs ont un impact négatif disproportionné sur les classes populaires et les habitants des zones périurbaines. Selon une enquête de 2025 de la Ligue de défense des conducteurs, les ZFE pourraient mettre en péril l’emploi d’un demi‑million de personnes. Ce constat alarmant s’explique par l’incapacité de nombreux ménages à remplacer leur véhicule pour se conformer aux normes Crit’Air imposées.
L’accès à la mobilité étant essentiel pour se rendre au travail, faire ses courses ou accéder aux services publics, ces restrictions aggravent les fractures sociales et territoriales existantes. Le rapport du Sénat mentionne notamment le cas du 3ᵉ arrondissement de Marseille, l’un des plus pauvres de France, où 52 % des véhicules sont classés Crit’Air 3, 4 ou 5, ce qui signifie qu’ils seront progressivement bannis des ZFE. Ce phénomène a conduit certains observateurs à parler d’un véritable « délit de pauvreté », les plus modestes étant exclus de la mobilité urbaine simplement parce qu’ils n’ont pas les moyens d’acheter une voiture récente ou électrique.
De surcroît, l’alternative des transports en commun ne constitue pas une solution viable pour tous. De nombreuses zones périurbaines et rurales restent mal desservies, rendant la voiture indispensable. Loin de résoudre le problème, les ZFE risquent donc d’exclure une partie de la population des grandes agglomérations.
Par ailleurs, si les ZFE se justifient par la nécessité de lutter contre la pollution de l’air, leur efficacité réelle est loin d’être prouvée. Plusieurs études montrent que la qualité de l’air en France s’est déjà considérablement améliorée au cours des 20 dernières années, et ce, bien avant la mise en place des ZFE.
Ainsi, en ce qui concerne la diminution des polluants, le site gouvernemental MieuxRespirerEnVille.gouv.fr montre que les émissions d’oxydes d’azote (NOx) ont diminué de 60 % et celles des particules fines de 53 % depuis le début des années 2000.
A titre d’exemple également, pour la Métropole du Grand Paris, entre 2005 et 2021, les NOx ont baissé de 68 % et les particules fines de 42 %.
Par ailleurs, le système Crit’Air lui‑même souffre d’incohérences manifestes. Un SUV récent, plus lourd et plus énergivore, peut obtenir une meilleure classification qu’une petite citadine diesel de 10 ans parfaitement entretenue. De plus, les nouvelles sources de pollution, telles que l’abrasion des freins et des pneus, ne sont pas prises en compte dans les critères Crit’Air, alors qu’elles constituent une part croissante des émissions de particules fines.
Enfin, le remplacement accéléré du parc automobile risque d’avoir un effet pervers sur l’environnement. Produire une voiture électrique ou hybride nécessite des ressources considérables (métaux rares, batteries lithium‑ion), dont l’extraction et le transport génèrent une empreinte carbone non négligeable. Si l’objectif est véritablement écologique, une approche plus progressive serait bien plus pertinente.
Les promoteurs des ZFE ne devraient pas oublier l’origine du mouvement des Gilets Jaunes, qui est né d’une augmentation des taxes sur les carburants, perçue comme une attaque contre les classes populaires et les travailleurs dépendants de leur voiture. Les Français qui travaillent en ont, à raison, assez de se voir imposer toujours plus de contraintes.
Face à cette pression populaire, plusieurs villes ont déjà reculé. En Allemagne, certaines métropoles ont abandonné le dispositif, et en France, même des municipalités dirigées par des écologistes commencent à abandonner le dispositif.
Ainsi, au vu des importantes critiques que soulèvent ce dispositif des ZFE, un moratoire s’impose comme une nécessité. Ce dispositif, loin d’être une réponse adaptée aux enjeux environnementaux, crée une fracture sociale inacceptable et se révèle inapplicable à grande échelle.
Loin d’un écologisme punitif et excluant, une politique de transition bien pensée doit allier efficacité environnementale et justice sociale.
Il est urgent de prendre du recul et de mettre en place une transition plus équilibrée. Tel est le sens de la présente proposition de loi.
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proposition de loi
Article 1er
L’application des articles L. 2213‑4‑1 et L. 2213‑4‑2 du code général des collectivités territoriales est suspendue pour une durée de cinq années à compter de la promulgation de la présente loi.
Article 2
L’application des articles 107, 123 et 124 de la loi n° 2021‑1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets est suspendue pour une durée de cinq années à compter de la promulgation de la présente loi.
[(1)](1) Ce groupe est composé de : M. Alexandre ALLEGRET-PILOT, M. Charles ALLONCLE, Mme Brigitte BARÈGES, M. Matthieu BLOCH, M. Bernard CHAIX, M. Marc CHAVENT, M. Éric CIOTTI, Mme Christelle D’INTORNI, M. Olivier FAYSSAT, M. Bartolomé LENOIR, Mme Hanane MANSOURI, M. Maxime MICHELET, M. Éric MICHOUX, Mme Sophie RICOURT VAGINAY, M. Vincent TRÉBUCHET, M. Gérault VERNY.