N° 1495

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 juin 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer l’indépendance et la transparence des procédures d’autorisation des pesticides,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Loïc PRUD’HOMME,

député.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’exposition aux pesticides constitue un enjeu majeur de santé publique. Des études épidémiologiques ont mis en évidence des liens entre l’exposition professionnelle aux pesticides et une augmentation du risque de certaines pathologies graves, telles que les lymphomes non hodgkiniens, les tumeurs cérébrales, les cancers de la prostate, de l’ovaire, du poumon et les mélanomes. Chez les enfants, une présomption forte de lien a été identifiée entre l’exposition aux pesticides et des leucémies aiguës, ainsi que des troubles du développement neuropsychologique et moteur.

L’expertise collective de l’Inserm en 2021 ([1]) confirme son propre rapport de 2013 ([2]) et met en évidence des présomptions fortes de liens entre certaines pathologies et l’exposition aux pesticides, des professionnels, des enfants, comme des riverains et de la population générale. Au cours des années, l’accumulation de données épidémiologiques est venue estomper très largement les derniers doutes qui pouvaient subsister sur la dangerosité des produits phytosanitaires pour la santé humaine. Ces pathologies liées à la pollution durable et rémanente de l’air, de l’eau, des sols par les pesticides et leurs métabolites ne peut plus être tolérée au motif d’enjeux économiques discutables.

Les insectes pollinisateurs, dont les abeilles domestiques et sauvages, sont, elles aussi, en première ligne de la sixième extinction de masse en cours. Leur disparition progressive constitue une menace directe pour notre sécurité alimentaire et les équilibres écologiques essentiels à la vie. Trois quarts de notre alimentation dépendent de la pollinisation : il s’agit d’un enjeu vital, à la fois pour notre présent et pour les générations futures.

Les chiffres issus de la recherche scientifique internationale sont alarmants. Sur les 841 espèces d’abeilles documentées en Europe, 178 sont en danger d’extinction, soit 21 %. Parmi elles, près d’un tiers sont endémiques au continent. ([3]) Au‑delà des abeilles, la tendance est similaire pour l’ensemble des insectes pollinisateurs. Une étude menée sur 27 ans dans les aires protégées allemandes – représentatives des habitats de basse altitude en Europe de l’Ouest – fait état d’un effondrement de 76 à 82 % ([4]) de la biomasse d’insectes volants. En France, deux espèces de papillons sur trois ont disparu d’au moins un département ([5]), tandis que les populations de papillons des prairies dans l’Union européenne ([6]) ont chuté de moitié entre 1990 et 2011.

La communauté scientifique indépendante s’accorde sur le rôle majeur des pesticides chimiques dans ce déclin rapide ([7]). Leur exposition nuit gravement aux insectes pollinisateurs, en perturbant leur système immunitaire, leur microbiote, leurs comportements de butinage et leur reproduction, réduisant ainsi leur capacité à faire face aux autres facteurs de stress : parasites, pathogènes ou changements climatiques.

Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’elle révèle une contradiction profonde : alors même que la législation européenne interdit la mise sur le marché de substances présentant un risque inacceptable pour la santé humaine, animale ou l’environnement, des produits dangereux continuent d’être autorisés.

Cette proposition de loi répond à l’urgence écologique et vise à réformer en profondeur le système d’autorisation de mise sur le marché (AMM) des pesticides, afin de garantir l’indépendance, la transparence et la robustesse scientifique des procédures d’évaluation.

Actuellement, les évaluations de risque reposent sur des données fournies par les industriels eux‑mêmes. En vertu du principe dit « pollueur‑payeur », ce sont en effet les entreprises qui réalisent ou mandatent les tests de toxicité de leurs produits et qui en interprètent les résultats. Cette configuration génère un conflit d’intérêts structurel, déjà mis en lumière par de multiples scandales : falsifications de données, non‑divulgation de résultats défavorables, pressions sur les laboratoires sous‑traitants.

Ainsi, un laboratoire allemand majeur a été reconnu coupable en 2019 d’avoir manipulé des données entre 2005 et 2019 pour le compte de multinationales de l’agrochimie, dont Monsanto. Parmi les tests réalisés dans le cadre de la ré‑autorisation du glyphosate en 2012, au moins 24 sur 150 provenaient de ce laboratoire. ([8]) De même, neuf substances actives ont été autorisées malgré des résultats de tests neurotoxiques défavorables non divulgués par les entreprises concernées. ([9])

La présente proposition de loi entend rétablir l’indépendance des évaluations en transférant à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) la responsabilité d’organiser, superviser et interpréter les essais réglementaires, tout en maintenant à la charge des industriels leur financement.

En cohérence avec la jurisprudence récente de la Cour de justice de l’Union européenne – notamment l’arrêt C308/22 du 25 avril 2024 – un État membre a la possibilité de refuser d’autoriser un pesticide sur la base des connaissances scientifiques et techniques les plus récentes, dès lors que ces données révèlent un risque inacceptable pour la santé humaine ou animale ou l’environnement. Cela signifie donc qu’un État membre peut – de facto et dans ces conditions particulières – ne pas se cantonner à utiliser des documents ou protocoles réglementaires qu’il jugerait obsolètes.

À ce jour, l’Anses s’appuie encore sur des lignes directrices européennes dépassées, en particulier celles encadrant les tests de toxicité sur les espèces non ciblées comme les abeilles. ([10]) Pourtant, l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) a reconnu les limites de ces protocoles ([11]) et mis à disposition des documents actualisés ([12]), plus adaptés pour mesurer les effets réels des substances sur la biodiversité.

Cette ambition de renforcer les moyens, les missions et l’indépendance de l’Anses prend une importance accrue dans le contexte actuel, alors que d’autres propositions visent, au contraire, à placer l’agence sous la tutelle indirecte des intérêts économiques des filières agricoles. Les acteurs économiques directement concernés par la vente et l’usage des pesticides pourraient influencer l’agenda de travail de l’Anses, non plus selon des critères de santé publique, mais en fonction des attentes des filières agro‑industrielles. Ce retour en arrière vers une logique de co‑détermination des priorités sanitaires par les industriels eux‑mêmes constitue un risque majeur de conflit d’intérêts et serait tout à fait inacceptable.

Il est donc essentiel de consolider cette séparation fondatrice entre expertise sanitaire et intérêts économiques, au moment même où certains cherchent à l’effacer. La présente proposition de loi réaffirme avec force cette exigence démocratique et scientifique : la protection de la santé humaine, de l’environnement et de la biodiversité ne saurait être subordonnée à des considérations de rentabilité ou de lobbying sectoriel.

Ainsi, cette proposition de loi vise d’une part à garantir l’indépendance et l’objectivité des évaluations de risques, en confiant à l’Anses la maîtrise d’œuvre des essais de toxicité, tout en renforçant son rôle avec des prérogatives élargies en matière d’évaluation environnementale. D’autre part à assurer l’alignement permanent des évaluations sur les dernières connaissances scientifiques, notamment par l’usage des protocoles d’essais les plus récents.

À travers cette proposition, il s’agit de répondre à une double exigence : celle de la science et celle de la démocratie environnementale. Car la confiance dans les décisions publiques, en matière de santé comme d’environnement, suppose que ces décisions soient éclairées par des expertises indépendantes, rigoureuses, et fondées sur l’intérêt général.

 


– 1 –

proposition de loi

Article 1er

L’article L. 1313‑1 du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Au huitième alinéa, le mot : « évaluant » est remplacé par les mots : « organisant la supervision systématique des essais et en réalisant leur interprétation afin de caractériser » ;

2° Après le même huitième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Elle remplit ce rôle dans le but de procéder à une évaluation objective et transparente de l’impact des produits réglementés, à la lumière des connaissances scientifiques et techniques actuelles, en tenant compte des données scientifiques les plus fiables ainsi que des résultats les plus récents de la recherche internationale. » ;

3° Aux onzième et douzième alinéas, après le mot : « relatives », sont insérés, deux fois, les mots : « à l’organisation, à la supervision et à l’interprétation systématiques des essais nécessaires à l’évaluation de l’impact des produits réglementés, » ;

4° À la première phrase du quinzième alinéa, après le mot : « risques », sont insérés les mots : « par la définition, l’organisation, la supervision et l’interprétation systématiques des essais permettant d’évaluer l’impact des produits réglementés ; ».

Article 2

La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


([1]) Inserm. Pesticides et effets sur la santé : Nouvelles données. Collection Expertise collective. Montrouge : EDP Sciences, 2021.

([2]) Isabelle Baldi, Sylvaine Cordier, Xavier Coumoul, Alexis Elbaz, Laurence Gamet-Payrastre, et al.. Pesticides : Effets sur la santé. [Rapport de recherche] Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). 2013, Paris : Inserm : Editions EDP Sciences (ISSN : 1264-1782) / 1014 p. inserm-02102981

([3]) Nieto, A., Roberts, S. P. M,. et al., 2014. European Red List of bees. European Commission. Luxembourg: Publication Office of the European Union.

([4]) Hallmann C.A. et al.,2017. More than 75 percentdecline over 27 years ni total flying insect biomass in protected areas. PLOS ONE, 12(10). https://doi.org/10. 1371/JOURNAL.PONE.0185809

([5]) L'indicateur papillons de jour, OPIE. https://www.insectes.org/blog/l-indicateur-papillons-n48

([6]) Van Swaay C, et al. 2013. The European grassland butterfly indicator: 1990-2011. EEA Technical Reports

([7]) Sánchez-Bayo, F., Wyckhuys, K. A. 2019. Worldwidedecline of the entomofauna: a reviewof its

drivers. Biol. Conserv. 232, 8 - 2 7 .10.1016/.biocon.2019.01.020 ; INRAE-Ifremer, 2022. Impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques. Rapport de

l'expertise scientifique collective. Ce rapport d'expertise collective INRAE-Ifremer concerne les impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques, expertise menée pendant deux ans par 46 experts de 19 organismes de recherche, et fondée sur l'analyse bibliographique de plus de 4000 publications scientifiques internationales.

([8]) CEO, Pan Germany. Global2000, 2020.FactSheet: Dangerous confidence in "good laboratory practice.

([9]) Mie, A,. Rudén, C. 2023. Non-disclosure of developmental neurotoxicity studies obstructs the safety

assessment of pesticides in the European Union. Environ Health 22, 44. https://doi.org/10.1186/12940-023-00994-9

([10])  SANCO/10329/2002rev.2 final et OPP/EPP O2010

([11]) EFSA, 2016. Recovery in environmental risk assessments at EFSA, met en évidence la surestimation, dans la procédure d’évaluation des arthropodes non ciblés, de la capacité de réhabilitation de ces populations.

& EFSA, 2018. Scientific Opinion on the state of the science on pesticide risk assessment for amphibians and reptiles, 2018.   

([12]) EFSA, 2023. Revised guidance on the risk assessment of plant protection products on bees (Apis mellifera, Bombus spp. and solitary bees)  & EFSA, 2023. Risk assessment for Birds and Mammals