N° 1496

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 juin 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer la protection des mineurs en danger en élargissant les mesures de protection des victimes de violence visées au titre XIV du code civil,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Béatrice ROULLAUD,

députée.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Un enfant décède en France tous les cinq jours des suites de maltraitance, voire deux par jour selon certaines sources (selon l’association l’enfant bleu antenne de Lyon et le Président de l’Ordre national des médecins, M. Bernard Hoerni).

L’actualité judiciaire fournit maints exemples d’enfants suppliciés décédés des sévices exercés par leurs parents, alors que la société civile connaissait l’existence des maltraitances.

On garde en mémoire l’affaire monstrueuse en Seine‑et‑Marne du petit Bastien, 3 ans, que son père avait mis dans une machine à laver pour le punir et qui en est mort, alors qu’il avait fait l’objet de neuf signalements, de trois informations préoccupantes et que le père avait appelé la veille les services sociaux en menaçant de jeter l’enfant par la fenêtre.

Plus près de nous dans le temps, la jeune Amandine, 13 ans, battue et affamée depuis son enfance, enfermée nue dans un placard.

Dans l’exemple d’Amandine, trois procédures judiciaires avaient été ouvertes durant son enfance sans qu’aucune suite ne soit donnée, notamment parce que l’adolescente assurait ‑ pour se protéger ‑ ne pas être victime de maltraitance.

Mais plus tard l’adolescente, vivant en internat, avait supplié à la fermeture de l’établissement en raison du COVID, qu’on ne la renvoie pas chez sa mère. Malgré ce, elle fut renvoyée chez elle et décéda malheureusement quelques mois après.

Ce genre de situation ne doit pas se reproduire.

Il faut, qu’à l’instar de ce qui a été fait pour les femmes victimes de violences, un juge puisse être saisi dans les six jours pour apprécier l’état de danger et décider, s’il y a lieu, des mesures de protection.

Ce qui n’est pas le cas actuellement.

Actuellement des textes peuvent s’appliquer pour protéger un enfant et pour qu’un juge prenne des mesures de protection, mais ils ne répondent pas aux situations que l’on vient de décrire, qui sont insupportables.

Aujourd’hui les enfants violentés peuvent certes bénéficier de la loi n° 2010‑769 du 9 juillet 2010 sur les violences intra familiales, mais ce texte ne couvre que des hypothèses précises. Il vise les violences « intra familiales », ce qui implique que les violences soient exercées « au sein du couple » lorsque la femme (ou l’homme) est victime de violences, les enfants n’étant protégés que si l’un des parents est d’abord victime.

D’autre part cette loi de 2010 vise les cas où l’un des conjoints dénonce la violence de l’autre, ce qui n’est pas le cas dans les exemples ci‑dessus où les deux parents sont ensemble maltraitants, ou sont auteur et complice actif ou passif de la maltraitance.

Il existe aussi la récente loi du 18 mars 2024 (n° 2024233) qui suspend automatiquement l’exercice de l’autorité parentale du parent violent dans le cadre d’une procédure, mais la suspension automatique nécessite d’abord qu’une procédure soit en cours, ce qui exclut les cas de Bastien et d’Amandine, et elle implique ensuite que la violence relève d’un crime ou d’une agression sexuelle, ce qui laisse de côté les autres violences, qui même plus faibles, dès lors qu’elles sont répétées régulièrement, peuvent altérer définitivement la santé d’un enfant ou entraîner sa mort, comme dans le cas d’Amandine.

Enfin la loi du 13 juin 2024 (n° 2024536) a ajouté un article 515‑13‑1 au code civil pour permettre au juge aux affaires familiales de prendre dans les 24 heures une ordonnance de protection immédiate. Mais encore une fois, cela nécessite que le juge soit déjà saisi et qu’une procédure soit déjà mise en œuvre !

De façon générale, un juge des enfants peut évidemment prononcer une ordonnance de protection dès qu’il a connaissance d’un enfant en danger, mais le problème est que l’information ne remonte pas assez souvent jusqu’à lui et que trop de signalements pourtant fondés ne débouchent sur aucune procédure.

Ainsi dans les cas précités comme dans de nombreux autres cas, il y a eu « classement sans suite » des plaintes et signalements.

Et c’est bien là le problème. Si le juge n’est pas saisi à temps, l’enfant peut mourir, comme dans le cas d’Amandine et de Bastien.

Ainsi l’élargissement de l’ordonnance de protection visée au titre XIV du code civil, qui permettrait comme dans le cadre des violences intrafamiliales, à des personnes privées (et pas seulement au Ministère public) dès qu’un enfant est en danger de saisir un juge, lequel serait tenu dans les six jours de sa saisine de prendre une décision sur la mise en place ou non, de mesures de protection, semble être la seule solution pour englober toutes les situations y compris celles évoquées plus haut.

C’est la raison pour laquelle il est proposé d’élargir le titre XIV du code civil consacré aux mesures de protection des victimes de violences visées aux articles 515‑9 à 515‑13‑1 du code civil, en créant un nouvel article, l’article 515132 à la suite des précédents.

L’article 1er, alinéa 1, de cette proposition de loi étend le domaine d’application des ordonnances de protection pour violences visées à l’article 515‑13‑2 du code civil, lequel s’appliquera désormais à tous les mineurs, même en dehors du cadre familial, puisqu’il visera l’ensemble des mineurs qu’ils aient un lien de parenté avec l’auteur des violences ou non.

L’alinéa 2 de l’article premier de la proposition de loi élargit quant à lui les possibilités de saisine du juge en ouvrant cette faculté à une large palette de professionnels, d’institutionnels ou de membres de la famille qui pourront dès lors saisir directement le juge aux affaires familiales ou le juge des enfants, obligés de statuer dans les 6 jours sur la pertinence d’une protection. Il rend en outre obligatoire l’assistance de l’avocat qui peut représenter l’enfant, partie au procès.

Avec cette proposition de loi, les auteurs des signalements des sévices faits au petit Bastien auraient pu saisir eux‑mêmes le juge sans attendre que le procureur poursuive, car le procureur dans cette affaire, n’a jamais poursuivi, malgré le nombre important de signalements !

Ce qu’il faut comprendre c’est qu’une fois le juge saisi, le danger a toutes les chances d’être écarté puisque le juge doit statuer dans les six jours sur la vraisemblance du danger et sur l’opportunité de prendre des mesures de protection.

Dans le cas de Bastien le juge n’aurait pas eu de mal à se rendre compte, au vu des pièces fournies, du danger imminent que cet enfant courait.              

Ce qu’il faut savoir c’est que dans trop de cas, le juge ignore la situation de maltraitance car l’information ne remonte pas jusqu’à lui !

Cette proposition de loi permettrait justement de faire remonter directement l’information jusqu’au juge.

Pour plus d’efficacité, l’alinéa 2 de l’article 1er de la proposition de loi prévoit de réserver l’anonymat aux personnes ayant saisi le juge, ce qui évite la crainte de révéler les maltraitances par peur de représailles sur soi‑même ou sur autrui.

L’alinéa 3 de cet article 1er de la présente proposition de loi prévoit en outre que l’enfant sera automatiquement assisté d’un avocat commis d’office et éventuellement s’il le souhaite, accompagné en sus de son représentant légal s’il n’y a pas de conflit d’intérêt avec lui, ou d’une personne en qui il a confiance.

Il est enfin proposé à l’article 2 et à l’article 3 de cette proposition de loi, de modifier les articles 515‑10 et 515‑11 du code civil afin d’éviter des contradictions entre les articles existants du code civil et les nouvelles mesures, en les complétant.

Pour terminer, les articles 3 et 4 de la proposition de loi proposent d’adapter les dispositions du code de procédure civile traitant de la procédure aux fins de mesures de protection des victimes de violences aux articles 1136‑3 à 1136‑14, afin qu’elles correspondent à la présente proposition de loi.

 


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proposition de loi

Article 1er

Le titre XIV du livre Ier code civil est complété par un article 515‑13‑2 ainsi rédigé :

« Art. 512132. – Une ordonnance de protection peut également être délivrée en urgence par le juge des enfants, par le juge aux affaires familiales ou par un juge délégué dans les conditions fixées aux articles 515‑10 à 515‑13‑1 lorsque des violences sont exercées sur un mineur, par une personne ayant un lien de parenté ou non avec ce dernier, et lorsqu’elles mettent en danger sa santé physique ou qu’elles compromettent gravement sa santé mentale.

« Le juge peut être saisi par le représentant légal du mineur ou son délégataire, un membre de sa famille, une association de protection de l’enfance ou d’aides aux victimes, un médecin, un enseignant, un directeur d’établissement scolaire ou sportif, un professionnel de la petite enfance, un avocat, un élu. Sauf accord contraire, l’anonymat est assuré pour la personne ayant saisi le juge, afin que l’auteur des violences ignore l’identité de la personne qui a déclenché la procédure.

« Par dérogation aux dispositions du premier alinéa de l’article 515‑10, un avocat commis d’office est automatiquement désigné, sans délai et au plus tard le jour de l’audience, pour assister le mineur. Le mineur qui le souhaite pourra demander, en sus de l’avocat, la présence à l’audience et dans les actes et étapes de la procédure, de son représentant légal ou de toute autre personne en qui il a confiance.

« Un avocat choisi peut être désigné par la suite en accord avec le mineur, s’il n’y a aucun risque de conflit d’intérêt avec son représentant légal. Le mineur a automatiquement droit à l’aide juridictionnelle. »

Article 2

L’article 515‑10 du code civil est ainsi modifié :

1° Après la première phrase du premier alinéa, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Le juge peut également être saisi, lorsqu’il s’agit de violences sur mineurs, par les personnes visées au deuxième alinéa de l’article 515‑13‑2. » ;

2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé : 

« L’enfant partie à la procédure sera obligatoirement et à peine de nullité absolue, assisté et représenté par un avocat. »

Article 3

La première phrase du 3° de l’article 515‑11 du code civil est complétée par les mots : « et sur celle des mineurs ayant subi des violences ».

Article 4

L’article 1136‑3 du code civil est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, la référence : « 515‑13 » est remplacée par la référence : « 515‑13‑2 » ;

2° Après le troisième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Par dérogation à ce qui précède, lorsque les violences sont exercées sur des mineurs, le juge peut être saisi par simple lettre expliquant les faits de violences et de danger encouru par le mineur, accompagnée de pièces justificatives à l’appui de la demande, ainsi que des moyens permettant d’identifier le demandeur tels que les nom, prénom, adresse postale ou électronique date et lieu de naissance, profession et s’ils sont connus, les nom, prénoms, date et lieu de naissance, profession, adresse de l’auteur des violences. Étant précisé que l’anonymat des personnes ayant saisi le juge est garanti afin que l’auteur des violences ignore l’identité de la personne à l’origine de la procédure. »

Article 5

Le premier alinéa de l’article 1136‑6 du code de procédure civile est complété par trois phrases ainsi rédigées : « Lorsque les violences sont exercées sur un mineur, un avocat est désigné d’office, sans délai et au plus tard le jour de l’audience. Le mineur peut par la suite avoir un avocat choisi à condition qu’il n’y ait pas de conflit d’intérêt entre lui et la personne qui choisit l’avocat. Le mineur qui le souhaite peut demander, en sus de l’avocat, la présence de son représentant légal ou de toute autre personne en qui il a confiance à l’audience et dans les actes et étapes de la procédure. »

Article 6 

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.