N° 1501
_____
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 juin 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à la nationalisation d’ArcelorMittal France,
(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Aurélie TROUVÉ,
députée.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’industrie sidérurgique française connaît une nouvelle crise historique. Le groupe ArcelorMittal, premier producteur d’acier mondial, est présent sur notre territoire, employant aujourd’hui environ 15 400 salariés en France, sur une quarantaine de sites dont les hauts‑fourneaux stratégiques de Dunkerque et Fos‑sur‑Mer.
Depuis plusieurs années, ArcelorMittal s’est placé dans une logique de désengagement progressif du territoire français, marquée par :
– la fermeture de plusieurs sites (Reims, Denain), la fermeture d’un des deux hauts fourneaux à Fos‑sur‑Mer,
– la suppression de plus de 1 000 emplois sur un an, dont de nombreux emplois dans la maintenance,
– la délocalisation des fonctions supports vers l’Inde et la Pologne,
– le gel des investissements industriels en France malgré des aides publiques massives (notamment un contrat d’un montant de 850 millions € exclusivement dédié à la décarbonation de Dunkerque, sachant que la direction d’ArcelorMittal reconnaît elle‑même que sans la décarbonation à 5 ans, l’avenir de sa production en France est compromis),
– et une stratégie d’optimisation fiscale agressive, qui lui permet d’éviter tout impôt sur les sociétés payé en France ces dernières années.
Cette situation met en péril non seulement l’emploi (15 000 emplois directs en France, des dizaines de milliers d’autres de façon indirecte), mais également la souveraineté industrielle de la France. Les sites français d’ArcelorMittal sont aujourd’hui stratégiques pour de nombreux secteurs industriels clés :
– l’automobile (notamment via les aciers galvanisés produits à Dunkerque),
– la construction navale et nucléaire (grâce aux aciers spéciaux du Creusot et de la Loire),
– la fabrication de pipelines, de transformateurs et de structures métalliques lourdes,
– l’industrie défensive, aérospatiale et ferroviaire,
– ainsi que les infrastructures de transport et énergétiques (via les produits plats et laminés à chaud de Fos‑sur‑Mer).
Sans cette production d’acier en France, de nombreuses filières stratégiques seraient contraintes de se tourner vers des fournisseurs à l’étranger, au risque de ruptures d’approvisionnement, d’explosion des coûts, de dépendance accrue et de la perte irréversible de compétences industrielles.
En outre, les organisations représentatives du personnel ont établi que le groupe a délibérément laissé se dégrader ses outils de production en France, avec des incidents de sécurité et des répercussions sanitaires majeures sur plusieurs sites, mettant en danger la vie des salariés et des riverains.
En parallèle, ArcelorMittal poursuit ses investissements massifs au Brésil, en Inde et aux États‑Unis, et prépare la délocalisation de sa production « verte » hors d’Europe.
Enfin, les aides publiques versées ces dernières années (financement de l’activité partielle de longue durée, crédit impôt recherche, exonérations de cotisations patronales et sociales, aides à l’apprentissage, à la décarbonation…) sont estimées à 295 millions d’euros rien que sur l’année 2023, sans contrepartie sociale ou industrielle.
Le 1er janvier 2030 marque une échéance ultime : la réforme du système de quotas d’émissions (fin des quotas gratuits et réduction rapide de leur quantité) et l’entrée en vigueur complète du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne en 2026 vont enchérir les coûts de production des aciéristes européens qui n’auront pas décarboné leurs usines : l’acier conventionnel sera ruineux.
Il apparaît que, hors de la nationalisation, aucune autre voie légale ou politique ne permet aujourd’hui de garantir la préservation de l’emploi, la continuité de la production, la sécurité des installations et le maintien de compétences stratégiques sur le territoire.
Les gouvernements kazakh et britannique ont opéré ces dernières années un tel processus, soit de nationalisation de leur industrie sidérurgique, soit de mise sous tutelle. Une nationalisation en France ne serait pas nouvelle puisqu’elle a eu lieu de 1982 à 1995 (nationalisation des entreprises Usinor et Sacilor, qui ont donné naissance à Arcelor).
Les instruments de régulation classiques (aides à l’investissement, encadrement des licenciements) se sont révélés inopérants. La volonté de protéger l’acier français de la concurrence déloyale des équivalents produits à moindre coût n’est pas suffisamment forte pour déboucher sur des résultats rapides. En outre l’entreprise a d’ores et déjà engagé le mouvement de fermeture d’installations dédiées à la recherche et développement (R&D) et aux fonctions support. Elle organise d’ores et déjà l’importation de son propre acier produit dans des pays tiers.
La nationalisation est donc une mesure nécessaire, proportionnée et conforme au droit, au regard de l’intérêt général impératif lié à la souveraineté industrielle du pays. Les actionnaires d’ArcelorMittal France pourront être indemnisés conformément aux exigences du droit français et européen, sur la base d’une évaluation transparente, dans le respect du droit de propriété consacré par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et par la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme.
La nationalisation temporaire d’ArcelorMittal France apparaît comme la seule voie raisonnable pour :
– garantir l’avenir de la filière sidérurgique française;
– préserver des dizaines de milliers d’emplois ;
– assurer la transition écologique des hauts‑fourneaux (notamment via la technologie Direct Rendering Infrastructure, (DRI, infrastructure pour le rendu direct) ;
– empêcher une fuite des compétences et des savoir‑faire ;
– restaurer une gouvernance transparente, sociale et industrielle de l’entreprise ;
– éviter que les subventions publiques soient dévoyées au profit des actionnaires.
Des investissements importants dans la production seront certes nécessaires, mais les bénéfices actuels du groupe en France (1,2 milliard d’euros sur les trois dernières années sans pour autant verser d’impôt sur les sociétés à la France) conduisent à penser que la majeure partie de ceux‑ci pourra être autofinancée, d’autant plus en cessant l’évacuation des bénéfices au Luxembourg et pour les actionnaires actuels d’Arcelor Mittal.
– 1 –
proposition de loi
Article 1er
La société ArcelorMittal France est nationalisée.
Les modalités d’application du présent article sont définies par décret en Conseil d’État.
Article 2
Une commission administrative nationale d’évaluation composée du président de la section des finances du Conseil d’État, du président de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, de deux députés et deux sénateurs compétents, de deux représentants d’organisations représentatives du personnel et d’un membre du Conseil économique, social et environnemental, est nommée pour superviser la reprise des activités de la société ArcelorMittal France.
La commission rend compte de ses activités au Parlement dans un délai de trois mois.
Article 3
Un administrateur général est nommé par décret en Conseil des ministres pour assurer la gestion transitoire de l’entreprise. Il dispose des pouvoirs les plus étendus pour agir au nom de la société jusqu’à la mise en place d’une nouvelle gouvernance, dans un délai de six mois maximum. Les organes représentatifs des salariés restent en fonction et conservent l’intégralité de leurs droits.
L’administrateur général a notamment la responsabilité de programmer et d’organiser le processus de décarbonation des installations industrielles de l’entreprise, d’en préciser le coût et les modalités de financement.
Article 4
Les contrats de travail des personnels en activité affectés dans un emploi au sein de la société ArcelorMittal France sont transférés à l’État. Les modalités de gestion administrative de ces personnels sont définies dans le décret mentionné à l’article 1er de la présente loi.
Article 5
Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, un comité stratégique composé du ministre chargé de l’économie, de parlementaires, de représentants des salariés, des collectivités concernées et de personnalités qualifiées présente un plan de transition industrielle.
Ce plan doit définir la stratégie de pérennisation de l’activité et anticiper une éventuelle sortie de la nationalisation. Il peut faire l’objet d’un débat au Parlement.
Article 6
Les actionnaires de la société ArcelorMittal France sont indemnisés conformément aux règles applicables en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique, dans le respect du droit national et européen.
Article 7
La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des multinationales localisées en France, ou y enregistrant une activité significative.
Article 8
I. – Après la section 0I bis du chapitre III du titre premier de la première partie du livre premier du code général des impôts, est insérée une section 0I ter ainsi rédigée :
« Section 0I ter
« Contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises
« Art. 225. – I. – A. – Il est institué une contribution additionnelle sur les bénéfices des sociétés redevables de l’impôt sur les sociétés prévu à l’article 205 qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 750 000 000 euros.
« B. – La contribution additionnelle est due lorsque le résultat imposable de la société pour l’exercice considéré au titre de l’impôt sur les sociétés précité est supérieur ou égal à 1,25 fois la moyenne de son résultat imposable des exercices 2017, 2018 et 2019.
« C. – La contribution additionnelle est assise sur le résultat imposable supplémentaire réalisé par rapport à 1,25 fois le résultat imposable moyen des trois exercices précités. La contribution additionnelle est calculée en appliquant à la fraction de chaque part de résultat imposable supérieur ou égale à 1,25 fois le résultat imposable moyen des trois exercices précités le taux de :
« a) 20 % pour la fraction supérieure ou égale à 1,25 fois et inférieure à 1,5 fois le résultat imposable moyen des trois exercices précités ;
« b) 25 % pour la fraction supérieure ou égale à 1,5 fois et inférieure à 1,75 fois le résultat imposable moyen des trois exercices précités ;
« c) 33 % pour la fraction supérieure ou égale à 1,75 fois le résultat imposable moyen des trois exercices précités.
« II. – A. – Pour les redevables qui sont placés sous le régime prévu aux articles 223 A ou 223 A bis, la contribution additionnelle est due par la société mère. Elle est assise sur le résultat d’ensemble et à la plus‑value nette d’ensemble définis aux articles 223 B, 223 B bis et 223 D, déterminés avant imputation des réductions et crédits d’impôt et des créances fiscales de toute nature.
« B. – Le chiffre d’affaires mentionné au I du présent article s’entend du chiffre d’affaires réalisé par le redevable au cours de l’exercice ou de la période d’imposition, ramené à douze mois le cas échéant et, pour la société mère d’un groupe mentionné aux articles 223 A ou 223 A bis, de la somme des chiffres d’affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe.
« C. – Les réductions et crédits d’impôt et les créances fiscales de toute nature ne sont pas imputables sur la contribution additionnelle.
« D. – Sont exonérées de la contribution prévue au I du présent article, les sociétés dont la progression du résultat imposable par rapport à la moyenne des exercices 2017, 2018 et 2019 résulte d’opérations de cession ou d’acquisition d’actifs, pour la fraction du résultat imposable de l’exercice concerné.
« E. – La contribution additionnelle est établie, contrôlée et recouvrée comme l’impôt sur les sociétés et sous les mêmes garanties et sanctions. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à ce même impôt. La contribution additionnelle est payée spontanément au comptable public compétent, au plus tard à la date prévue au 2 de l’article 1668 du présent code pour le versement du solde de liquidation de l’impôt sur les sociétés. »
II. – Les dispositions du présent article entrent en vigueur à compter de la publication de la présente loi et sont applicables jusqu’au 31 décembre 2025. Elles s’appliquent également à l’exercice fiscal de l’année de son entrée en vigueur.
III. – Le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation provisoire de l’application du I de la présente loi avant le 31 décembre 2025 et un rapport d’évaluation définitif au plus tard le 31 décembre 2026.