N° 1504
_____
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 juin 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à assurer le droit à l’instruction et à l’équité de traitement territorial dans les territoires ruraux,
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Manon MEUNIER,
députée.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
« A mon sens, le but lointain sans doute, et difficile à atteindre, j’en conviens, mais auquel il faut tendre dans cette grande question de l’enseignement, le voici : l’instruction gratuite et obligatoire. (…) Un grandiose enseignement public, donné et réglé par l’État, partant de l’école de village et montant de degré en degré jusqu’au Collège de France (…). Partout où il y a un champ, partout où il y a un esprit, qu’il y ait un livre. Pas une commune sans une école, pas une ville sans un collège, pas un chef‑lieu sans une faculté. (…). »
Discours prononcé à l’Assemblée nationale, par Victor Hugo le 15 janvier 1850.
Cent cinquante ans après la situation ne s’est guère améliorée et c’est pourquoi l’intention de cette proposition de loi reste la même : assurer l’effectivité du droit à l’instruction en assurant une équité territoriale, en particulier dans les espaces ruraux[1].
En effet, dans les territoires ruraux, pas une année ne passe sans que des collectifs ne lutte pour le maintien d’une classe ou la survie d’une école. Dans le seul département de la Haute‑Vienne pour la rentrée 2024, ce sont vingt‑neuf classes qui ont été supprimées, l’année précédente vingt‑cinq classes avaient été rayées de la carte scolaire.
Certes, on observe une inflexion démographique et le nombre d’élèves diminuent effectivement. Mais notre pays demeure toujours en queue de peloton à l’échelle européenne si l’on s’intéresse au nombre d’élèves par classe » C’est la France qui présente la taille moyenne de classe la plus élevée en CITE 1 (classe dans l’enseignement élémentaire), avec 22 élèves par classe[2]. », contre une moyenne de 19 élèves dans les vingt‑deux pays de l’Union européenne membres de l’OCDE.
Plutôt que de profiter de la diminution des classes d’élèves pour fermer des classes à tour de bras dans nos communes rurales, nous pourrions tirer parti de la situation pour rattraper notre retard et offrir à la fois aux équipes éducatives et aux écoliers de meilleures conditions d’enseignements.
Au‑delà des bénéfices que pourraient en retirer les élèves et leurs professeurs, cela permettrait également de sauvegarder des écoles qui sont parfois le dernier service public d’une commune. Un lieu de vie pour l’ensemble d’un village et qui constitue un facteur d’attractivité, certain, pour favoriser l’implantation de familles.
Ce n’est pas ce choix qui est fait, puisque depuis la mise en place de la carte scolaire, on procède à une rationalisation de l’offre scolaire sur le territoire en fonction du nombre d’enseignants disponibles et des prévisions démographiques.
Or le nombre de postes ouverts pour le recrutement de professeurs des écoles ne cesse de diminuer. Dans le projet de loi de finances initial pour l’année 2025, il était prévu la suppression de plus de quatre mille postes d’enseignants et on nous annonce déjà qu’« il faudra faire mieux avec moins ». A cela s’ajoute, un nombre de démissions en forte augmentation, d’une profession maltraitée et qui manque d’attractivité. Le résultat est simple, on gouverne selon les moyens et non en fonction des besoins.
Nous pensons au contraire qu’il faut partir des besoins dans les territoires et affecter des moyens en conséquence. L’article 1er, de la présente proposition prévoit ainsi une série de mesures afin de palier à la pénurie actuelle de professeurs des écoles : ouverture systématique d’une liste complémentaire aux concours externes de recrutement de professeurs des écoles, organisations d’un concours supplémentaire si l’ensemble des postes offerts aux concours n’ont pas été pourvus, systématisation de l’ouverture de poste au sein du second concours externe et une revalorisation du point d’indice des fonctionnaires de 10 % ainsi que l’inscription du dégel du point d’indice dans la loi afin de palier au déficit actuel d’attractivité de la profession.
Une fois la question des moyens résolue, nous pouvons fixer des objectifs à atteindre en matière d’accès à l’éducation dans les territoires ruraux. L’article 2, de cette proposition de loi, propose d’inscrire dans le Code de l’Education la nécessité de tenir compte des enjeux propres aux territoires ruraux. Il prévoit également une réduction progressive des effectifs dans les classes du 1er degré pour atteindre 19 élèves par classes dans les territoires ruraux et la limitation des effectifs par classe à 25 élèves. Ces objectifs paraissent à a fois raisonnables, atteignables et ambitieux compte tenu de la situation de départ.
Une fois fixé le cap, il convient d’établir une nouvelle méthode car la situation actuelle n’est pas satisfaisante pour nombre d’acteurs.
Pour les parents d’élèves d’abord, qui attendent, chaque année, inquiets de savoir si la classe dans laquelle leurs enfants sont scolarisés va fermer ou non. Et qui ne savent pas si leurs enfants pourront effectuer l’ensemble de sa scolarité dans le même établissement.
Pour les équipes pédagogiques également, qui voient leurs effectifs évoluer au gré des changements de la carte scolaire, ce qui ne facilite pas la création de projets. Nous tenons ici à saluer les organisations représentatives du personnel qui se mobilisent régulièrement aux côtés des parents d’élèves pour la défense de classes dans nos territoires ruraux.
Pour les communes et en particuliers leurs élu.e.s, qui bénéficient d’une compétence partagée avec l’État en la matière, puisque les conseils municipaux décident, en principe, de la fermeture d’une école, ainsi que de la création et de l’implantation des écoles en classes élémentaires et maternelles. Un pouvoir tout relatif, puisque les collectivités locales ont vu leur financement être considérablement réduits et doivent aujourd’hui prendre des décisions sans disposer des moyens financiers adéquats. Cela place de nombreux élus dans des positions très inconfortables, où ils doivent prendre des décisions, pieds et mains liés.
L’ensemble des acteurs concernés pâtissent du fait que chaque année se réouvrent des discussions sur les ouvertures et les fermetures d’écoles. Cela ne permet pas à l’ensemble des acteurs concernés de se projeter et crée une forte incertitude. En outre, cela amène à ne réfléchir qu’à l’échelle d’une commune, d’une école, d’une classe et ne permet pas d’envisager les territoires dans leur ensemble.
L’article 3, de notre proposition de loi, prévoit ainsi que dans les territoires ruraux, soit instituée, une conférence de l’éducation des territoires ruraux qui se substitue aux conseils départementaux dans les territoires ruraux. Cette conférence de l’éducation des territoires ruraux rassemble l’ensemble des parties prenantes d’un territoire qui doivent établir les besoins éducatifs pour leur territoire et qui partageront la compétence jusqu’ici dévolue aux seuls maires en matière de création et d’implantation des écoles et classes élémentaires et maternelles.
L’article 4, de la présente proposition de loi, vise à assurer sa recevabilité financière en mettant en place une compensation financière pour l’État et les collectivités territoriales.
– 1 –
proposition de loi
Article 1er
I. – Le titre Ier du livre IX de la quatrième partie code de l’éducation est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 911‑2, il est inséré un article L. 911‑2‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 911‑2‑1. – En cas de vacances de postes et après épuisement des listes principale et complémentaire de chacun des concours de recrutement de professeur des écoles établies dans une académie, un nouveau concours externe spécial est ouvert dans les meilleurs délais. Dans les académies qui rencontrent des difficultés de recrutement de professeurs des écoles, il est prévu le recours à l’ouverture du second concours interne. » ;
2° Après l’article L. 912‑1, il est inséré un article L. 912‑1‑1 A ainsi rédigé :
« Art. L. 912‑1‑1 A. – Une liste complémentaire, équivalente à 50 % de la liste principale, est ouverte pour chacun des concours externes de recrutement de professeurs des écoles. Elle permet le remplacement des candidats inscrits sur la liste principale qui ne peuvent pas être nommés et de pourvoir des vacances d’emplois survenant dans l’intervalle de deux concours. Les candidats reçus sont nommés stagiaires au fur et à mesure des vacances d’emploi. Aucun nouvel agent non titulaire exerçant, dans des établissements d’enseignement du premier ou du second degré publics ou privés sous contrat d’association, des fonctions d’enseignement, d’éducation ou d’information et d’orientation ne peut être recruté avant l’épuisement de la liste complémentaire du concours correspondant à cette fonction. »
II. – Après l’article L. 712‑1 du code général de la fonction publique, il est inséré un article L. 712‑1‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 712‑1‑1. – La rémunération des fonctionnaires augmente deux fois par an au minimum de l’augmentation d’un indice de l’inflation. Cet indice est déterminé par une commission composée de représentants du monde académique, des représentants des organisations syndicales de salariés et des organisations représentatives des employeurs. Il est institué comme référence par voie réglementaire.
« L’augmentation automatique a lieu au 1er mars et au 1er septembre de chaque année, sur la base de la moyenne des six derniers indices mensuels connus. Elle ne s’applique pas aux salaires supérieurs à deux fois le salaire médian.
« Un décret fixe les modalités d’application du présent article après négociation entre les représentants des organisations syndicales de salariés et les représentants des organisations représentatives des employeurs.
« Par dérogation aux précédents alinéas, il est procédé à une revalorisation exceptionnelle de 15 % du montant du traitement au 1er juillet 2025. »
Article 2
Le code de l’éducation est ainsi modifié :
1° Le cinquième alinéa de l’article L. 111‑1 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Une attention particulière est portée aux enjeux propres aux territoires ruraux et à la garantie d’une une équité territoriale de traitement. » ;
2° Après l’article L. 133‑1, il est inséré un article L. 133‑1‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 133‑1‑1. – Au sein des établissements d’enseignement du premier degré, publics et privés sous contrat, à compter du 1er janvier 2027, l’effectif d’une classe ne peut être supérieur à vingt‑quatre élèves. » ;
3° L’article L. 911‑2 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Ce plan de recrutement des personnels prévoit d’appliquer, au plus tard le 1er septembre 2030, une réduction des effectifs de dix‑neuf élèves par classe en moyenne, dans l’ensemble des établissements scolaires du premier degré, avec une attention particulière pour les territoires ruraux. »
Article 3
I. – Après l’article L. 235‑1 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 235‑1‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 235‑1‑1. – Afin de s’assurer de l’équité territoriale de traitement dans les territoires ruraux, il est institué une conférence de l’éducation des territoires ruraux qui se substitue aux conseils départementaux dans les territoires ruraux.
« Les départements concernés sont ceux dans lesquels, plus de 40 % de la population réside dans une commune rurale d’après la classification de l’Institut national de la statistique et des études économiques.
« Cette conférence de l’éducation des territoires ruraux rassemble des représentants de l’État dans le département, des représentants des parents d’élèves, des représentants des équipes pédagogiques et des organisations représentatives du personnel, des représentants de la maison départementale des personnes handicapées ainsi que des élus locaux.
« Un décret précise le nombre de représentants et la composition de la conférence de l’éducation des territoires ruraux.
« À la suite de l’élaboration du plan de recrutement des personnels, qui couvre une période de cinq ans, la conférence de l’éducation des territoires ruraux élabore un diagnostic des besoins du territoire, tenant compte du nombre d’élèves scolarisables, du nombre d’élèves avec des besoins spécifiques, des bassins de vie afin de déterminer les besoins éducatifs pour le territoire.
« Un décret précise les modalités de prises de décision au sein de la conférence de l’éducation des territoires ruraux.
« La conférence de l’éducation des territoires ruraux peut être amenée à se réunir exceptionnellement en cas de changements importants tant démographiques que du point de vue des personnels disponibles. »
II. – Le premier alinéa du II de l’article L. 2121‑30 du code général des collectivités territoriales est complété par une phrase ainsi rédigée : « Dans les départements où est instituée une conférence de l’éducation des territoires ruraux, le conseil municipal partage son pouvoir en matière de création et d’implantation des écoles et classes élémentaires et maternelles d’enseignement public avec ladite conférence de l’éducation des territoires ruraux. »
Article 4
I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
([1]) Nous reprenons ici, les territoires ruraux au sens de la nouvelle définition qui en est proposée par l’INSEE depuis 2021 – voir : Une nouvelle définition du rural pour mieux rendre compte des réalités des territoires et de leurs transformations − La France et ses territoires | Insee
([2]) Source : « L’Europe de l’éducation en chiffres – 2022 4ème édition » - DEPP.