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N° 1508

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 juin 2025.

PROPOSITION DE LOI

portant renforcement de la protection juridique des sapeurs-pompiers et aggravation des sanctions pénales en cas d’agression,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Virginie DUBY-MULLER, Mme Josiane CORNELOUP, M. Fabien DI FILIPPO, Mme Élisabeth DE MAISTRE, Mme Justine GRUET, Mme Valérie BAZIN-MALGRAS, M. Patrick HETZEL, M. Corentin LE FUR, Mme Frédérique MEUNIER, Mme Émilie BONNIVARD, M. Vincent ROLLAND, M. Fabrice BRUN, M. Vincent JEANBRUN, M. Thibault BAZIN, M. Éric PAUGET, Mme Sylvie DEZARNAUD, M. Alexandre PORTIER, M. Antoine VERMOREL-MARQUES, M. Eric LIÉGEON, Mme Michèle TABAROT, Mme Christelle PETEX, M. Jean-Didier BERGER, M. Jean-Pierre TAITE, M. Jean-Pierre VIGIER, M. Nicolas RAY, M. Xavier BRETON, M. Hubert BRIGAND, Mme Sylvie BONNET, M. Pierre CORDIER, Mme Alexandra MARTIN, M. Nicolas FORISSIER, M. Guillaume LEPERS, Mme Marie-Christine DALLOZ, M. Michel HERBILLON, M. Philippe JUVIN, M. Vincent DESCOEUR, Mme Emmanuelle HOFFMAN, M. Vincent LEDOUX, M. Xavier ROSEREN, M. Jean-Luc WARSMANN, M. Yannick FAVENNEC-BÉCOT, Mme Delphine LINGEMANN, Mme Félicie GÉRARD, M. Romain DAUBIÉ, M. Joël BRUNEAU, M. Denis MASSÉGLIA, M. Philippe FAIT, Mme Agnès FIRMIN LE BODO, Mme Maud PETIT, Mme Anne-Sophie RONCERET, Mme Violette SPILLEBOUT, Mme Lise MAGNIER, M. Thierry BENOIT, Mme Constance DE PÉLICHY, M. Christophe NAEGELEN, Mme Marie-Agnès POUSSIER-WINSBACK, M. Jean-Carles GRELIER, M. Michel CASTELLANI, M. Laurent MAZAURY, Mme Anne-Cécile VIOLLAND, M. Jean-Pierre BATAILLE, Mme Véronique BESSE, Mme Sabine THILLAYE, M. Bruno FUCHS, M. Sylvain BERRIOS, M. Jean LAUSSUCQ, M. Jean-Marie FIÉVET, M. Lionel VUIBERT, M. Stéphane VIRY, Mme Sophie PANONACLE, M. Sébastien HUYGHE,

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le week‑end du 10 au 11 mai 2025 a été marqué par des événements graves en HauteSavoie, mettant en lumière la vulnérabilité croissante des sapeurspompiers face à des actes de violence. Tout d’abord, à Évian‑les‑Bains, ville connue pour sa tranquillité et sa qualité de vie, un sapeur‑pompier de 38 ans, le sergentchef Niccolo SCARDI a été grièvement blessé après avoir été délibérément percuté par un automobiliste lors d’une tentative d’interruption d’un rodéo urbain devant le centre de secours local tôt dans la matinée du samedi 10 mai. Le conducteur, âgé de 19 ans, roulait sans permis et était déjà connu défavorablement des services de police, a été mis en examen pour tentative de meurtre. Des bouteilles de protoxyde d’azote et d’alcool ont également été retrouvées dans sa voiture. Outre l’agression physique, le comportement du conducteur a particulièrement choqué. Alors qu’il aurait pu s’arrêter et se rendre immédiatement, il est revenu cracher sur la victime et narguer les sapeurspompiers qui tentaient de prodiguer les premiers secours à leur collègue violemment projeté sur le sol à la suite du choc avec le véhicule.

Le lendemain dans la soirée, à Saint‑Cergues, deux autres sapeurspompiers ont été agressés alors qu’ils intervenaient sur un accident de la route pour porter assistance à un couple. Alors qu’ils étaient pris en charge par les secours, l’homme, alcoolisé, a cherché à s’en prendre à sa compagne enceinte. L’équipage de sapeurspompiers s’est immédiatement interposé, deux des sapeurspompiers ont été blessés en recevant des coups au niveau du visage et aux côtes. L’individu a alors pris la fuite, mais grâce au travail des enquêteurs, il a été arrêté quelques jours après dans la Loire. 

Ces incidents, bien que choquants, ne sont malheureusement pas isolés. Ils illustrent une tendance inquiétante de banalisation de la violence envers ceux qui consacrent leur vie à la protection des autres. Il est urgent de stopper cette « société qui fabrique des barbares » comme l’a qualifié le ministre de l’intérieur au cours de son déplacement auprès des sapeurs‑pompiers d’Évian le jour même de l’incident. Si le service départemental d’incendie et de secours (SDIS) de Haute‑Savoie et le réseau associatif des sapeurs‑pompiers se sont immédiatement mobilisés pour apporter le soutien nécessaire aux pompiers touchés, à leurs familles et à leurs camarades, il est important que l’État et le législateur se saisissent de ce sujet.

Les sapeurs‑pompiers, qu’ils soient professionnels ou volontaires, sont régulièrement confrontés à des violences verbales et physiques lors de leurs interventions. Ces agressions ont des conséquences graves, tant sur le plan physique que psychologique, et contribuent à un sentiment d’insécurité croissant parmi ces professionnels.

En 2024, on assiste à une augmentation préoccupante des agressions envers les sapeurs‑pompiers. 1 462 agressions à l’encontre des sapeurspompiers ont été déclarées à la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), soit une hausse de 2,9 % par rapport à 2023 (1 421 faits). Si cette augmentation reste contenue, elle s’inscrit néanmoins dans une tendance persistante de violence à l’égard de ceux qui assurent les secours. Les violences verbales enregistrent une progression notable, représentant désormais 53 % du total des agressions (+4 points en un an), tandis que les atteintes physiques constituent 39 % des faits. Seules 8 % des agressions recensées visent les biens ou matériels de service. On observe par ailleurs une diminution significative des agressions commises en réunion, devenues très minoritaires (4 %), leur part ayant été divisée par deux. 609 sapeurs‑pompiers ont déclaré avoir été blessés en 2024 (contre 555 l’année précédente), fort heureusement sans cas de blessure grave recensé. Dans 85 % des situations, les agressions surviennent dans le cadre d’une intervention de secours à personne, l’agresseur étant dans 74 % des cas la personne secourue ellemême, ou, dans 7 %, un membre proche de sa famille. La consommation d’alcool ou de produits stupéfiants est un facteur aggravant présent dans 46 % des faits, tandis que 18 % des violences sont imputables à des auteurs présentant des troubles psychiatriques manifestes.

Le climat de violence dans lequel évoluent les sapeurs‑pompiers engendre un sentiment d’insécurité qui peut impacter leur engagement et leur efficacité. La peur de représailles, notamment lors du dépôt de plaintes, est un frein à la dénonciation des agressions subies. Ce contexte peut également dissuader les vocations, notamment parmi les jeunes générations.

Selon la fédération nationale des sapeurs‑pompiers de France, il manquerait environ 50 000 pompiers volontaires dans notre pays. Alors que les interventions se multiplient et les besoins humains sont de plus en plus nombreux pour faire perdurer notre modèle sur le volontariat, on ne peut tolérer que ceux qui donnent de leur temps, parfois leur vie, pour porter assistance à la population, soient victimes d’agressions verbales ou physiques.

Les sapeurs‑pompiers incarnent les valeurs d’altruisme, de courage et de dévouement. Chaque jour, ils interviennent pour porter secours, sauver des vies et protéger les biens, souvent au péril de leur propre sécurité. Leur engagement est un pilier fondamental de notre société, et il est de notre devoir de leur assurer la reconnaissance et la protection qu’ils méritent.

Il est donc impératif de restaurer un environnement de travail sécurisé pour les sapeurs‑pompiers, afin qu’ils puissent accomplir leurs missions sans crainte pour leur intégrité physique ou morale.

Au cours des dernières années, le législateur a entrepris plusieurs réformes visant à améliorer la protection juridique des sapeurspompiers face aux violences croissantes dont ils sont la cible. La loi n° 2018‑697 du 3 août 2018 relative à l’harmonisation de l’utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique a permis l’extension de l’expérimentation du port de caméras mobiles aux sapeurs‑pompiers, dans un objectif de prévention des incidents et de sécurisation des interventions. Cette mesure, bien que prometteuse, reste encore marginale dans sa mise en œuvre effective. Par ailleurs, la loi n° 2017‑258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique a renforcé le dispositif pénal, en aggravant les peines applicables aux auteurs de violences envers les sapeurs‑pompiers. En particulier, l’article 433‑3 du code pénal prévoit qu’est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende toute menace de crime ou de délit, proférée à l’encontre d’un sapeur‑pompier professionnel ou volontaire agissant dans le cadre de sa mission de service public. En matière de dégradation de biens, les articles 322‑6 et 322‑8 du même code exposent à vingt ans de réclusion criminelle et 150 000 euros d’amende l’auteur d’une destruction ou détérioration commise au moyen d’une substance explosive ou de tout autre procédé dangereux, lorsque le bien visé appartient aux services d’incendie et de secours. Si ces évolutions constituent des avancées notables, elles se révèlent aujourd’hui insuffisantes au regard de la gravité et de la fréquence des actes de violence recensés sur le terrain. Il est donc devenu indispensable de compléter ce socle législatif par de nouvelles mesures, plus ciblées, plus protectrices, et pleinement adaptées aux réalités contemporaines du métier de sapeur‑pompier.

Face à cette situation alarmante, la présente proposition de loi vise à renforcer la protection des sapeurs‑pompiers en introduisant ou renforçant plusieurs les mesures.

L’article 1er vise à anonymiser l’identité des sapeurs‑pompiers lors du dépôt de plainte. Afin de protéger les victimes de représailles, il est proposé de permettre l’occultation de l’identité des sapeurs‑pompiers lorsqu’ils déposent plainte pour des faits survenus dans l’exercice de leurs fonctions. Actuellement, ils ont seulement la possibilité d’indiquer une autre adresse que leur adresse personnelle au moment du dépôt de plainte. C’est une demande légitime revendiquée depuis plusieurs années par les représentants des sapeurs‑pompiers.

L’article 2 permet le rétablissement des peines planchers pour les violences commises contre des sapeurs‑pompiers. La réintroduction de peines minimales obligatoires pour les auteurs de violences envers les sapeurs‑pompiers vise à renforcer l’effet dissuasif de la loi et à affirmer la gravité de ces actes.

L’article 3 propose la suppression des réductions de peine pour les auteurs de violences contre les sapeurs‑pompiers. Cette mesure vise à exclure les auteurs de telles violences du bénéfice des réductions de peine, afin de garantir une réponse pénale ferme et proportionnée.

Les événements récents en Haute‑Savoie et les statistiques alarmantes sur les agressions envers les sapeurs‑pompiers témoignent de l’urgence d’agir pour protéger ces professionnels essentiels à notre société. La présente proposition de loi s’inscrit dans cette démarche, en apportant des réponses concrètes et adaptées à la gravité de la situation. Enfin, les signataires de cette proposition de loi rappellent leur attachement et leur soutien à l’ensemble des sapeurs‑pompiers de France, quel que soit leur statut (militaire, professionnel ou volontaire) et expriment leur gratitude envers ces femmes et ces hommes qui risquent parfois leur vie pour sauver celle des autres.

 


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proposition de loi

Article 1er

La section 1 du chapitre III du titre II du livre VII du code de la sécurité intérieure est complétée par un article L. 723‑1‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 723‑1‑1. – Tout sapeur‑pompier professionnel ou volontaire et tout militaire de la brigade des sapeurs‑pompiers de Paris et du bataillon des marins‑pompiers de Marseille, victime dans l’exercice de ses fonctions d’une atteinte volontaire à l’intégrité de sa personne, peut être autorisé à garder l’anonymat dans l’ensemble des actes de la procédure lorsque la révélation de son identité est susceptible de mettre en danger sa vie ou son intégrité physique ou celles de ses proches.

« L’autorisation est délivrée par l’autorité judiciaire compétente, le procureur de la République ou le juge d’instruction. Cette autorisation permet à la personne qui en bénéficie d’être identifiée par un numéro d’immatriculation administrative. Il ne peut être fait état de ses nom, prénom ou lieu de résidence au cours des audiences publiques.

« Les juridictions d’instruction ou de jugement saisies des faits ont accès aux nom et prénom de la personne identifiée par un numéro d’immatriculation administrative dans un acte de procédure.

« La révélation de l’identité de la personne bénéficiaire d’une autorisation délivrée en application du présent article ou de tout élément permettant son identification personnelle ou sa localisation est punie de trois ans d’emprisonnement et de 50 000 euros d’amende. »

Article 2

La sous‑section 4 de la section 1 du chapitre II du titre III du livre Ier du code pénal est ainsi modifiée :

1° Après l’article 132‑18, il est inséré un article 132‑18‑1 ainsi rédigé :

« Art. 132‑18‑1. – Pour les crimes commis contre un sapeur‑pompier professionnel ou volontaire dans l’exercice de ses fonctions, la peine d’emprisonnement, de réclusion ou de détention ne peut être inférieure aux seuils suivants :

« 1° Sept ans, si le crime est puni de quinze ans de réclusion ou de détention ;

« 2° Dix ans, si le crime est puni de vingt ans de réclusion ou de détention ;

« 3° Quinze ans, si le crime est puni de trente ans de réclusion ou de détention ;

« 4° Vingt ans, si le crime est puni de la réclusion ou de la détention à perpétuité.

« Toutefois, la juridiction peut prononcer une peine inférieure à ces seuils en considération des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d’insertion ou de réinsertion présentées par celui‑ci.

« Lorsqu’un crime est commis en état de récidive légale, la juridiction ne peut prononcer une peine inférieure à ces seuils que si l’accusé présente des garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion. » ;

2° Après l’article 132‑19, il est inséré un article 132‑19‑1 ainsi rédigé :

« Art. 132‑19‑1. – Pour les délits commis contre un sapeur‑pompier professionnel ou volontaire dans l’exercice de ses fonctions, la peine d’emprisonnement ne peut être inférieure aux seuils suivants :

« 1° Dix‑huit mois, si le délit est puni de trois ans d’emprisonnement ;

« 2° Trois ans, si le délit est puni de cinq ans d’emprisonnement ;

« 3° Quatre ans, si le délit est puni de sept ans d’emprisonnement ;

« 4° Cinq ans, si le délit est puni de dix ans d’emprisonnement.

« Toutefois, la juridiction peut prononcer, par une décision spécialement motivée, une peine inférieure à ces seuils ou une peine autre que l’emprisonnement en considération des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d’insertion ou de réinsertion présentées par celui‑ci.

« Lorsqu’un délit est commis en état de récidive légale, la juridiction ne peut prononcer une peine inférieure à ces seuils que si l’accusé présente des garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion. »

Article 3

À la fin de l’article 721‑1‑2 du code de procédure pénale, les mots : « qu’à hauteur, s’il s’agit d’un crime, de trois mois par année d’incarcération et sept jours par mois pour une durée d’incarcération inférieure à un an ou, s’il s’agit d’un délit, de quatre mois par année d’incarcération et neuf jours par mois pour une durée d’incarcération inférieure à un an » sont supprimés.