N° 1516

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 juin 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer la transparence de l’action des représentants d’intérêts,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jérémie IORDANOFF, Mme Christine ARRIGHI, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, Mme Lisa BELLUCO, M. Arnaud BONNET, M. Nicolas BONNET, M. Alexis CORBIÈRE, M. Emmanuel DUPLESSY, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Damien GIRARD, Mme Catherine HERVIEU, M. Benjamin LUCAS-LUNDY, Mme Julie OZENNE, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Eva SAS, M. Nicolas THIERRY, Mme Dominique VOYNET, M. Fabrice BARUSSEAU, M. Arthur DELAPORTE, M. Denis FÉGNÉ, M. Emmanuel GRÉGOIRE, Mme Karine LEBON, M. Laurent LHARDIT, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Thierry SOTHER, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, M. Roger VICOT, Mme Sandrine ROUSSEAU, Mme Clémentine AUTAIN,

députés et députées.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) par la loi n° 2013‑907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique a constitué un progrès important dans le contrôle de l’exigence de probité des responsables politiques. Cette autorité administrative est désormais au cœur des politiques publiques de moralisation et de transparence de la vie publique.  

Dans ce cadre, la loi n° 2016‑1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite loi « Sapin 2 » est venue créer un répertoire numérique des représentants d’intérêts, notion juridique nouvelle créée par le législateur à cette occasion, avec pour objectif d’assurer une meilleure transparence des activités de lobbying. C’est la HATVP qui met en œuvre ce dispositif instaurant des obligations déclaratives et déontologiques communes à l’ensemble des représentants d’intérêts.

Toutefois, l’effectivité du dispositif est questionnée par des travaux parlementaires ([1]) ou des chercheurs ([2]), et un consensus semble se faire jour sur l’insuffisance du dispositif en place tel que traduit par le décret n° 2017‑867 du 9 mai 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d’intérêts.

En ce sens, plusieurs propositions de loi portées notamment par Mme Cécile Untermaier, M. Gilles Le Gendre ou encore M. Olivier Marleix ont tenté de corriger le dispositif sans jamais avoir été mises à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, notamment en raison de la dissolution prononcée par le président de la République le 9 juin 2024.

S’inspirant des travaux antérieurs et d’auditions de plusieurs acteurs intéressés, la présente proposition de loi a pour objet de remédier à certains des problèmes rencontrés par la HATVP elle‑même dans l’application du dispositif relatif aux représentants d’intérêts. Elle vise ainsi à renforcer la transparence de l’activité de ces derniers afin, notamment, de rendre plus accessible aux citoyens leur rôle dans la fabrication de certaines règles de droit.

C’est dans cette perspective que l’article 1er de la proposition de loi vient modifier l’article 18‑2 de la loi du 11 octobre 2013 afin de mieux définir ce qu’est un représentant d’intérêts. Il y inclut notamment les think tank, en réaction à une décision du Conseil d’État du 14 octobre 2024. Par ailleurs, il étend le champ des responsables publics concernées par le dispositif au président de la République, ainsi qu’aux membres du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État et de la Cour de cassation. Il supprime les dérogations prévues pour les syndicats, les associations cultuelles ou les associations d’élus, qui ne se justifient pas. Il supprime le critère de la régularité de l’activité, cette dernière étant désormais appréhendée sous l’angle de la personne morale et non plus d’une personne physique. Enfin, peu importe désormais qui est à l’initiative du contact avec un représentant d’intérêts : le critère de l’initiative est neutralisé.

L’article 2 de la proposition de loi prévoit un rythme d’au moins deux communications par an à la HATVP des informations prévues à l’article 18‑3 afin de favoriser le suivi de l’influence des représentants d’intérêts sur l’activité normative.

L’article 3 de la proposition de loi fait obligation au Premier ministre d’édicter un code de déontologie des représentants d’intérêts défini par décret en Conseil d’État, pris après un avis public de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Il paraît en effet urgent de prévoir un tel code pour cette profession comme il existe pour les avocats par exemple depuis le décret n° 2023‑552 du 30 juin 2023 portant code de déontologie des avocats.

Reprenant un dispositif déjà plusieurs fois proposé, l’article 4 confie à la HATVP un pouvoir de sanction administrative, confié à une commission des sanctions, afin de lui permettre de doter d’une réelle effectivité ses mises en demeure de respecter la loi.

Enfin l’article 5 vient gager la proposition de loi.

 


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proposition de loi

Article 1er

L’article 18‑2 de la loi n° 2013‑907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

a) Après le mot : « privé », sont insérés les mots : « , y compris un organisme qui se consacre à une activité de réflexion, de recherche et d’expertise sur des sujets déterminés en vue de produire des travaux destinés à être rendus publics » ;

b) Les mots : « dont un dirigeant, un employé ou un membre a pour activité principale ou régulière » sont remplacés par les mots : « qui ont pour activité, principale ou accessoire, régulière ou non » ;

c) Après le mot : « communication », sont insérés les mots : « , à leur initiative ou non, » ;

2° Le 3° est ainsi rédigé :

« 3° Le président de la République ou un de ses collaborateurs ; » 

3° Après le 7°, sont insérés des 8° à 10° ainsi rédigés :

« 8° Un membre du Conseil constitutionnel ;

« 9° Un membre du Conseil d’État ;

« 10° Un membre de la Cour de cassation. » ;

4° Les cinq derniers alinéas sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :

« Les élus, dans l’exercice de leur mandat, ne sont pas des représentants d’intérêts au sens de la présente section, pas davantage que les partis et groupements politiques, dans le cadre de leur mission prévue à l’article 4 de la Constitution. »

Article 2

L’article 18‑3 de la loi n° 2013‑907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, après le mot : « communique », sont insérés les mots : « au moins deux fois par an, » ;

2° Le a est ainsi rédigé :

« a) Les modalités d’application du présent article ; ».

Article 3

Au dernier alinéa de l’article 18‑5 de la loi n° 2013‑907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, les mots : « peuvent être » sont remplacés par le mot : « sont ».

Article 4

Le chapitre Ier de la loi n° 2013‑907 du 11 octobre 2013 précitée est ainsi modifiée :

1° La section 3 bis est ainsi modifiée :

a) L’intitulé de la sous‑section 2 est ainsi rédigé :

« Règles déontologiques et contrôle » ;

b) Après la même sous‑section 2, est insérée une sous‑section 2 bis ainsi rédigée :

« Sous‑section 2 bis

« Sanctions administratives

« Art. 1881. – Lorsque le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique constate qu’un représentant d’intérêts ne s’est pas conformé à la mise en demeure prononcée en application de l’article 18‑7 au terme d’un délai de six mois, il peut prononcer une astreinte.

« Le président de la Haute Autorité peut décider de rendre publique cette mise en demeure ainsi que cette astreinte.

« Art. 1882. – Lorsque le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique constate qu’un représentant d’intérêts ne s’est pas conformé à la mise en demeure prononcée en application de l’article 18‑7 au terme d’un délai de six mois, il peut saisir la commission des sanctions. Il en informe le représentant d’intérêts concerné.

« La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer, à l’égard du représentant d’intérêts concerné, une sanction pécuniaire dont le montant doit être nécessaire, adapté et proportionné à la gravité du manquement et à la situation de la personne concernée.

« La commission des sanctions rend publique sa décision de sanction. » ;

2° Le VI de l’article 19 est ainsi rétabli :

« VI. – La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique comprend une commission des sanctions composée de six membres :

« 1° Deux membres du Conseil d’État, désignés par le vice‑président du Conseil d’État ;

« 2° Deux membres de la Cour de cassation, désignés par le premier président de la Cour de cassation ;

« 3° Deux magistrats de la Cour des comptes, désignés par le premier président de la Cour des comptes.

« Les membres de la commission sont nommés pour un mandat de cinq ans. Le président de la commission est élu à la majorité de ses membres.

« Des suppléants sont nommés selon les mêmes modalités.

« En cas de partage égal des voix, le président de la commission a voix prépondérante.

« Le Président de la Haute Autorité et les membres de la commission des sanctions sont tenus au secret professionnel.

« Un décret en Conseil d’État précise les conditions de fonctionnement de la commission des sanctions, notamment les conditions de récusation de ses membres, ainsi que les modalités de leur désignation, de manière à assurer une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes pour chacune des catégories énumérées aux 1° à 3°. »

Article 5

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


([1])  On pense notamment au rapport de M. Sylvain Waserman, vice-président de l’Assemblée nationale et Président de la délégation du Bureau chargée des représentants d’intérêts et des groupes d’études, intitulé « Propositions pour un lobbying plus responsable et transparent » (janvier 2021), au rapport de MM. Raphaël Gauvain et Olivier Marleix sur l’évaluation de l’impact de la loi « Sapin 2 » (7 juillet 2021), au rapport de la HATVP sur l’encadrement de la représentation d’intérêts (octobre 2021), au rapport de conformité relatif au cinquième cycle d’évaluation de la France du Groupe d’États contre la corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe (décembre 2021-janvier 2022), au rapport du Comité de déontologie parlementaire du Sénat, Les représentants d’intérêts : renouer avec l’esprit de la loi « Sapin 2 » (décembre 2022) ou encore au rapport de M. Gilles Le Gendre et de Mme Cécile Untermaier rendu en 2023 à la suite de la mission flash sur la rédaction du décret du 9 mai 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d’intérêts. Une tribune a également été publiée par les représentants de plusieurs collectifs dans le journal Le Monde du 21 septembre 2022 (Lobbying : « Une régulation s’impose pour rétablir l’équilibre du débat public et faire primer l’intérêt général »). L’ensemble de ces documents atteste un consensus large sur la nécessité des réformes portées par la présente proposition de loi.

([2])  S. Aouiss, “De la nécessité d’une (re)définition des représentants d’intérêt”, RFDC, n° 139, 2024, p. 563.