– 1 –

N° 1623

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 juin 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à lutter contre la chaleur en ville,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Loïc PRUD’HOMME, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,

députés et députées.

 


– 1 –

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La canicule de l’été 2003 a brutalement fait entrer la France et les Français·es dans une nouvelle ère climatique. Cet épisode dramatique a mis en lumière l’impréparation et l’inadaptation de notre pays aux épisodes caniculaires et à leurs conséquences sur nos villes et nos populations.

Depuis, les canicules et leurs terribles conséquences se sont multipliées jusqu’à devenir la norme. Entre 2014 et 2022, Santé publique France estime que 33 000 décès sont attribuables à la chaleur dont plus de 9 000 durant les épisodes caniculaires. Sans atteindre ces extrémités, les fortes chaleurs ont des effets néfastes sur l’ensemble de la population, notamment sous la forme d’un épuisement chronique de l’organisme qui ne parvient pas à récupérer la nuit en raison des températures encore trop élevées. Pour les personnes les plus vulnérables, cela peut se traduire également par des coups de chaleur, de la déshydratation, une accentuation des symptômes de maladies chroniques mais aussi des risques accrus de dépression ou d’isolement social.

La lutte contre la chaleur constitue ainsi une action de santé publique majeure et urgente encore trop souvent négligée par les pouvoirs publics, d’autant que les projections pour les prochaines décennies prévoient d’ici 2050 deux à trois fois plus d’épisodes caniculaires, qui dureraient jusqu’à trois fois plus longtemps.

Les risques liés à l’augmentation de la chaleur ne touchent pas le territoire français de manière uniforme. Les villes y sont particulièrement exposées car elles sont confrontées au phénomène d’îlot de chaleur urbain. La température peut ainsi atteindre 10° C de plus en ville que dans la campagne environnante, notamment la nuit lorsque les températures redescendent au minimum. Étant donné que 80 % de la population française réside en zone urbaine, une grande majorité de nos concitoyen·es est exposée aux risques liés à cette surchauffe.

Il existe deux acceptions liées à la notion d’îlot de chaleur correspondant en réalité à deux échelles différentes.

D’une part, l’îlot de chaleur peut être entendu comme un phénomène météorologique s’appliquant à l’ensemble de la ville. Dans ce cas, on désigne un phénomène global selon lequel les villes sont généralement plus chaudes que les campagnes. Autrement dit, il est question d’un dôme d’air plus chaud couvrant la ville.

D’autre part, à une échelle plus fine, l’îlot de chaleur urbain peut désigner une zone plus précise au sein de la ville, dans laquelle on constate une surchauffe ou un microclimat urbain. Lorsque nous parlerons d’îlot de chaleur urbain dans cette proposition de loi, c’est à cette dernière définition que nous ferons référence. Ce texte vise en effet à lutter contre ces zones de surchauffe et ces microclimats urbains en apportant des solutions concrètes basée sur le travail de chercheurs, ingénieurs, urbanistes et sur les nombreuses actions menées dans ce sens par les collectivités locales.

La cause première des îlots de chaleur urbain est le manque de végétation en ville. Les arbres permettent, par leur canopée, d’apporter un effet d’ombrage naturel qui réduit l’absorption de la chaleur par le sol et les structures urbaines. De plus, grâce à l’évapotranspiration, les végétaux libèrent de la vapeur d’eau dans l’air, ce qui contribue à abaisser la température ambiante. En une journée, un arbre peut transpirer jusqu’à 450 litres d’eau ‑ soit l’équivalent de cinq climatiseurs fonctionnant vingt heures par jour ‑ jouant ainsi un rôle majeur dans le rafraîchissement de l’air.

Si le législateur a progressivement enjoint aux rédacteurs des documents d’urbanisme de prévoir des mesures de végétalisation des espaces urbains, celles‑ci demeurent principalement non contraignantes et donc basées sur le volontariat des collectivités. Ainsi la législation doit‑elle être adaptée pour mieux protéger le patrimoine naturel en milieu urbain et pour encourager la végétalisation des villes.

Le deuxième levier majeur de lutte contre les îlots de chaleur consiste à redonner toute sa place à l’eau en ville. Cela passe d’abord par la multiplication d’aménagements pour rendre l’eau accessible au public tels que les fontaines, les plans d’eau, les brumisateurs, etc. Mais cela passe surtout par la restauration du cycle de l’eau et à un renforcement de la présence de l’eau en ville. Aujourd’hui l’imperméabilisation massive des sols et l’aménagement des réseaux d’eau pluviale ont pour conséquence d’évacuer l’eau des centres urbains, les privant d’une source naturelle de régulation thermique. Des mesures concrètes ont été mises en place dans certains plans locaux d’urbanisme (PLU) pour favoriser une gestion efficace de l’eau en ville. Nous pouvons citer le plan pluie de la ville de Paris qui impose, par exemple, à tout nouveau projet d’aménagement l’obligation de concevoir un mode de gestion des eaux pluviales durable et vertueux.

La végétalisation des villes et la restauration du cycle de l’eau implique inévitablement un effort de désimperméabilisation des surfaces urbaines. Cet objectif global doit être intégré à tout projet de création ou de rénovation d’aménagement urbain.

La troisième cause majeure à l’origine des îlots de chaleur se trouve dans la forme urbaine et architecturale des villes. La hauteur, l’orientation, les matériaux, et revêtements des bâtiments peuvent favoriser ou non la circulation du vent, l’exposition au soleil, l’accumulation de la chaleur, le phénomène de déphasage, et ainsi, le confort thermique intérieur comme extérieur.

Les solutions bioclimatiques constituent une réponse adaptée à cette problématique. Il est indispensable d’envisager que l’isolation des bâtiments, et en particulier, des logements, soit adaptée au confort d’été, notamment pour les populations habitants dans des bouilloires thermiques. De plus des solutions simples mais très efficaces telles que les protections solaires des bâtiments permettent d’améliorer considérablement le confort thermique intérieur en période estivale/de fortes chaleurs puisqu’elles peuvent faire baisser la température intérieure de 2° C à 5° C.

Enfin, l’impact des activités anthropiques telles que la circulation automobile et l’utilisation généralisée de la climatisation contribue de manière significative à l’effet de l’îlot de chaleur urbain.

En ce qui concerne la circulation automobile, la solution passe par une limitation de la place de la voiture en ville adossée à des politiques de développement des mobilités douces et des transports en commun.

Pour ce qui est des climatiseurs, leur usage renforce les ilots de chaleur urbain car ils génèrent des rejets d’air chaud dans la rue. La climatisation aggrave donc plus le problème qu’elle ne le résout. En outre, les gaz frigorifiques contenus dans les climatiseurs ont un important pouvoir réchauffant sur le climat. Il suffit d’une fuite, que le climatiseur soit en fin de vie ou encore qu’il soit mal recyclé pour que ces gaz réchauffants se retrouvent dans l’atmosphère.

Il existe pourtant des alternatives aux climatiseurs accessibles et écologiques qui ont démontré leur efficacité : réseaux de froid urbain, puits canadiens, ventilateurs brasseurs d’air, etc. Ces solutions à la fois économes en énergie, peu coûteuses, et très peu émettrices de gaz à effet de serre doivent être considérées comme prioritaires dans tout nouveau projet de construction ou de rénovation.

Les causes de la surchauffe de nos centres urbains sont ainsi bien identifiées. Lutter contre la chaleur en ville implique donc d’agir résolument pour une végétalisation massive et la restauration du cycle de l’eau en milieu urbain mais aussi pour un encadrement plus strict des normes de construction et des activités anthropiques. C’est l’objet des cinq articles de cette proposition de loi.

L’article 1er prévoit que les communes et EPCI réalisent un recensement et une cartographie accessibles au public des îlots de fraicheur.

L’article 2 propose une définition des îlots de fraicheur intérieurs et extérieurs et des trames vertes urbaines. Il fixe des objectifs chiffrés de transformation des voies ouvertes à la circulation routière en trames vertes urbaines jusqu’en 2050.

Cet article vise également à améliorer la protection des arbres en milieu urbain. Pour cela il prévoit que tout espace boisé, tout arbre isolé, haie ou alignement d’arbres soit reconnu comme un espace boisé classé (EBC) et protégé en conséquence. En milieu urbain tout défrichement sera ainsi a priori interdit et soumis à autorisation.

L’article 3 intègre le déploiement d’un « plan pluie » visant à la restauration du cycle de l’eau en milieu urbain pour toutes les intercommunalités de plus de 50 000 habitants.

L’article 4 prévoit que tout projet de construction ou de rénovation inclue une étude micro climatique pour justifier une action positive sur le rafraîchissement du quartier par des actions de végétalisation, de restauration du cycle de l’eau, des solutions bioclimatiques et pour quantifier les rejets de chaleur à l’extérieur du bâtiment.

Il encadre également la mise en place de systèmes de rafraîchissement dans les bâtiments en priorisant les solutions passives (solutions bio‑climatiques, réseau de froid urbain, puits canadiens, etc.) L’installation de climatiseurs sera ainsi interdite dans les constructions neuves et ne pourra être envisagée qu’en dernier recours pour les bâtiments déjà existants à l’exception des établissements de santé, des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, des écoles primaires et des crèches.

L’article 5 permet le déploiement d’un grand « plan volet » pour tous les immeubles de logements. Ainsi toute opération de rénovation et tout plan pluriannuel de travaux définis par des copropriétaires ou par des bailleurs sociaux devront s’accompagner de la pose de volets sur tous les ouvrants du bâtiment en privilégiant des matériaux biosourcés.

L’article 6 vise à gager la présente proposition de loi.

 

 


– 1 –

proposition de loi

Article 1er

Après le 1° du II de l’article L. 229‑26 du code de l’environnement, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :

« 1° bis Une carte qui recense les îlots de fraicheur au sens de l’article L. 111‑35 du code de l’urbanisme et qui est tenue à disposition du public. »

Article 2

Le titre Ier du livre Ier du code de l’urbanisme est ainsi modifié :

1° Le chapitre Ier est complété par une section 10 ainsi rédigée :

« Section 10

« Adaptation au changement climatique

« Art. L. 11135. – Les îlots de fraîcheur sont constitués :

« 1° Des établissements de refuge, d’accueil, de halte et de repos artificiellement ou naturellement refroidis ;

« 2° Des espaces de refuge, d’accueil, de halte et de repos situés en extérieur, et rafraîchis notamment par la canopée et la végétalisation.

« Art. L. 11136.  Les trames vertes urbaines sont définies comme les voies de circulation non motorisée, d’au moins 5 mètres de large, comprenant des alignements d’arbres accompagnés de fosses filantes de pleine terre permettant une circulation sous canopée ombragée et reliant les îlots de fraicheur extérieurs mentionnés au 2° de l’article L. 111‑35.

« Art. L. 11137. – Les trames vertes urbaines représentent, parmi le total des voies publiques ouvertes à la circulation des véhicules motorisés sur le territoire de la métropole de Lyon et de chaque établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre :

« 1° Un huitième en 2030 ;

« 2° Un cinquième en 2040 ;

« 3° Un tiers en 2050. 

« Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article, notamment les modalités de calcul du total des voies publiques ainsi que du calcul du total des trames vertes urbaines. » ;

2° Après l’article L. 113‑1, il est inséré un article L. 113‑1‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 11311. – Les espaces boisés, arbres isolés, haies, réseaux de haie ou plantations d’alignement situés dans les zones urbaines ou à urbaniser sont classés en application de l’article L. 113‑1. »

Article 3

Après le I quater de l’article L. 211‑7 du code de l’environnement, il est inséré un I quinquies ainsi rédigé :

« I quinquies. – Les collectivités territoriales et leurs groupements ainsi que les établissements publics territoriaux de bassin exerçant les missions mentionnées au 4° du I du présent article se dotent d’un « plan pluie » qui comprend un ensemble de prescriptions dans un objectif de restauration maximale du cycle naturel de l’eau. »

Article 4

L’article L. 171‑1 du code de la construction et de l’habitation est ainsi modifié :

1° Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Elles sont soumises à une étude d’impact sur le microclimat pour justifier que le projet a un impact positif sur le rafraîchissement du quartier, notamment par des actions de végétalisation, de restauration du cycle de l’eau, des solutions bioclimatiques et pour quantifier les rejets de chaleur à l’extérieur du bâtiment. » ;

2° Après le 3°, il est inséré un 4° ainsi rédigé :

« 4° Pour les constructions neuves, le confort d’été doit être assuré au moyen de dispositifs passifs ou par raccordement à un réseau de froid urbain.

« Pour la rénovation des bâtiments existants, le confort d’été doit être assuré prioritairement au moyen de dispositifs passifs. Le cas échéant, le recours complémentaire à un système de production de froid doit intervenir prioritairement par raccordement au réseau de froid urbain. En cas d’impossibilité technique, il est possible de recourir à d’autres systèmes de climatisation collectifs. Les systèmes de climatisation non collectifs ne peuvent être retenus qu’en dernier recours, en cas d’impossibilité technique de recourir aux systèmes indiqués ci‑dessus ou pour le rafraichissement des établissements de santé, des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, des écoles primaires et des crèches. »

Article 5

I. – Après le troisième alinéa de l’article L. 173‑1 du code de la construction et de l’habitation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les travaux de rénovation de bâtiments résidentiels existants sont soumis à une étude d’ensoleillement. Celle‑ci permet d’assurer le confort d’été par l’installation de protections solaires, notamment de volets ou de brise‑soleil, et en privilégiant les matériaux biosourcés. »

II. – Après le 2° du I de l’article 14‑2 de la loi n° 65‑557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, il est inséré un 2° bis ainsi rédigé :

« 2° bis Un « plan volets » permettant d’assurer le confort d’été, de manière prioritaire par l’installation de protections solaires, notamment de volets ou de brise‑soleil, et en privilégiant les matériaux biosourcés. »

Article 6

La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.