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N° 1630
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 juin 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à planifier une stratégie nationale de sobriété métal au service des besoins collectifs et conforme à l’intérêt général humain,
(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Clémence GUETTÉ, Mme Mathilde HIGNET, Mme Marianne MAXIMI, M. Matthias TAVEL, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Dans notre pays, les projets d’exploration à des fins d’exploitation minière se multiplient. Depuis 2014, 21 nouveaux permis de recherches ont déjà été accordés ([1]). L’entreprise minière canadienne et immatriculée aux Bermudes, Aurania, sous la bannière de sa nouvelle société Corsica Ressources, projette d’exploiter du nickel dans le Cap Corse (2B) sur les plages de Nonza et d’Albu ([2]). De même, la start‑up Breizh Ressources, elle aussi inféodée à Aurania, a déjà déposé discrètement trois permis de recherche dans le Maine‑et‑Loire (49), en Ille‑et‑Vilaine (35), en Loire Atlantique (44) et dans le Morbihan (56) ([3]). Dans l’Allier (03), le projet d’ouverture d’une mine de lithium porté par la multinationale Imerys a été classé « projet d’intérêt national majeur » par décret le 7 juillet 2024, avant même que le débat public organisé par la CNDP sur le sujet se clôture ([4]). Son développement va donc être facilité grâce à ce statut qui lui accorde de nombreuses dérogations administratives et mesures d’accélération.
Cette dynamique s’inscrit dans le cadre du “renouveau minier” ([5]) porté par Emmanuel Macron. Il a annoncé avoir commandé un nouvel inventaire des ressources nationales minières au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) en 2023 ([6]). L’Union européenne s’inscrit dans la même démarche avec le règlement sur les matières premières critiques, adopté en 2024 ([7]). Ce regain d’intérêt pour le secteur minier doit s’interpréter dans le cadre d’une demande mondiale exponentielle et de plus en plus diversifiée en métaux et minerais, corrélée, entre autres, à la numérisation croissante et à la décarbonation de nos sociétés. Les velléités d’accaparement du président des États‑Unis d’Amérique envers les ressources minières groenlandaises et ukrainiennes, ainsi que les exportations de minerais ([8]) du Rwanda, dont 90 % viennent du pillage des minerais de la République démocratique du Congo ([9]), en témoignent.
Pour le ministre de l’industrie, Marc Ferracci, « l’exploitation des ressources du sous‑sol français est donc cruciale pour réduire nos dépendances et soutenir [… ] une transition écologique ambitieuse » ([10]). Si certains minerais et métaux, comme le lithium, sont à juste titre décrits comme indispensables pour planifier la bifurcation écologique ([11]) et permettre la construction de batteries pour des petits véhicules, des trains ou des panneaux solaires, ce diagnostic est très largement incomplet et hypocrite.
D’abord, il est important de noter que le patrimoine minier français n’est pas si conséquent. Si la demande en métaux ([12]) est de plus en plus grande, c’est notamment dans le cadre d’une transition écologique exclusivement attachée à une « croissance verte » reposant sur la volonté illusoire d’un approvisionnement illimité en ressources minières. En effet, comme le rappelle l’association négaWatt « certaines projections estiment qu’en 2040, la consommation annuelle de lithium pour les seuls véhicules électriques représenterait 8 fois la production minière actuelle mondiale » ([13]). De même, pour Simon Michaux, professeur associé de géométallurgie à la Commission géologique de Finlande, pour produire des batteries électriques nécessaires à la sortie des combustibles fossiles, il faudrait le double des réserves planétaires de graphite de 2018 ([14]). Or, les ressources disponibles ne sont pas infinies. Ensuite, outre la limitation des quantités de ressources disponibles, il est avéré que la teneur en métaux des gisements miniers est de moins en moins importante au fil du temps ([15]). C’est‑à‑dire qu’il faut de plus en plus de mines pour de moins en moins de rendements. Enfin, selon une étude scientifique récente ([16]), l’exploitation minière de métaux et de minéraux est intrinsèquement menacée par les situations de stress hydriques engendrées par le bouleversement climatique. Par exemple, la production de cuivre, dont la demande mondiale devrait augmenter de 40 % d’ici à 2040 selon l’Agence internationale de l’énergie, excède déjà actuellement de 37 % « la limite durable de disponibilité en eau » ([17]).
Ainsi, non seulement le discours du gouvernement n’est pas crédible, mais il repose également sur des mensonges. Toujours selon Marc Ferracci « la mine écologique n’est pas un mythe en 2025 » ([18]). Cependant, comme l’a démontré l’association SystExt, « l’industrie minière repose sur un modèle intrinsèquement insoutenable ». Celle‑ci pointe qu’au‑delà des « bouleversements majeurs, irréversibles et croissants occasionnés par l’industrie minière », « certaines causes profondes de l’insoutenabilité du modèle minier ne sont pas abordées par ceux qui prônent la mine “durable” ». Pour elle, « il s’agit en particulier de l’augmentation exponentielle de la production à l’origine d’impacts démultipliés ainsi que des paradigmes économiques et politiques sous‑jacents » ([19]). Dès lors, ouvrir des mines en France, sans poser en amont la question macroéconomique et politique des usages et de la répartition de ces ressources ne permettra ni de réduire la dépendance française, ni d’engager un effort crédible et soutenable de planification.
Il est donc urgent de repenser et de définir démocratiquement nos besoins collectifs en minéraux et en métaux en dehors du paradigme productiviste promu par le gouvernement. Les sous‑sols français ne peuvent pas être exploités par des grandes multinationales sans aucun contrôle effectif sur l’utilisation des ressources extraites. Ouvrir des mines constitue un préjudice écologique qui ne peut pas être justifié ou assumé par la « régulation » du tout‑marché. Dès lors, l’exploitation minière ne peut se concevoir que dans le cadre de la poursuite de l’intérêt général.
Parallèlement, il est très largement inconséquent de défendre un renouveau minier et la recherche d’une indépendance française en dehors d’objectifs ambitieux de réduction de notre consommation métal nationale. Celle‑ci n’est pour l’heure pas comptabilisée de manière centralisée. Il est urgent de la dévoiler, de hiérarchiser et de définir démocratiquement nos besoins en minerais en prenant en compte d’une part le bilan carbone et d’autre part le bilan métal de nos politiques économiques. Nous devons démocratiquement construire la voie vers une sobriété métal dans laquelle l’extraction minière est indissociable d’une demande en métaux justifiée par la planification écologique et dont la consommation et la production sont maîtrisées du bout à bout de chaque filière. En effet, extraire des métaux sur le territoire national ne garantit ni qu’ils répondent à nos besoins collectifs en minerais, ni qu’ils soient raffinés en France. En 2019, par exemple, 60 % du raffinage du lithium se faisait en Chine ([20]). Ouvrir des mines sans planifier les fins de la production et sans avoir les capacités productives nécessaires de raffinage est donc très largement inopérant.
Il faut donc doter la France d’une stratégie nationale “bas métal” dans laquelle les minerais sont économisés et ne servent ni au déploiement massif de caméras de vidéosurveillance et de fabrication des batteries pour SUV ([21]), dont les batteries exige 10 kilogrammes (kg) de lithium contre 2,7 kg pour une voiture mini‑citadine ([22]), mais à organiser, entre autres, une bifurcation technologique vers les low tech ([23]) appuyée par une volonté politique de planification. Dans le cadre d’une démarche de sobriété, cette bifurcation technologique doit reposer sur la recherche d’une maximisation de l’efficience métal, c’est‑à‑dire sur une diminution de la quantité et de la diversité des ressources en minerais nécessaires pour fabriquer un objet. Enfin, la sobriété métal est indissociable d’objectifs nationaux ambitieux en termes de recyclage des métaux extraits. Aujourd’hui, dans le monde, seulement 5 à 7 % des batteries lithium‑ion sont recyclées ([24]) et la récupération du lithium dans celles‑ci se fait majoritairement en Chine ([25]). Il est donc urgent de doter la France des capacités industrielles adéquates pour accélérer la récupération des métaux en fin de vie.
Il faut partir des besoins, pour garantir l’harmonie entre les être humains et la nature, au service de la paix. La sobriété métal est la condition sine qua non pour asseoir l’indépendance française et construire une économie de la paix respectueuse des droits humains, au service de la bifurcation écologique et de l’intérêt général humain. Cette proposition de loi entend traduire cette ambition.
L’article 1er instaure un plafond national de consommation métal pour une période de cinq ans.
L’article 2 vise à doter la France d’une stratégie nationale pluriannuelle bas métal.
L’article 3 vise à adapter la politique nationale de gestion durable des ressources et des usages du sous‑sol à la stratégie nationale de développement à faible consommation métal.
L’article 4 vise à rendre obligatoire, entre autres, la publication quadriennale d’un bilan de la consommation métal des grandes entreprises installées en France.
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proposition de loi
Article 1er
Après l’article L. 222‑1 A du code de l’environnement, il est inséré un article L. 222‑1 A bis ainsi rédigé :
« Art. L. 222‑1 A bis. – Pour la période 2026‑2031, puis pour chaque période consécutive de cinq ans, un plafond national de consommation métal, qui regroupe l’ensemble des matières premières minérales, dénommé "budget métal" est fixé par décret. »
Article 2
Après l’article L. 222‑1 B du code de l’environnement, il est inséré un article L. 222‑1 B bis ainsi rédigé :
« Art. L. 222‑1 B bis – La stratégie nationale de développement à faible consommation métal, dénommée "stratégie bas métal", fixée par décret, définit la marche à suivre pour conduire la politique de maîtrise de la consommation de métal.
« Le décret fixant la stratégie bas métal répartit le budget métal de chacune des périodes mentionnées à l’article L. 222‑1 A bis par grands secteurs. Il répartit également les budgets métal en tranches indicatives de consommation annuelle.
« La stratégie bas métal décrit les orientations et les dispositions d’ordre sectoriel ou transversal qui sont établies pour respecter le budget métal. Elle définit une planification de long terme à travers notamment une définition démocratique et collective des besoins en métaux et de leur utilisation.
« L’État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics respectifs prennent en compte la stratégie bas métal dans leurs documents de planification et de programmation.
« Dans le cadre de la stratégie bas métal, le niveau de soutien financier des projets publics intègre, systématiquement et parmi d’autres critères, le critère de contribution à la réduction de la consommation métal nationale. Les principes et modalités de calcul de la consommation métal des projets publics sont définis par décret. »
Article 3
Au premier alinéa de l’article L. 113‑2 du code minier, après le mot : « stratégie », sont insérés les mots : « cohérente avec la stratégie nationale de développement à faible consommation métal fixée par décret et définie à l’article L. 222‑1 B bis du code de l’environnement ».
Article 4
I. – L’article L. 229‑25 du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après le mot : « serre », sont insérés les mots : « et un bilan de leur consommation métal » ;
2° Le cinquième alinéa est ainsi modifié :
a) Les mots : « ce bilan » sont remplacés par les mots : « ces bilans » ;
b) Après le mot : « serre », sont insérés les mots : « et leur consommation métal » ;
c) Les mots : « du précédent bilan » sont remplacés par les mots : « des précédents bilans » ;
3° Le sixième alinéa est ainsi modifié :
a) Au début, les mots : « ce bilan » sont remplacés par les mots : « ces bilans » ;
b) Après le mot : « serre », sont insérés les mots : « et de consommation métal » ;
4° Au neuvième alinéa, les mots : « ce bilan » sont remplacés par les mots : « ces bilans » ;
5° Au dixième alinéa, après le mot : « serre », sont insérés les mots : « et de consommation métal » ;
6° Au dernier alinéa, après le mot : « serre », sont insérés les mots : « et du bilan de consommation métal ».
II. – Un décret établit que les personnes morales de droit privé tenues d’établir un bilan de consommation métal sont celles qui ont leur siège en France ou y disposent d’un ou plusieurs établissements stables et qui remplissent la condition d’effectif travaillant en France fixée au 1° ou au 2° de l’article L. 229‑25. L’effectif est calculé conformément aux règles prévues à l’article L. 1111‑2 du code du travail.
([1]) Louison, F. (2024, 17 décembre). Nouvelles mines en France : quels risques pour l’environnement ? Socialter.
([2]) Mattei, J. (2025, 15 mars). Un gisement de nickel met le cap Corse en ébullition. Le Point.
([3]) Gall, C. L. (2025, 25 février). Breizh Ressources, la société minière la plus discrète de l’Ouest - Splann !
([4]) Bonnefous, B. (2024, 10 juillet). Le projet de mine de lithium dans l’Allier reconnu d’ « intérêt national majeur ». Le Monde.fr.
([5]) Latouche, C. (2024, 12 avril). COMMUNIQUE DE PRESSE Paris, le 12 avril 2024 N° 1762 Simplification des procédures minières. Presse - Ministère des Finances.
([6]) Gazzane, H. (2023, 27 septembre). Métaux stratégiques : « Il est indispensable de faire l’inventaire de nos sous‑sols ». Les Echos.
([7]) Actu‑environnement. (2024, 5 juin). Matières premières critiques : l’Union européenne se dote d’une législation spécifique.
([8]) Coltan, tungstène, étain et or.
([9]) Massemin, É. (2025, 7 février). Les « minerais de sang » du numérique, clé de la guerre en RDC. Reporterre.
([10]) Getten, N. (2025, 16 mars). Entretien avec Marc Ferracci, ministre de l’Industrie et de l’Énergie : « L’exploitation du sous‑sol français est cruciale ». La Tribune.
([11]) Maximin, E. (2023, 22 septembre). Planification écologique : va‑t‑on manquer de matériaux critiques pour la transition énergétique ? Le Grand Continent.
([12]) Le terme de “métaux” est ici entendu selon une définition générale et regroupe l’ensemble des matières premières minérales.
([13]) Lithium : vers une indispensable sobriété. (2023, février.). Association négaWatt.
([14]) Michaux, S. (2021, 20 août). Assessment to Phase out Fossil Fuels. Geological Survey of Finland.
([15]) Drezet, E. (2014, 11 mars). Épuisement des ressources naturelles.
([16]) L’industrie minière sera affectée par le manque d’eau (2025, 13 mars). Reporterre.
([17]) Ibid.
([18]) Getten, N. (2025, 16 mars). Entretien avec Marc Ferracci, ministre de l’Industrie et de l’Énergie : « L’exploitation du sous‑sol français est cruciale ». La Tribune.
([19]) Rapport d’étude | Controverses minières - Volet 2 · Meilleures pratiques et mine « responsable » . (2023, février). SystExt.
([20]) The Role of Critical Minerals in Clean Energy Transitions (World Energy Outlook Special Report). (2022). IEA
([21]) Véhicule tout‑terrain à la carrosserie surélevée et volumineuse.
([22]) Izoard, C. (2024). La ruée minière au XXIe siècle : enquête sur les métaux à l’ère de la transition.
([23]) Technologies utilisant des moyens techniques simples et accessibles.
([24]) Pinegar, H., & Smith, Y. R. (2019). Recycling of End‑of‑Life Lithium Ion Batteries, Part I : Commercial Processes. Journal Of Sustainable Metallurgy, 5(3), 402‑416.
([25]) Lithium : vers une indispensable sobriété. (2023, février.). Association négaWatt.