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N° 1733
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 juillet 2025.
PROPOSITION DE LOI
instaurant un versement automatique des allocations de rentrée scolaire aux enfants placés à leur majorité et instituant un versement de la part des allocations familiales et du revenu de solidarité active concernée aux enfants placés à leur majorité,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Laure MILLER, M. Stéphane BUCHOU, Mme Céline CALVEZ, M. François CORMIER-BOULIGEON, Mme Julie DELPECH, Mme Nicole DUBRÉ-CHIRAT, M. Jean-Luc FUGIT, Mme Camille GALLIARD-MINIER, M. Guillaume GOUFFIER VALENTE, Mme Olivia GRÉGOIRE, Mme Emmanuelle HOFFMAN, M. Sébastien HUYGHE, Mme Amélia LAKRAFI, M. Michel LAUZZANA, Mme Sandrine LE FEUR, Mme Constance LE GRIP, Mme Christine LE NABOUR, M. Vincent LEDOUX, Mme Pauline LEVASSEUR, Mme Brigitte LISO, Mme Sandra MARSAUD, M. Ludovic MENDES, M. Paul MIDY, Mme Joséphine MISSOFFE, Mme Sophie PANONACLE, Mme Natalia POUZYREFF, Mme Véronique RIOTTON, Mme Stéphanie RIST, M. Charles RODWELL, Mme Anne-Sophie RONCERET, Mme Marie-Ange ROUSSELOT, M. Jean-François ROUSSET, M. Freddy SERTIN, M. Bertrand SORRE, Mme Violette SPILLEBOUT, M. Jean TERLIER, Mme Prisca THEVENOT, Mme Annie VIDAL, M. Lionel VUIBERT, M. Éric WOERTH, Mme Caroline YADAN,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Comme l’ont récemment montré les travaux menés par la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance, l’Aide sociale à l’enfance (ASE) est aujourd’hui confrontée à un grand nombre de défis qui nécessitent une réforme structurelle du dispositif dans son ensemble, ce n’est pas l’objet de cette proposition de loi.
Ce texte a en effet pour vocation d’apporter une solution à l’un des dysfonctionnements constatés actuellement dans le dispositif, dans le seul et unique intérêt de l’enfant et de son épanouissement futur.
Le constat qui est fait aujourd’hui est le suivant : beaucoup d’adolescents passés par l’ASE rencontrent des difficultés pour se loger à leur majorité, se retrouvant sans protection quasiment du jour au lendemain. C’est notamment ce qui explique la surreprésentation des anciens enfants placés parmi les personnes sans domicile fixe, les empêchant ainsi de réaliser leurs projets, de faire des études ou tout simplement de continuer à se construire.
Pour éviter que les anciens enfants placés se retrouvent démunis à dix‑huit ans, la loi n° 2016‑297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfance a confié à la Caisse des Dépôts la mission de recevoir et de préserver les Allocations de rentrée scolaire (ARS) des enfants confiés au service de l’ASE dans le cadre d’une mesure judiciaire d’assistance éducative ou d’un établissement sanitaire ou éducatif, qu’il soit ordinaire ou spécialisé. Cette disposition s’étend également aux situations d’urgence où les placements sont prononcés en application de l’article 375‑5 du code civil.
Ces sommes sont déposées sur un compte de dépôt spécialisé et conservées jusqu’à la majorité ou l’émancipation des bénéficiaires. La Caisse des Dépôts s’acquitte ainsi de son rôle d’acteur neutre et de tiers de confiance.
Le pécule ainsi constitué est remis au jeune devenu majeur ou émancipé, lui offrant un soutien financier crucial pour entamer sa vie d’adulte. Ce droit est maintenu même si l’enfant retourne par la suite dans sa famille. Il s’agit d’un pécule pour l’autonomie, pour démarrer dans la vie, d’un geste symboliquement fort, d’une reconnaissance du jeune majeur par la société, d’un geste de confiance.
Cependant, ce dispositif, bien que louable dans son intention, s’avère complexe en pratique, tant pour la consignation de l’ARS que pour la restitution du pécule au jeune majeur. En effet, à sa majorité, le jeune majeur a 30 ans pour récupérer la somme à la Caisse des Dépôts. Néanmoins, au 31 décembre 2023, seulement 44,5 % des enfants passés par l’ASE concernés avaient récupéré leur pécule, selon les chiffres de la Caisse des dépôts et consignations, contre 42,3 % l’année précédente, le tout avec des disparités importantes selon les départements, variant de 5,6 % à 58,1 %.
C’est donc près de 145 millions d’euros au 31 décembre 2022 qui n’ont pas été réclamés par leurs bénéficiaires.
Plusieurs raisons expliquent ce faible taux de récupération.
Tout d’abord, le manque d’information et de connaissance du dispositif par les enfants conduisant à une absence de demande et de réclamation du pécule par ces derniers.
Outre cela, les modalités de mise en œuvre du dispositif sont assez lourdes avec notamment un nombre de pièces justificatives conséquent à fournir pouvant décourager ou freiner la récupération du pécule par les enfants.
Ainsi, la proposition de loi suivante vise dans un premier temps à instituer un versement automatique, par des paiements mensuels réguliers, des allocations de rentrée scolaire aux enfants placés dans le cadre d’une mesure judiciaire d’assistance éducative auprès d’un service de l’aide sociale à l’enfance ou d’un établissement sanitaire ou éducatif, qu’il soit ordinaire ou spécialisé, à la majorité de l’enfant.
Pour compléter ce dispositif et permettre une plus grande égalité, la proposition de loi prévoit de créer un versement unique et automatique de 1 500 euros à leur majorité pour les pupilles de l’État qui, par définition, n’ont pas de parents allocataires et ne sont donc pas bénéficiaires de l’allocation de rentrée scolaire.
La présente proposition de loi comprend également un deuxième volet relatif aux allocations familiales et au revenu de solidarité active (RSA).
L’article L. 521.2 du code de la sécurité sociale prévoit dans sa rédaction actuelle le versement des allocations familiales aux services d’aide sociale à l’enfance, lorsqu’un enfant a été confié à ce service par une décision du juge.
Toutefois, cet article dispose également : « Toutefois, le juge peut décider, d’office ou sur saisine du président du conseil général, à la suite d’une mesure prise en application des articles 375‑3 et 375‑5 du code civil ou à l’article L. 323‑1 du code de la justice pénale des mineurs, de maintenir le versement des allocations à la famille, lorsque celle‑ci participe à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant ou en vue de faciliter le retour de l’enfant dans son foyer. »
Il laisse donc la possibilité au juge de maintenir le versement des allocations familiales à la famille, lorsque cette dernière continue à participer de façon effective à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant ou pour faciliter le retour de celui‑ci dans son foyer. Dans 80 % des cas, le juge décide de continuer le versement des allocations familiales aux familles, qui n’ont plus la charge de l’enfant. Cet état de fait, où l’exception devient la norme, paraît aujourd’hui peu compréhensible, dès lors que des parents dont les enfants sont placés, et dont ils n’ont par conséquent plus la charge, continuent de percevoir des allocations destinées à les soutenir pour la prise en charge de cet enfant.
Pour ce qui est du RSA, les parents concernés dont un ou plusieurs des enfants seraient placés, continuent de percevoir la part de RSA due pour ces enfants. Contrairement aux allocations familiales, il n’existe à ce jour aucun dispositif qui permettrait de verser le montant de cette part à l’ASE ou de le reverser aux enfants concernés à leur majorité ou lors de leur émancipation. Là encore, le fait de continuer à verser à des parents des compléments de revenu destinés à les accompagner dans la prise en charge d’enfants dont ils n’ont plus la garde ne paraît pas être un bon usage des deniers publics.
Cette proposition de loi vise donc, sur l’exemple de ce qui est fait pour l’ARS et dans la continuité de la loi n° 2016‑297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfance, à ce que les allocations familiales et l’éventuelle part de RSA liées aux enfants placés soient par principe versées à la Caisse des dépôts et consignations, qui en assure la gestion jusqu’à la majorité de l’enfant ou, le cas échéant, jusqu’à son émancipation. A cette date, celles‑ci sont attribuées et versées automatiquement, en mensualités régulières, à l’enfant.
Cette proposition ne doit aucunement être vue comme un régime de sanction vis‑à‑vis des parents dont les enfants seraient placés. Les modalités de calcul des prestations concernées restent identiques et le versement des allocations familiales ou de la part de RSA concernée à la Caisse des dépôts n’est prévu pour durer que le temps du placement si celui‑ci est temporaire. Il s’agit avant tout d’un enjeu de justice sociale, non seulement par rapport à la fonction première de ces prestations, mais aussi, et surtout par rapport à l’enfant et à la maximisation des chances de réussite que nous pouvons lui offrir à sa majorité.
L’article 1 vise à rendre automatique le versement de l’allocation de rentrée scolaire aux enfants placés à leur majorité, par des paiements mensuels et réguliers de cette somme.
L’article 2 vise à garantir un versement unique et automatique de 1500 euros de l’État aux pupilles de l’État, à leur majorité, qui par définition, n’ont pas de parents allocataires et ne sont donc pas bénéficiaires de l’allocation de rentrée scolaire.
L’article 3 prévoit que la part des allocations familiales dues à la famille pour un enfant placé soit versée à la Caisse des dépôts et consignations, qui en assure la gestion jusqu’à la majorité de l’enfant ou, le cas échéant, jusqu’à son émancipation. Celle‑ci lui est ensuite versée par des paiements mensuels et réguliers. Il supprime la possibilité pour le juge de maintenir le versement de cette part aux parents.
L’article 4 prévoit des dispositions similaires quant au versement du revenu de solidarité active, et plus particulièrement de la part dévolue aux enfants à charge qui seraient placés.
L’article 5 assure la stabilité financière de la proposition de loi.
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proposition de loi
Article 1er
I. – À la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 543‑3 du code de la sécurité sociale, après le mot : « versé » sont insérés les mots : « automatiquement, en mensualités régulières, ».
II. – Un décret fixe les modalités d’application du I.
Article 2
L’article L. 543‑3 du code de la sécurité sociale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les enfants mentionnés à l’article L. 224‑4 du code de l’action sociale et des familles reçoivent un versement unique et automatique de 1 500 euros de l’État à leur majorité. »
Article 3
L’article L. 521‑2 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Après le troisième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’un enfant est confié au service d’aide sociale à l’enfance, les allocations familiales continuent d’être évaluées en tenant compte à la fois des enfants présents au foyer et du ou des enfants confiés au service de l’aide sociale à l’enfance. La part des allocations familiales dues à la famille pour cet ou ces enfants est versée pour la durée du placement à la Caisse des dépôts et consignations, qui en assure la gestion jusqu’à la majorité du ou des enfants ou, le cas échéant, jusqu’à son ou leur émancipation. À cette date, le pécule est attribué et versé automatiquement, en mensualités régulières, à ou aux enfants. » ;
2° Le quatrième alinéa est supprimé.
Article 4
Après le premier alinéa de l’article L. 262‑21 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’un enfant est confié au service d’aide sociale à l’enfance, le montant de l’allocation mentionnée à l’article L. 262‑2 continue d’être évalué en tenant compte à la fois des enfants présents au foyer et du ou des enfants confiés au service de l’aide sociale à l’enfance. La part de l’allocation mentionnée à l’article L. 262‑2 due à la famille pour ce ou ces enfants est versée pour la durée du placement à la Caisse des dépôts et consignations, qui en assure la gestion jusqu’à la majorité du ou des enfants ou, le cas échéant, jusqu’à son ou leur émancipation. À cette date, le pécule est attribué et versé automatiquement, en mensualités régulières, à ou aux enfants. »
Article 5
I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.