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N° 1736
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 juillet 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à lutter contre la précarité menstruelle,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Élise LEBOUCHER, Mme Mathilde PANOT, Mme Gabrielle CATHALA, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Andrée TAURINYA, M. Louis BOYARD, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER, Mme Marie-Charlotte GARIN, Mme Karine LEBON, M. Stéphane PEU, Mme Mereana REID ARBELOT, Mme Béatrice BELLAY, M. Emmanuel GRÉGOIRE, Mme Anne-Cécile VIOLLAND,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
« Aujourd’hui j’ai dû reposer des articles à la caisse du supermarché pour pouvoir m’acheter les tampons et serviettes dont j’avais besoin. ». « Certains mois, je n’ai plus assez d’argent pour m’acheter toutes les serviettes dont j’aurais normalement besoin. Quand je suis à la fac, je fais une provision de papier toilette pour le mettre au fond de ma culotte » (témoignages issus du compte Instagram Coup de sang).
Dès le plus jeune âge, les personnes menstruées intègrent qu’elles doivent endosser le coût des règles. Coût symbolique, lié à la stigmatisation des règles ; coût sanitaire, alors que des pesticides, des polluants éternels ou encore du plomb ont été retrouvés dans les protections périodiques ; coût écologique alors que 45 milliards de serviettes menstruelles seraient jetées chaque année à l’échelle mondiale ; et surtout, un coût économique.
Si les estimations sur le coût des menstruations restent très variables, Le Monde estimait en 2019 que l’achat de serviettes, tampons et anti‑douleurs représentait un coût moyen de 3 800 euros pour une vie. Une facture toutefois incomplète, car elle ne prend pas en compte les dépenses liées au suivi gynécologique ou l’achat de sous‑vêtements et linges de lits qui peuvent être tachés par le sang des règles.
Dans un contexte d’inflation, et alors que les politiques néolibérales ont paupérisé des pans entiers de la population, une enquête OpinionWay pour Règles élémentaires révélait ainsi en 2023 que près de 4 millions de femmes menstruées étaient concernées par la précarité menstruelle, soit 31 % des femmes menstruées de 18 à 50 ans. Un chiffre qui a doublé entre 2021 et 2023, et reste pourtant sous‑estimé, car il n’inclut pas les personnes trans ou non‑binaires menstruées. Les femmes de 18 à 24 ans et les mères célibataires sont en première ligne : 1,7 million d’entre elles sont en situation de précarité menstruelle, et la précarité menstruelle touche 44 % des Françaises de 18 à 24 ans. Le Monde estime que pour les 10 % des personnes les plus pauvres (1er décile), les dépenses en hygiène menstruelle peuvent représenter jusqu’à 5,5 % du budget mensuel. Une précarité menstruelle qui perdure : en 2025 encore, une enquête OpinionWay pour Règles Élémentaires révèle que 34 % des femmes européennes ont renoncé à acheter des protections périodiques au moins une fois dans les 12 derniers mois. Parmi celles n’ayant pas renoncé à l’achat de protections périodiques, plus d’une sur 10 déclare avoir renoncé à un produit essentiel du quotidien pour acheter des protections périodiques.
La précarité menstruelle entraîne de multiples privations qui touchent au droit à l’hygiène, à l’alimentation (quand on doit choisir entre acheter un repas ou une boîte de tampons), ou encore à la santé. En effet, les personnes disposant de protections menstruelles en quantité insuffisante auront tendance à les porter trop longtemps, les exposant à plusieurs risques : irritations, mycoses vaginales, et surtout, syndrome de choc toxique. Une étude publiée en 2020 par le Centre national de référence du staphylocoque des Hospices civils de Lyon indique ainsi que le risque de syndrome de choc toxique est multiplié par deux lorsque le port du tampon dépasse une durée de six heures, et par trois quand le tampon est porté toute la nuit (la durée d’usage pouvant alors atteindre huit heures ou plus). Le syndrome de choc toxique reste rare, bien que probablement sous‑évalué, car encore méconnu et non soumis à une obligation déclarative par les médecins, mais ses conséquences peuvent être tragiques. En témoigne l’histoire de Lauren Wasser, jeune mannequin américaine, qui a dû subir une amputation de la jambe gauche puis de la jambe droite suite à un Syndrome du choc toxique (SCT).
Si des mesures ont été prises pour faire face à la précarité menstruelle, beaucoup reste encore à faire pour lutter contre ce fléau. Jusqu’en 2016, les protections menstruelles étaient taxées comme des produits de luxe à hauteur de 20 % ; avec la suppression de la taxe tampon, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les serviettes et tampons a été abaissée à 5,5 %. Pourtant, malgré une baisse des prix initialement constatée, ceux‑ci sont rapidement remontés, notamment sous l’effet de l’inflation. Ainsi, selon une étude NielsenIG de 2022, sur un an, le tarif moyen a augmenté de 8,3 % pour un paquet de serviettes, et de 9,8 % pour une boîte de tampons.
Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 a permis une avancée sur le sujet, en prévoyant le remboursement des protections périodiques réutilisables sous conditions. En se rendant en pharmacie, les personnes de moins de 26 ans pourront accéder à des protections réutilisables remboursées à hauteur de 60 % par la Sécu (le reste devant être pris en charge par les organismes complémentaires). Le remboursement s’élèvera à 100 % pour les personnes assurées par la complémentaire santé solidaire (C2S). Si cette mesure est une avancée, elle reste limitée et le dispositif peu connu. L’association Règles Élémentaires note ainsi que plus de 3 millions de femmes de plus de 26 ans ne sont pas concernées, notamment les femmes plus précaires, les femmes migrantes, les femmes à la rue, ou encore celles à la tête de familles monoparentales. Les protections lavables et réutilisables peuvent également difficilement être utilisées par les femmes détenues, dans la mesure où le système d’intendance des prisons ne prend pas en charge le lavage des sous‑vêtements que les détenues nettoient donc elles‑mêmes à la main. On ne peut que partager la volonté de favoriser le recours à des protections réutilisables, mais celles‑ci ne sont pas toujours adaptées à toutes les situations et conditions de vie, de travail ou d’hygiène. Qu’en est‑il de celles qui ne disposent pas d’un lave‑linge ou de sanitaires à disposition ? En outre, plus d’un an et demi après l’adoption du PLFSS 2024, le décret d’application n’a toujours pas été publié, bloquant la mise en place de cette mesure.
Des initiatives ont aussi été prises, par des ministères ou des collectivités locales, afin de déployer des dispositifs permettant la mise à disposition de protections menstruelles dans des établissements scolaires, universitaires, voire dans toute la collectivité. On peut ainsi noter que des distributeurs de protections menstruelles ont été installés dans des villes comme Strasbourg, Le Kremlin‑Bicêtre ou Nantes, dans les collèges de la métropole de Lyon ou encore dans les lycées de la région Île‑de‑France. Cependant, les budgets austéritaires menacent d’anéantir ces efforts. La région Provence‑Alpes‑Côte d’Azur (PACA) a ainsi annoncé la disparition du dispositif ‘Les mêmes règles pour toutes’, qui permettait la mise en place de distributeurs de protections périodiques dans les lycées de la région, faute de budget. 83 000 lycéennes se retrouvent ainsi contraintes de porter le coût des coupes budgétaires, alors que le budget Bayrou pour l’année 2025 impose 2,2 milliards d’euros de coupes budgétaires aux collectivités territoriales, et que les 40 milliards de coupes budgétaires annoncées pour 2026 présagent d’une cure austéritaire d’une rare violence.
Un féminisme populaire ne pourra pas se faire sans lutter contre la précarité menstruelle. Il y a urgence à élargir le remboursement des protections périodiques sans distinction d’âge ni de couverture santé, afin de visibiliser ce dispositif et de lutter plus largement contre la précarité menstruelle. Les personnes menstruées, quelle que soit leur situation, doivent pouvoir avoir accès à des protections menstruelles. Étant les mieux placées pour connaître leurs besoins, elles doivent avoir le choix des protections les plus adaptées à leurs situations. Garantir l’accès à des protections menstruelles, jetables ou réutilisables, est essentiel afin de pouvoir répondre aux besoins de tou·tes.
La présente proposition de loi entend ouvrir la prise en charge des protections menstruelles par la Sécurité sociale à toutes les personnes menstruées, dans la lignée des travaux menés par le groupe La France insoumise (LFI) sous l’égide de M. Bastien Lachaud dès 2019, et conformément aux engagements portés au sein du Nouveau Front Populaire.
L’article 1er propose une définition des protections menstruelles au sein du code de la santé publique.
L’article 2 élargit le remboursement par la Sécurité sociale des protections menstruelles à tous les types de protections menstruelles et supprime les conditions d’âge ou de couverture par la complémentaire santé solidaire pour bénéficier de cette prise en charge.
L’article 3 gage la présente proposition de loi.
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proposition de loi
Article 1er
I. – Au 1° bis du A de l’article L. 278‑0 bis du code général des impôts, les mots : « produits de protections hygiéniques féminines » sont remplacés par les mots : « protections menstruelles ».
II. – Le titre III du livre II de la cinquième partie du code de la santé publique est complété par un chapitre ainsi rédigé :
« Chapitre IV
« Protections menstruelles
« Art. L. 5234. – Sont des protections menstruelles :
« 1° Les serviettes périodiques jetables ou réutilisables ;
« 2° Les tampons jetables ou réutilisables ;
« 3° Les culottes menstruelles jetables ou réutilisables ;
« 4° Les protège‑slips jetables ou réutilisables ;
« 5° Les coupes menstruelles ;
« 6° Les éponges naturelles destinées au recueil des fluides menstruels ;
« 7° D’une manière générale, tout dispositif amovible, qu’il soit interne ou externe, destiné à absorber les flux menstruels. »
Article 2
I. – À la fin du 2° de l’article L. 251‑2 du code de l’action sociale et des familles, les mots : « 4° et 5° de l’article L. 160‑8 » sont remplacés par les mots : « 4°, 5° et 11° de l’article L. 160‑8 ; »
II. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° À la fin du 11° de l’article L. 160‑8, les mots : « réutilisables inscrites sur la liste prévue à l’article L. 162‑59 pour les personnes assurées ayant leurs menstruations âgées de moins de vingt‑six ans ou bénéficiaires de la protection complémentaire en matière de santé prévue à l’article L. 861‑1 » sont remplacés par les mots : « menstruelles inscrites sur la liste prévue à l’article L. 162‑59 pour les personnes ayant leur menstruations et mentionnées à l’article L. 160‑1 du présent code ou à l’article L. 251‑1 du code de l’action sociale et des familles. » ;
2° Après le 32° de l’article L. 160‑14, il est inséré un 33° ainsi rédigé :
« 33° Pour la prise en charge ou le remboursement par l’assurance maladie des protections menstruelles visée à l’article L. 162‑59 » ;
3° Au premier alinéa de l’article L. 162‑59, les mots : « produits de protection périodique réutilisable » sont remplacés par les mots : « protections menstruelles, telles que définies à l’article L. 5234‑1 du code de la santé publique ».
Article 3
I. – La perte de recettes pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
II. – La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
III. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.