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N° 1740

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 juillet 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à abroger Parcoursup et restaurer un droit d’accès à l’enseignement supérieur pour tous les titulaires d’un baccalauréat ou diplôme équivalent,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Marie MESMEUR, M. Jérôme LEGAVRE, M. Louis BOYARD, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis 2018 et la mise en place de la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants (loi ORE), la plateforme Parcoursup s’est imposée comme l’outil inévitable d’accès à l’enseignement supérieur. Cette année 2025, ce sont près de 980 000 candidates et candidats qui sont soumis à ce dispositif ([1]). Loin de simplifier l’accès à l’université, Parcoursup a instauré un système de sélection opaque, inégalitaire et profondément anxiogène, qui trahit les fondements du service public d’enseignement supérieur.

Tout d’abord, derrière la promesse d’un algorithme neutre et d’une procédure équitable, Parcoursup opère en réalité comme un outil de tri social.

La plateforme organise une concurrence entre les candidats à partir de critères de sélection variables, subjectifs et rarement rendus publics, au mépris du droit à l’information des élèves et de leur famille. En 2024, plus de 85 000 jeunes se sont retrouvés sans affectation à la fin de la première phase, contre 77 000 en 2023 ([2]). La session 2025 est encore plus sélective : le 11 juin, déjà 10 000 lycéens avaient quitté la plateforme sans même avoir d’affectation ([3]). L’augmentation du nombre de jeunes laissés sur le bord de la route témoigne de l’échec structurel de ce système à répondre à la demande croissante d’accès à l’université.

Les établissements universitaires définissent leurs propres critères de classement via des algorithmes locaux, très souvent non publiés. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2020‑834 ([4]) QPC du 3 avril 2020, a rappelé l’obligation légale de transparence des critères de sélection. De même, la Cour des comptes, dans un rapport ([5]) de 2020, a expressément recommandé la publication de ces algorithmes.

Pourtant, malgré ces injonctions, l’opacité demeure la règle. Début juin, une vidéo devenue virale a mis en lumière l’absurdité du système : une candidate a été admise en psychologie après avoir copié‑collé une recette de cuisine en guise de lettre de motivation[6]. L’arbitraire du système ainsi démontré alimente un sentiment d’injustice massif chez les jeunes. Le rapport ([7]) du contrat d'engagement de service public (CESP) de 2020, comparant les systèmes d’admission dans 20 pays, souligne que la France est le seul pays à ne pas assurer la transparence des critères d’accès à l’enseignement supérieur.

Plus grave encore, sept ans après la mise en place de la plateforme, le constat est sans équivoque : la plateforme instaure une sélection sociale profonde et systémique.

La littérature scientifique est prolixe et unanime en ce sens. Par exemple, les sociologues Marie‑Paule Couto, Fanny Bugeja‑Bloch et Leïla Frouillou ont établi que, sous couvert d’offrir un choix libre, la plateforme oriente les jeunes vers des vœux conformes avec leur milieu social et établissement d’origine. Autrement dit, en détournant les bacheliers les moins armés scolairement des filières universitaires, ce système est un outil d’auto‑censure généralisée ([8]). Elles constatent par ailleurs une corrélation directe entre « accentuation de la concurrence entre formations et renforcement de la stratification socioscolaire des formations ».

Or, cette sélection sociale n’est pas un dommage collatéral mais l’objectif premier de Parcoursup. Sa logique répond à une vision néolibérale de l’enseignement supérieur.

En effet, l’enseignement supérieur fait face à une augmentation du nombre de bacheliers souhaitant poursuivre leurs études, conscients de l’importance d’obtenir un diplôme du supérieur pour leur avenir. Les universités sont alors prises en étau entre les coupes budgétaires considérables, d’un montant de 1,5 milliard d’euro pour la seule année 2025, alors que quatre universités sur cinq sont déjà en déficit[9] ; et un nombre croissant de demandes d’inscription. Ces plateformes viennent alors dissimuler la pénurie de places dans les universités, tandis que le gouvernement s’en remet à un prétendu « marché régulateur » capable de pallier l’insuffisance chronique de financement des universités.

En réalité, une autre voie est possible. Par exemple, face à l’explosion du nombre de bacheliers au début des années 90, un plan U2000 ([10]) avait été mis en place en 1991 pour créer huit nouvelles universités et enclencher une nouvelle phase de la démocratisation du supérieur.

Aujourd’hui, loin de chercher à élargir l’accès au savoir, le gouvernement a fait le choix du tri, de la rareté et de la compétition. Finalement, Parcoursup participe d’un projet politique de fabrication élitiste de l’enseignement supérieur, où seules les franges les plus favorisées de la jeunesse ont les moyens sociaux, culturels et économiques de s’adapter aux exigences implicites du système. Ce tri social n’est pas une dérive mais un objectif structurel, destiné à fermer les portes de l’université aux classes populaires, à précariser les parcours des jeunes et à alimenter plus tôt le marché du travail par une main‑d’œuvre plus docile et moins revendicative[11]. Il s’agit, en somme, de brider l’émancipation intellectuelle de la jeunesse, au mépris de ses aspirations et de sa capacité à penser un autre monde.

Pourtant, le pays a besoin d’une jeunesse de plus en plus qualifiée et émancipée. Dans un monde traversé par des urgences écologiques, sociales et démocratiques, notre pays a besoin d’une jeunesse toujours plus formée, critique et émancipée. L’université ne peut pas être le privilège de quelques‑uns triés sur le volet à l’aide d’algorithmes opaques[12]. Elle doit redevenir ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : un espace de savoir, de débat, d’élévation collective. La bifurcation écologique ne se fera pas sans une génération capable de penser le vivant, le droit, la technique, et de remettre en cause les logiques productivistes dominantes. La démocratie ne se revitalise pas sans des citoyens éclairés, rompus à l’esprit critique et à la coopération. En organisant la sélection sociale et la résignation, Parcoursup s’oppose frontalement à ces exigences et à tout avenir durable.

L’abolition de Parcoursup est désormais une évidence.

La majorité des syndicats étudiants et professionnels dénonce le caractère inégalitaire et discriminatoire de la sélection scolaire et universitaire. De nombreux parlementaires, chercheurs et associations appellent également à repenser en profondeur le modèle d’accès à l’université.

Elle est même une exigence constitutionnelle. L’article 13 du Préambule de la Constitution ([13]) de 1946 affirme que « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture ». En organisant l’exclusion et la sélection à l’entrée de l’université, Parcoursup est en contradiction manifeste avec ce principe fondamental.

L’université ne doit pas devenir le privilège d’une minorité mais être un pilier de la République, un espace de savoir, de débat, d’émancipation et de formation citoyenne. L’urgence est à l’investissement massif dans l’enseignement supérieur, et non à sa gestion par le tri et la rareté. Nous affirmons, par cette proposition de loi, que l’université est un bien commun, non une marchandise ni une variable d’ajustement budgétaire.

La suppression de Parcoursup ne peut se concevoir sans un investissement massif dans l’enseignement supérieur. Garantir à chaque jeune une place à l’université suppose de créer des capacités d’accueil supplémentaires, de recruter des personnels et de financer des infrastructures. C’est le seul moyen de rendre effectif le droit à l’éducation pour toutes et tous, loin de la logique du tri par la pénurie et de l’austérité actuelle qui pousse quatre universités sur cinq au déficit. Refonder l’accès à l’université suppose donc un véritable choix de société : faire de l’enseignement supérieur une priorité nationale, à la hauteur des défis démocratiques, sociaux et écologiques auxquels nous faisons face.

L’article 1er de cette proposition de loi prévoit que tout candidat titulaire d’un baccalauréat ou d’un diplôme reconnu équivalent peut s’inscrire librement dans l’établissement d’enseignement supérieur public de son choix. En conséquence, toute forme de sélection à l’entrée en premier cycle dans ces établissements est supprimée.

En cas de dépassement des capacités d’accueil, les inscriptions sont régulées par le recteur chancelier, en tenant compte du lieu de résidence, de la situation familiale du candidat et de l’ordre de ses préférences.

L’article 2 gage la proposition de loi.

 


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proposition de loi

Article 1er

Le I de l’article L. 612‑3 du code de l’éducation est ainsi modifié :

1° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :

a) Les deux premières phrases sont ainsi rédigées : « Le premier cycle est ouvert à tous les titulaires du baccalauréat et à ceux qui ont obtenu l’équivalence ou la dispense de ce grade en justifiant d’une qualification ou d’une expérience jugées suffisantes conformément au livre IV de la sixième partie du code du travail. Tout candidat est donc libre de s’inscrire dans l’établissement de son choix. » ;

b) Sont ajoutés deux phrases ainsi rédigées : « Il doit pouvoir, s’il le désire, être inscrit en fonction des formations existantes lors de cette inscription dans un établissement ayant son siège dans le ressort de l’académie où il a obtenu le baccalauréat ou son équivalent ou dans l’académie où est située sa résidence. Les dispositions relatives à la répartition entre les établissements et les formations excluent toute sélection sauf dans les cas prévus au VI. » ;

2° Après le troisième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque l’effectif des candidatures excède les capacités d’accueil d’un établissement, constatées par l’autorité administrative, les inscriptions sont prononcées, après avis du président de cet établissement, par le recteur chancelier, selon la réglementation établie par le ministre chargé de l’enseignement supérieur, en fonction du domicile, de la situation familiale du candidat et des préférences exprimées par celui‑ci. »

Article 2

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


([1])  Parcoursup : la phase d'admission ouvre lundi 2 juin à 19h00 | enseignementsup-recherche.gouv.fr

([2])  Parcoursup : fin de la phase principale de la session de 2024, plus de 85 000 candidats sans offre et des critiques persistantes

([3])  Parcoursup : plus de 10 000 lycéens ont déjà quitté la plateforme

([4])  Décision n° 2020-834 QPC du 3 avril 2020 | Conseil constitutionnel

([5])  Accès à l’enseignement supérieur : premier bilan de la loi orientation et réussite des étudiants | Cour des comptes

([6])  Parcoursup : comment une étudiante a-t-elle pu être admise en psycho avec une recette de brownie comme lettre de motivation ? - La Voix du Nord

([7])  Comité éthique et scientifique de Parcoursup - 2e rapport annuel au Parlement | enseignementsup-recherche.gouv.fr

([8])  Parcoursup : les prémices d’un accroissement de la stratification sociale et scolaire des formations du supérieur | Cairn.info

([9])  Pourquoi la majorité des universités seront en déficit à la fin de l’année - L'Etudiant - Educpros

([10])  Une évaluation du plan Université 2000 (1990-1995) - Amue

([11])  Parcoursup : selon l’origine sociale des lycéens, une orientation à armes inégales

([12])  Rapport annuel d'activité 2022 | Défenseur des Droits

([13])  Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 | Conseil constitutionnel