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N° 1742
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 juillet 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à établir une taxe sur l’utilisation des navires de grande plaisance,
(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Mickaël BOULOUX, Mme Marie-José ALLEMAND, M. Joël AVIRAGNET, M. Christian BAPTISTE, M. Fabrice BARUSSEAU, M. Laurent BAUMEL, M. Karim BENBRAHIM, M. Philippe BRUN, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Paul CHRISTOPHLE, M. Pierrick COURBON, M. Arthur DELAPORTE, M. Stéphane DELAUTRETTE, Mme Dieynaba DIOP, Mme Fanny DOMBRE COSTE, M. Peio DUFAU, M. Inaki ECHANIZ, M. Romain ESKENAZI, M. Olivier FAURE, M. Denis FÉGNÉ, M. Guillaume GAROT, M. Julien GOKEL, Mme Pascale GOT, M. Emmanuel GRÉGOIRE, M. Jérôme GUEDJ, M. Stéphane HABLOT, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Florence HEROUIN-LÉAUTEY, Mme Céline HERVIEU, Mme Chantal JOURDAN, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Gérard LESEUL, M. Laurent LHARDIT, M. Jacques OBERTI, Mme Sophie PANTEL, M. Marc PENA, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, M. Dominique POTIER, M. Pierre PRIBETICH, M. Christophe PROENÇA, Mme Valérie ROSSI, M. Aurélien ROUSSEAU, M. Sébastien SAINT-PASTEUR, M. Hervé SAULIGNAC, M. Arnaud SIMION, M. Thierry SOTHER, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, Mme Mélanie THOMIN, M. Boris VALLAUD, M. Roger VICOT,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Alors que la population est incitée à réduire son empreinte carbone pour contribuer à l’effort en faveur de la préservation de l’environnement et de la planète, il importe que la navigation sur yacht, désastreuse d’un point de vue écologique, soit maîtrisée.
Selon un rapport publié en octobre 2024 par la confédération internationale Oxfam ([1]), un Européen super-riche émet en moyenne par an sur son yacht autant de carbone qu’un Européen ordinaire en 585 ans. Le rapport est d’un an pour 114 en ce qui concerne l’utilisation des jets privés.
À l’échelle mondiale, Oxfam souligne que si toute la population se mettait à émettre autant de CO2 qu’un milliardaire moyen utilisant ses jets et yachts privés, le budget carbone – c’est-à-dire la quantité de dioxyde de carbone qui peut encore être rejetée dans l’atmosphère sans entraîner une hausse des températures mondiales au-delà du seuil de 1,5° C – serait épuisé en deux jours.
Dans son étude, Oxfam a recensé 23 superyachts appartenant à 18 milliardaires et estimé l’empreinte carbone annuelle moyenne de chacun de ces navires à 5 672 tonnes, soit trois fois les émissions des jets privés des milliardaires.
Dans son numéro du 15 août 2022, « Géo » avait déjà lui aussi rendu compte des émissions de CO2. Le magazine avait ainsi rapporté les relevés de plusieurs organismes dont le collectif « Mega yacht CO2 tracker » qui, sur les réseaux sociaux, soulignait que « le yacht de Thomas Leclercq [fils de Michel Leclercq, fondateur de Décathlon] aurait produit [en une seule journée] environ 3,7 tonnes de CO2 en consommant 1 439,7 litres de carburant ». Cela équivaudrait quasiment à l'empreinte carbone annuelle moyenne d'un Français ordinaire qui est de 4,4 tonnes de CO2 selon le ministère de l'Écologie.
Toujours selon le magazine, le record était détenu en 2021 par le « Symphony », propriété de Bernard Arnault, qui émettrait 16 000 tonnes de CO2 par an avec ses quatre moteurs consommant chacun 657 litres par heure, selon les données du constructeur. Le milliardaire Français se classait ainsi, cette année-là, quatrième dans un classement des milliardaires les plus pollueurs établis par le média en ligne indépendant « The Conversation ».
Cette situation est d’autant plus aberrante que, pour respecter les trajectoires d’émissions de gaz à effet de serre de la France, l’empreinte carbone devrait être ramenée à 2 tonnes de CO2 par an et par personne.
Enfin, le sujet est d’autant plus important que la France, avec ses 10,2 millions de kilomètres carrés, dispose du deuxième territoire maritime mondial. Cette présence du territoire marin français sur tous les océans rend nécessaire une mesure forte de désincitation à l'usage des yachts via l’instauration d’une taxation sur leur utilisation en fonction des émissions de gaz à effet de serre, à partir du moment où ces embarcations traversent l’espace maritime français, qu’elles s’amarrent ou non dans un de ses ports ou qu’elles soient immatriculées en France ou non. Telle est la logique de la présente proposition de loi, dont le dispositif prévoit de calquer le tarif de cette taxation sur le tarif de la taxe carbone en visant spécifiquement les navires « de grande plaisance » tels que définis par l’article L. 423‑25 du code des impositions sur les biens et services. Sont ainsi exclus du dispositif de la proposition de loi les navires concourant aux services publics, ainsi que les bâtiments militaires. Sont également exemptés les navires de transport de marchandises. Enfin, les engins flottants réalisant des missions temporaires de sauvetage en mer ou de lutte contre les incendies notamment, sont exemptés pour le déplacement s’effectuant dans ce cadre.
Si la taxation des yachts est avant tout à visée écologique, il s’agit également d’une question de justice fiscale et sociale. Comment faire accepter en effet aux Françaises et aux Français la sobriété nécessaire dans le cadre de la transition énergétique pendant qu'en parallèle une vie d'efforts d'un Français moyen peut être effacée par un trajet en yacht de moins d’une heure ?
L’objectif visé par la présente proposition de loi est de renforcer la prise de conscience quant à l’importance pour chacune et chacun de réduire son empreinte carbone, à la nécessaire sortie des énergies fossiles et au recours indispensable à des moyens de transport alternatifs moins polluants. Alors que l’ensemble des Françaises et des Français doit respecter les Zones à Faibles Émissions (ZFE) afin de lutter contre la pollution émise par le trafic routier, il importe que les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre soient également mis à contribution.
Cette préoccupation écologique et de justice sociale a été en particulier soulevée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont la France est un des 20 membres fondateurs, et qui a adopté le 31 janvier 1991 une Recommandation relative à l'utilisation de l'instrument économique pour protéger l'environnement dans le cas de problèmes d'environnement et de ressources naturelles ([2]). Selon cette Recommandation, les instruments économiques utilisés à l'encontre des émetteurs de polluants peuvent prendre la forme de redevances ou taxes d'émissions et doivent s'inscrire dans le cadre de la lutte contre la pollution atmosphérique ([3]). Si cette Recommandation – émise par le Conseil, organe décisionnel de l'organisation – n'a pas de portée juridique obligatoire, il n'en demeure pas moins qu'il est attendu qu'elle soit mise en œuvre pas les États membres.
Ainsi, l’effort collectif à mettre en place pour respecter nos objectifs de neutralité carbone ne peut plus épargner le monde de la navigation privée qui utilise des embarcations de luxe à forte puissance propulsive. Celui-ci doit donc se soumettre aux mêmes exigences que le reste de la population ou a minima contribuer à décarboner le reste du réseau de transports, ce que cette taxe vise à instaurer. En ce sens, cette proposition de loi permet de lever, pour les yachts, le moratoire sur la taxe carbone décidé à la fin de l’année 2018.
L’article unique instaure ainsi une taxe sur l’utilisation des yachts d’une longueur de coque supérieure ou égale à 30 mètres et d’une puissance propulsive nette maximale supérieure ou égale à 750 kilowatts en fonction des émissions de dioxyde de carbone. Les caractéristiques des navires « de grande plaisance » visées au présent article correspondent à celles définies à l’article L. 423-25 du code des impositions sur les biens et services.
Au vu des règles de recevabilité financière, s’il n’est pas possible d’affecter la taxe visée par la présente proposition de loi, il serait souhaitable que son produit, qui sera versé dans le budget général de l’État, serve à soutenir les organismes et les politiques concourant au soutien de la transition écologique.
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proposition de loi
Article unique
Le paragraphe 2 de la sous‑section 3 de la section 2 du chapitre III du titre II du livre IV du code des impositions pour les biens et services est ainsi modifié :
1° L’article L. 423‑22 est complété par un 3° ainsi rédigé :
« 3° Un terme déterminé dans les conditions prévues à l’article L. 423‑25‑1. »
2° Il est ajouté un article L. 423‑25‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 423‑25‑1. – La présence dans les espaces maritimes relevant de la souveraineté ou de la juridiction de la République française d’un engin flottant privé armé pour la navigation maritime à usage professionnel ou personnel hors transport de marchandises est soumise à une taxe supplémentaire en fonction des émissions de dioxyde de carbone lorsque l’engin flottant armé est d’une longueur de coque supérieure ou égale à trente mètres et d’une puissance propulsive nette maximale supérieure ou égale à 750 kilowatts. Le tarif de la taxe est initialement fixé à 100 euros par tonne émise. Il est révisé annuellement par décret en fonction de la variation de l’indice moyen annuel des prix à la consommation hors tabac et des objectifs de lutte contre le dérèglement climatique.
« Sont exonérés les trajets effectués par les engins flottants d’État ou militaires, affectés à un service public, ainsi que ceux effectués dans le cadre d’une mission de service public, de recherche, de sauvetage, de sécurité civile, de lutte contre les incendies, sanitaire, médicale, d’instruction ou d’essai. »
([1]) « Les inégalités carbone tuent – Réduire les émissions excessives d’une élite peut favoriser la durabilité de la planète pour tou.te.s », Oxfam, note d’information d’octobre 2024 : https://oxfambelgie.be/sites/default/files/2024-10/bp-carbon-inequality-kills-281024-summ-fr.pdf?_gl=1*1y0xtgr*_gcl_au*MjEwMTk1OTI4MC4xNzM5ODA2Mzgz*_ga*MTYzNjk3NzM2Mi4xNzM5ODA2Mzg0*_ga_6NPWQKD979*MTczOTgwNjM4My4xLjEuMTczOTgwNzE2Ni4zNS4wLjE0MTA5NTk3OTU.*_ga_E8C8RSL6EP*MTczOTgwNjM4My4xLjEuMTczOTgwNzE2Ni4wLjAuMA..
([2]) OCDE, Recommandation du Conseil relative à l'utilisation des instruments économiques dans les politiques de l'environnement, OECD/LEGAL/0258 : https://legalinstruments.oecd.org/public/doc/41/41.fr.pdf
([3]) Point 35 de l’annexe de la Recommandation de l’OCDE du 31 janvier 1991 : « 35. La production et l'utilisation de l’énergie étant l'une des principales causes de pollution de l’atmosphère, les facteurs d'environnement devraient être pris en compte dans la tarification des prix de l’énergie ; pour ce faire, on peut appliquer des redevances ou taxes sur produit, en particulier des redevances sur les combustibles sous forme de surtaxe ou de modulation des droits d'accise sur les combustibles fossiles. Les redevances ou taxes sur produit peuvent servir de variable de substitution aux redevances ou taxes d’émission, par exemple lorsque la pollution est diffuse et lorsque ses sources sont nombreuses ou petites (mobiles). Compte tenu de la tradition bien établie de taxer les sources mobiles, surtout dans le secteur des transports, cette pratique devrait être adaptée aux objectifs de protection de l'environnement. »