N° 1751
_____
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 juillet 2025.
PROPOSITION DE LOI
portant sur la création d’un cadre légal du dispositif de règlement d’ensemble,
(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Mathilde FELD, M. Nicolas SANSU,
députée et député.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les règlements d’ensemble sont des accords à l’amiable entre l’administration fiscale et les contribuables soumis à un redressement fiscal, la plupart du temps fortunés puisqu’ils affichent un revenu fiscal médian de 210 000 euros pour les personnes physiques et 8,7 millions pour les personnes morales. Un dispositif qui pose de sérieuses questions quant au principe d’égalité de traitement devant l’impôt.
Dans son rapport annuel de 2018 ([1]), la Cour des comptes avait affiché son désaccord avec la pratique des règlements d’ensemble dont elle doutait de la légalité. « [elle] ne s’appuie pas sur un fondement juridique clairement identifié, et ne fait, au demeurant, l’objet d’aucun encadrement spécifique ». Bien que l’institution estimait dans le même rapport qu’il était « indispensable de clarifier ce dispositif » force est de constater que cette préconisation est restée lettre morte.
La mission d’information réalisée dans le cadre de l’édition 2025 du Printemps de l’Évaluation, a permis de faire émerger des recommandations concernant l’encadrement des règlements d’ensemble. Plus spécifiquement la présente proposition de loi propose de mettre en place un cadre légal pour éclairer et limiter une pratique fiscale opaque et coûteuse pour les finances publiques.
Cette procédure, mise en place a minima depuis 2004 par une note laconique de la DGFiP tenue secrète jusqu’à peu, permet au contribuable et à l’administration fiscale d’aboutir à un accord amiable à la suite d’une notification d’un redressement fiscal. Le règlement d’ensemble conduit à l’atténuation des pénalités dues mais aussi des droits initiaux, c’est‑à‑dire sur le montant de la rectification estimée par l’administration.
Cette pratique ne repose sur aucun fondement légal. Ce déficit d’encadrement législatif est particulièrement flagrant si on le compare avec celui applicable aux transactions et remises gracieuses, longuement définies aux articles 247 et suivants du livre des procédures fiscales. Dans les faits, la conclusion d’un règlement d’ensemble fait l’objet d’une procédure unique, majoritairement orale et discrète pour ne pas dire secrète.
Pourtant les règlements d’ensemble sont bien plus coûteux pour nos finances publiques que les transactions et remises gracieuses précédemment citées. En 2024, l’administration fiscale a abandonné 1,8 milliards de droits et pénalités via la procédure des règlements d’ensembles, soit 70 % des droits initialement annoncés. Depuis que les chiffres sont disponibles, c’est en moyenne 1 milliard d’euros par an que l’administration abandonne. Plus inquiétant, le nombre de règlement d’ensemble est en constante augmentation passant de 116 en 2019 à 312 en 2024.
Bien qu’elle existe depuis 2004, cette pratique reste particulièrement obscure : aucune information n’est disponible avant 2019, date à laquelle quelques pages ont été intégrées au rapport annuel transmis au Parlement sur les remises et transactions à titre gracieux et les règlements d’ensemble. L’information contenue dans ce rapport est par ailleurs très parcellaire.
L’opacité de ce système profite essentiellement aux contribuables les plus riches qui sont, a priori, les plus informés pour demander le recours à cette procédure. En 2024, 80 % du montant total des règlements d’ensembles concernaient les 10 modérations les plus importantes sur 316 accordées. Se dessine alors les contours d’une fiscalité à deux vitesses. D’un côté, les citoyens ordinaires qui s’acquittent du montant affiché sur leur avis d’imposition et, de l’autre, des contribuables fortunés qui savent structurer des revenus complexes et qui peuvent négocier leurs impôts à l’aide d’avocats fiscalistes.
C’est une menace réelle pour le consentement à l’impôt protégé par l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Payer ses impôts est un acte citoyen indispensable au fonctionnement de la société et qui permet de financer des services publics de qualité pour tous. Pour que chacune et chacun y consente, il faut que le système soit irréprochable.
Il est donc impératif de définir un cadre législatif applicable au dispositif de règlement d’ensemble.
Par ailleurs, le recours croissant à ce dispositif et les raisons invoquées soulèvent de sérieuses inquiétudes.
L’administration a elle‑même reconnu que, faute de temps et de moyens, elle savait que certaines des propositions de rectification notifiées pouvaient s’avérer fragiles et que le règlement d’ensemble permettait, dans ces cas, de garantir une rentrée fiscale face à un contentieux à l’issue incertaine. Ce n’est pas une situation acceptable.
La présente proposition est simple. L’article 1er inscrit dans la loi la pratique du règlement d’ensemble. Deux conditions sont posées pour avoir recours à un règlement d’ensemble : la présence d’un aléa juridique particulièrement important et la difficulté d’établir avec exactitude le quantum des rectifications. Il limite aussi le recours aux règlements d’ensemble aux seuls contribuables ayant respecté leurs obligations déclaratives et obligations afférentes au contrôle. De plus, l’utilisation de l’écrit, qui était jusqu’alors optionnel, est rendue obligatoire. Enfin, pour chaque règlement d’ensemble que l’administration envisage de réaliser, elle doit désormais solliciter de manière constante l’avis du Comité du contentieux fiscal, douanier et des changes. Outre le fait qu’un tel avis est déjà obligatoire pour les transactions et les remises gracieuses d’un montant supérieur à 200 000 euros, cela permettra à un organe unique de centraliser l’information utile à la signature d’un règlement d’ensemble et de la mobiliser, au service de l’administration fiscale.
L’article 2 étoffe le rapport sur l’application de la politique de remises et de transactions à titre gracieux par l’administration fiscale remis au parlement par le ministre chargé du budget, d’informations permettant de mieux connaître les profils socio‑économiques des contribuables ayant recours aux règlements d’ensemble. Nous proposons aussi que ce rapport fasse l’objet d’un débat en commission chaque année devant les commissions permanentes compétentes.
L’article 3 crée une unité spécialisée au sein de l’administration fiscale chargée d’analyser règlements d’ensemble conclus au cours des années précédentes, pour comprendre les déterminants de la conclusion d’un règlement d’ensemble et proposer des recommandations pour les limiter.
L’article 4 précise que la conclusion d’un règlement d’ensemble ne peut pas être substituée à la procédure de taxation d’office, notamment dans les cas où la bonne foi du contribuable est en cause.
L’article 5 gage la proposition de loi à des fins de recevabilité. Cependant, l’encadrement de cette pratique sera un facteur de recettes nouvelles pour l’État et non la cause d’une dégradation de recettes.
– 1 –
proposition de loi
Article 1er
Après l’article L. 247 du livre des procédures fiscales, il est inséré un article L. 247‑0 AB ainsi rédigé :
« Art. L. 247‑0 AB. – À titre exceptionnel, l’administration peut accorder, à la demande du contribuable, des remises partielles portant tant sur le montant notifié à l’occasion du contrôle que sur les pénalités afférentes, de manière conjointe et à l’occasion d’une procédure unique prenant la forme d’un règlement d’ensemble et au moyen d’un imprimé dédié et obligatoire. La remise partielle consentie par l’administration ne peut excéder 20 % des droits appelés.
« Le contribuable doit motiver sa demande de règlement d’ensemble et apporter des éléments concrets justifiant sa demande. L’administration fiscale doit motiver sa décision d’accorder un règlement d’ensemble
« L’administration ne peut avoir recours qu’en dernier ressort à cette procédure, lorsqu’il existe un doute raisonnable des difficultés à établir avec exactitude le quantum des rectifications ou un aléa juridique avéré particulièrement important.
« Avant leur conclusion, les règlements d’ensemble doivent systématiquement faire l’objet d’un avis de la commission de conciliation du comité du contentieux fiscal, douanier et des changes définies à l’article 460 du code des douanes. »
Article 2
L’article L. 251 A du livre des procédures fiscales est ainsi modifié :
1° La deuxième phrase est complétée par les mots : « ainsi que les informations suivantes : l’origine des modérations consenties, la répartition des règlements d’ensemble par région et par service, le profil socio‑économique des contribuables ayant bénéficié de règlements d’ensemble, incluant le revenu et patrimoine médians et moyens pour les personnes physiques et le chiffre d’affaires et résultat médians et moyens pour les personnes morales » ;
2° Après la même deuxième phrase, sont insérées les phrases suivantes : « Il inclut aussi le nombre de décision de rejet d’accorder un règlement d’ensemble ainsi que le motif du rejet. Ce rapport inclut les dix plus grosses modérations consenties par l’administration fiscale chaque année. À la demande du Président de la commission permanente chargée des finances de l’Assemblée nationale ou du Sénat, ce rapport fait l’objet d’un débat devant cette même commission. »
Article 3
Au sein de la direction générale des finances publiques, un service est chargé d’analyser l’ensemble des règlements d’ensemble conclus chaque année à compter de sa création afin d’examiner les causes ayant conduit à recourir à cette procédure. Cette unité peut faire appel à des experts extérieurs tels que des chercheurs, des économistes et économétriciens.
Cette unité transmet chaque année un rapport au Parlement, permettant d’identifier les principales difficultés et aléas juridiques sur la base desquels l’administration décide de conclure un règlement d’ensemble ainsi que des recommandations pour les limiter. À la demande du Président de la commission permanente chargée des finances de l’Assemblée nationale ou du Sénat, ce rapport fait l’objet d’un débat devant cette même commission.
Article 4
La conclusion d’un règlement d’ensemble est impossible lorsqu’il a été fait application de la procédure de taxation d’office définie à l’article L. 65 du livre des procédures fiscales.
La conclusion d’un règlement d’ensemble n’est pas possible en cas de défaut ou de retard de production de certaines déclarations, d’opposition active ou passive à un contrôle fiscal ou de défaut de réponse aux demandes d’éclaircissements ou de justifications formulées par l’administration fiscale.
La conclusion d’un règlement d’ensemble n’est pas possible si, dans la proposition de rectification de l’administration, des pénalités exclusives de bonne foi ont été appliquées ou s’il y a eu application d’amendes.
Article 5
I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
II. – La perte de recettes pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
([1]) Cour des comptes, Rapport public annuel, Les remises et transactions en matière fiscale : une égalité de traitement et une transparence à mieux assurer, 2018.