N° 1802

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 septembre 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer l’application du couvre-feu sur l’aéroport de Paris-Orly et préserver les populations des nuisances sonores et environnementales liées au transport aérien et à l’activité aéroportuaire,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Sylvain BERRIOS, Mme Naïma MOUTCHOU, Mme Agnès FIRMIN LE BODO, Mme Anne-Cécile VIOLLAND, M. Xavier ROSEREN, Mme Béatrice PIRON, M. Mathieu LEFÈVRE, M. Romain ESKENAZI, M. Joël BRUNEAU, M. Romain DAUBIÉ, M. Michel HERBILLON, M. Jean MOULLIERE, Mme Constance DE PÉLICHY, Mme Maud PETIT,

députés et députées.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis 1961, l’aéroport de Paris‑Orly est la deuxième plateforme aéroportuaire française et un nœud majeur du trafic aérien de passagers en Europe. Il est caractérisé par sa situation géographique, au centre d’un tissu urbain dynamique et dense partagé entre les départements du Val‑de‑Marne (94) et de l’Essonne (91). L’aéroport et son terrain de plus de 1 500 hectares sont ainsi répartis sur neuf communes limitrophes, et l’activité aéroportuaire, notamment via les couloirs de survol aérien, se projette sur plusieurs dizaines d’autres communes. Cette activité et les nuisances associées sont donc un enjeu pour une population significative de riverains.

Il convient tout d’abord de rappeler les effets liés à l’activité de l’aéroport ParisOrly, notamment sur les territoires limitrophes. L’aéroport représente un pôle d’activité économique, en rassemblant un réseau d’entreprises et de sous‑traitants spécialisés dans l’exploitation de l’aéroport, le transport de passagers et les services aux usagers. Il soutient également l’activité touristique francilienne et, plus largement, l’industrie aéronautique française. Une étude de l’institut Paris Région estime que l’aéroport a par exemple fourni près de 25 000 emplois directs en 2022 dans la zone.

Dès 2023, l’activité de ParisOrly a repris, et même dépassé en termes de passagers son niveau de 2019, avant la crise sanitaire, avec plus de 32 millions de passagers transportés. Le nombre de mouvements, atterrissages ou décollages d’appareils, est reparti à la hausse depuis 2019. Les projections de trafic du groupe Aéroport de Paris retenues dans le cadre du projet d’aménagement « Orly 2035 », prévoient une stabilisation du nombre de mouvements à un niveau proche d’avant 2018, avec près de 230 000 mouvements par an sur l’aéroport.

Aussi, la gestion des nuisances de l’activité aéroportuaire, dont les nuisances sonores, est un enjeu crucial, en raison de leurs impacts significatifs sur la santé, la qualité de vie des populations et sur les territoires. Selon les dernières études de Bruitparif et du CNB (Conseil national du bruit), les nuisances sonores liées au trafic aérien impactent plus de 2,2 millions de personnes en Île‑de‑France avec un dépassement sur leur lieu d’habitation des seuils de bruit recommandés par l’organisation mondiale de la santé (OMS), y compris dans certains cas la nuit. Les nuisances liées au transport et leur effet sur le stress ou le sommeil, entrainent une perte estimée d’environ trois années d’espérance de vie en bonne santé dans certaines communes les plus impactées. Ces effets sur la santé et la qualité de vie ont également un coût socio- économique pour la collectivité, que l’Ademe/CNB (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie / Conseil national du bruit) estime à près de 417 millions d’euros par an uniquement pour l’aéroport de ParisOrly et pour la perte de sommeil. Sur tout le territoire, ils induisent un coût estimé à plus de 5 milliards d’euros pour le système de santé.

Ces nuisances sont reconnues et régulées depuis les débuts du fonctionnement de l’aéroport de ParisOrly, où a notamment été mis en place un couvrefeu pour les vols entre 23 h 30 et 6 heures dès 1968 par décision ministérielle. Depuis lors, d’autres restrictions, notamment sur le nombre de créneaux annuels, sur les appareils les plus bruyants ou sur les trajectoires de vol, ont été mises en œuvre. Elles sont renforcées par d’autres initiatives de réduction des nuisances, comme les mesures d’aménagement prévues dans le plan de prévention du bruit dans l’environnement (PPBE) ou la mise en place d’une nouvelle procédure aérienne de descente continue. Enfin, il faut souligner les efforts du secteur et des compagnies pour optimiser l’activité en agissant sur le taux d’emport, ou pour réduire le bruit des appareils, via le renouvellement des flottes avec des appareils plus performants.

Cependant, ces efforts restent insuffisants pour assurer une réduction satisfaisante des nuisances sonores à un niveau préservant la santé des populations. D’une part, car les restrictions ou mesures de réduction du bruit ne sont pas assez larges et d’autre part, car elles sont insuffisamment appliquées, notamment en raison de leur disséminement entre plusieurs règlements, ainsi que des dérogations qu’elles génèrent sans contrôle suffisant.

Plusieurs pistes pour le renforcement des restrictions de vols sont à explorer. Premièrement l’extension du couvrefeu, sur lequel, conformément au règlement européen n° 598/2014, une étude d’impact selon l’approche équilibrée (EIAE) a été réalisée en avril 2024, concernant l’aéroport d’Orly et les nuisances sonores nocturnes. Cette étude analyse les bénéfices et coûts de quatre scénarii, avec un scénario sans modification de la réglementation sonore actuelle et trois scénarii introduisant des restrictions sur les appareils bruyants (scénario A) et une extension du couvre‑feu dès 23 heures pour les départs uniquement (B) ou pour les départs et arrivées (C). Le gouvernement a privilégié le scénario A, sans extension du couvrefeu, et soumis un projet d’arrêté à consultation à l’été 2024 comprenant uniquement des restrictions pour les appareils bruyants. Cette consultation a révélé un rejet massif de cette approche par les acteurs locaux et riverains, 95 % des avis exprimés étant opposés au scénario A et la plupart de ces expressions plébiscitent le scenario C. De fait, cette approche est insuffisante et va à l’encontre des avis émis par de nombreux acteurs pour protéger les populations. C’est en particulier ce que souligne l’Agence Régionale de Santé d’Île‑de‑France dans un avis, qui pointe l’insuffisante prise en compte des coûts socio‑économiques par l’étude et dans le scénario retenu par le gouvernement. L’OMS soutient également que si le renouvellement des flottes par des appareils moins bruyants et d’autres mesures sur les infrastructures ou trajectoires de vols sont des solutions nécessaires, elles restent incomplètes et s’inscrivent sur le temps long. L’organisation rappelle donc que les restrictions directes et portant sur l’amplitude des horaires de vol restent le levier principal d’action publique pour préserver la santé des individus. Enfin, un récent rapport de l’académie nationale de médecine confirme l’impact significatif sur la santé de l’exposition prolongée aux nuisances sonores dans l’environnement aéroportuaire actuel, et introduit également l’idée que des restrictions de vols peuvent non seulement protéger, mais également restaurer la santé des populations avec par exemple le caractère réversible de certains troubles cardio‑vasculaires. L’extension du couvrefeu, dans la perspective du scénario C de l’étude d’impact selon l’approche équilibrée, est ainsi privilégiée dans cette proposition de loi.

Deuxièmement, par le plafonnement plus restrictif du nombre de vols. La reprise post crise sanitaire est source de bénéfices sur le plan économique, mais doit être accompagnée pour limiter les impacts sur les populations et la santé. Un projet similaire est étudié par le gouvernement néerlandais à l’aéroport de Schiphol, proche d’Amsterdam, avec une réduction potentielle de 10 % du nombre de créneaux de vols annuels autorisés. Une restriction similaire sur ParisOrly est ainsi envisagée afin de limiter les nuisances, tout en préservant l’activité et la rentabilité des transporteurs. Cette limitation s’applique aux créneaux accordés, qui conditionnent ensuite le nombre de mouvements effectivement réalisés, et ne s’applique pas au nombre de passagers pour inciter les transporteurs à optimiser leurs vols, notamment les taux de remplissage ou la capacité des appareils.

D’autres leviers existent pour assurer l’efficacité des mesures de réduction du bruit actuelles.

Les dérogations au couvrefeu, accordées par la Direction générale de l’aviation civile pour des raisons techniques, météorologiques ou sociales en limitent l’efficacité et empêchent donc de préserver les populations des nuisances sonores nocturnes. Un rapport du réseau associatif DRAPO (Association locale – Défense riverains aéroport Paris‑Orly), compte ainsi 30 manœuvres réalisées après le couvre‑feu sur l’été 2023, en augmentation par rapport à la période antérieure à la crise sanitaire, l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa) confirmant à la fois le nombre élevé de dérogations accordées et l’augmentation du nombre de manquements délibérés. La réglementation doit veiller à ce que ces dérogations soient strictement limitées aux cas exceptionnels et justifiés. La poursuite de l’amélioration des procédures et pratiques de vols pour en réduire les nuisances sonores doit également être fixée comme objectif pour l’État et le secteur à l’aéroport de Paris‑Orly et sur tout le territoire. Ces transformations peuvent en effet représenter un coût à court terme mais sont indispensables pour permettre de réduire les nuisances sans impacter le niveau d’activité. La procédure de descente continue, qui limite les nuisances sonores, en est un exemple. Sa mise en place à Orly est prévue pour 2026 pour les atterrissages face Ouest, mais doit être également mise en place pour la face Est, concentrant près de 40 % des atterrissages.

L’article 1er crée une nouvelle section dans le livre V du code de l’environnement concernant les « Dispositions particulières à l’aéroport de ParisOrly » afin d’introduire dans la loi et d’étendre le couvre‑feu en vigueur pour interdire les départs et arrivées entre 23 heures et 6 heures et protéger les populations des nuisances sonores nocturnes, les plus dommageables pour la santé. Cette extension du couvre‑feu pourrait garantir 180 heures supplémentaires par personne et par an de sommeil sans nuisances sonores. Il encadre également le processus de dérogation au couvre‑feu en vigueur sur l’aéroport de Paris‑Orly pour en restreindre l’usage aux cas exceptionnels et dument justifiés, et en réserver l’octroi au secrétaire général à l’aviation civile.

L’article 2 introduit dans la loi et renforce la limitation existante du nombre de créneaux de vols qui peuvent être accordés aux transporteurs, qui conditionnent ensuite le nombre de mouvements réalisés, pour l’aéroport de Paris‑Orly. Cette limite auparavant de 250 000 créneaux annuels, s’établirait à 215 000, ce qui ramènerait le nombre de mouvements effectués à environ 200 000, objectif déjà recherché par l’arrêté du 6 octobre 1994 relatifs aux créneaux de vols, pour soulager les populations sans provoquer un choc trop important pour les transporteurs aériens.

L’article 3 fixe des objectifs pour l’État sur la réduction des nuisances sonores du secteur aérien, comme l’a fait la loi climat et résilience du 22 août 2021 pour la pollution atmosphérique.

 


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proposition de loi

Article 1er

Le chapitre Ier du titre VII du livre V du code de l’environnement est complété par une section 7 ainsi rédigée :

« Section 7

« Dispositions particulières à l’aéroport de Paris‑Orly

« Art. L. 57120. – Les mouvements nocturnes d’aéronefs sur l’aéroport de Paris-Orly sont ainsi limités :

« 1° Aucun atterrissage d’aéronef n’est programmé entre 23 heures 15 et 6 heures 30, heure locale d’arrivée sur l’aire de stationnement ;

« 2° Aucun atterrissage pour retard accidentel n’est admis après 23 heures 15 ; cette disposition ne s’étend pas aux situations susceptibles de mettre en cause la sécurité de l’aéronef, réservées à la seule appréciation du commandant de bord, sous réserve d’une justification a posteriori ;

« 3° Aucun décollage d’aéronef n’est programmé entre 23 heures et 6 heures 15, heure locale de départ de l’aire de stationnement ;

« 4° Aucun décollage pour retard accidentel n’est admis après 23 heures ;

« 5° Les aéronefs effectuant des atterrissages entre 23 heures et 6 heures 45, heure du toucher des roues, sont manœuvrés au tracteur sur les voies de circulation ;

« 6° L’utilisation des dispositifs de freinage au moyen des groupes moteurs est interdite entre 22 heures et 6 heures 45, sauf raisons particulières mettant en jeu la sécurité et dont le bien‑fondé est apprécié a posteriori sur un rapport du commandant de bord ;

« 7° Les restrictions définies aux 1° à 4° du présent article ne s’appliquent pas aux aéronefs d’État ni aux aéronefs effectuant des missions à caractère humanitaire, réserve faite pour ces derniers d’une justification a posteriori.

« 8° Toute dérogation au régime défini aux 1°, 2°, 3° et 4° du présent article, au bénéfice d’aéronefs commerciaux, devra être assortie de justifications particulières et ne pourra être accordée qu’à titre exceptionnel par le secrétaire général à l’aviation civile. »

Article 2

La section 7 du chapitre Ier du titre VII du livre V du code de l’environnement est complétée par un article L. 571‑21 ainsi rédigé :

« Art. L. 57121. – Le nombre maximum de créneaux horaires attribuables par le coordonnateur de l’aéroport d’Orly est fixé à 215 000 sur deux périodes de planification horaire consécutives, l’été et l’hiver.

« Dans la période comprise entre 6 heures 15 et 7 heures locales, et entre 22 heures et 23 heures locales, le nombre de créneaux horaires attribuables par le coordonnateur de l’aéroport de Paris‑Orly ne peut dépasser la moitié de la capacité disponible au sens de l’article 6 du Règlement (CEE) n° 95/93 du Conseil du 18 janvier 1993 fixant les règles communes en ce qui concerne l’attribution des créneaux horaires dans les aéroports de la Communauté.

« Ces dispositions sont applicables à compter du 30 octobre 2025. »

Article 3

I. – Afin de contribuer à la réduction des nuisances sonores liées aux activités du transport aérien, l’État se fixe pour objectif de réduire les nuisances liées au bruit des transports aériens :

1° En participant à l’amélioration de la performance des services de navigation aérienne dans un but d’optimisation des procédures et des routes aériennes. ;

2° En participant à l’amélioration du matériel et des infrastructures aéroportuaires et du contrôle aérien ;

3° En généralisant les procédures d’approche en descente continue.

II. – Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’accompagnement du secteur du transport aérien dans sa stratégie de réduction des nuisances sonores, dans le respect de l’objectif mentionné au présent I, ainsi que des recommandations de l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires et des autorités de santé compétentes.