N° 1803

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 septembre 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à responsabiliser les clubs pour mettre fin à lhomophobie dans le sport,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Danielle SIMONNET, Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Clémentine AUTAIN, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, Mme Lisa BELLUCO, M. Arnaud BONNET, M. Nicolas BONNET, Mme Gabrielle CATHALA, M. Alexis CORBIÈRE, M. Denis FÉGNÉ, M. Steevy GUSTAVE, Mme Catherine HERVIEU, M. Andy KERBRAT, Mme Julie LAERNOES, M. Tristan LAHAIS, Mme Karine LEBON, M. Laurent LHARDIT, M. Benjamin LUCAS-LUNDY, Mme Julie OZENNE, Mme Constance DE PÉLICHY, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, Mme Marie POCHON, M. Richard RAMOS, M. Jean-Claude RAUX, Mme Marie RÉCALDE, Mme Mereana REID ARBELOT, Mme Claudia ROUAUX, Mme Sandrine ROUSSEAU, Mme Eva SAS, M. Boris TAVERNIER, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, Mme Dominique VOYNET,

députées et députés.


– 1 –

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Tout propos LGBTphobe, raciste ou antisémite est contraire à la loi. Pourtant, les infractions LGBTphobe sont en constante hausse ces dernières années (hausse annuelle moyenne de 15 % sur la période 2016‑2023). Si ces discriminations existent à tout niveau de la société, les milieux sportifs n’en sont pas exemptés. 

En 2024, le football a une place prépondérante dans le paysage sportif français : 78 % des Français le considèrent comme un sport universel, vecteur de lien social. Pourtant, ces dernières années, les enceintes sportives sont devenues des zones de non‑droit où insultes racistes, antisémites et homophobes sont proférées librement et où les violences ne sont pas réprimées comme elles le devraient.

Et ce, alors même que :

– le Président de la République a déclaré le 6 juillet 2019 : « On ne peut pas s’habituer à l’homophobie et au racisme sous prétexte que l’on serait dans un stade de football ». Il s’est alors dit favorable à l’arrêt des rencontres en cas d’incidents de nature discriminatoire ;

– les ministres des sports, autorités de tutelle des Fédérations sportives et des Ligues, ont exprimé depuis plusieurs années l’objectif de « tolérance zéro contre les discriminations » ;

– la circulaire de la Fédération internationale de football (FIFA) de juillet 2019 dite de « Tolérance zéro contre les discriminations » s’impose à toutes les fédérations et ligues de football ;

– depuis plusieurs années, les sondages d’opinion réaffirment la volonté d’une très large majorité de Françaises et de Français de sanctionner plus durement les chants homophobes, y compris pour 65 % des supporters de football allant au stade ;

– le Conseil d’État a posé - en octobre 2007 – un principe strict de responsabilité des clubs en cas d’incident lors des rencontres sportives (CE, Avis, 29 octobre 2007, req.n° 307736).

L’objet de de la présente proposition de loi est de codifier cet avis du Conseil d’État afin de mettre fin aux manifestations violentes (à caractère homophobe, notamment) constatées lors des rencontres sportives. 

1. État des lieux de l’homophobie dans le sport (et notamment dans le football)

Malgré la signature de chartes et la prise d’engagements, les acteurs du sport n’imposent pas les valeurs de respect et de fraternité que la pratique sportive doit véhiculer.

Violences physiques et verbales, injures à caractère raciste, antisémite et homophobe sont ainsi devenues la norme dans les stades et enceintes sportives, le monde du football étant le plus touché

Une homophobie décomplexée s’y exprime à chaque match, comme par exemple, lors de la rencontre du championnat de France PSG‑OM du 24 septembre 2023 :

Les Marseillais, c’est des pédés, des fils de putes, des enculés… et par les couilles, on les pendra. Hélas des couilles, ils n’en ont pas.

Pour de tels chants, epris par une grande partie du stade, la commission des sanctions de la Ligue de Football Professionnel (LFP) a, le 5 octobre suivant, prononcé à titre de sanction la fermeture pour un match de la tribune Auteuil du Parc des Princes. 

Sanction qui apparaît en décalage total avec la gravité des chants proférés et qui a été réduite l’année suivante pour les mêmes faits, sans que l’on connaisse les motifs de cette clémence de la commission de discipline de la LFP, malgré son caractère de récidive et sans que jamais le PSG ne porte plainte contre ces faits délictuels ayant eu lieu dans son stade.

Le 20 avril 2025, le chant homophobe entonné systématiquement par les supporters stéphanois depuis des années (« Oh Lyonnais bande de pédés ! ») a même servi de support publicitaire/promotionnel pour un match entre l’AS Saint‑Étienne et l’Olympique lyonnais.

Le « teaser » a été diffusé sur le compte Instagram de la LFP (suivi par 5,4 millions d’abonnés) et n’a été supprimé qu’au bout de cinq jours, après l’intervention du ministère des sports interpellé par les associations. Une plainte a été déposée par l’association Stop Homophobie devant les juridictions pénales.

Mais les actions pénales qui sont menées par les associations sont sans incidence sur les poursuites disciplinaires dont doivent faire l’objet les clubs.

En effet, si ces associations peuvent déposer des plaintes devant les juridictions répressives, elles ne peuvent, en revanche, contraindre les fédérations et ligues sportives à sanctionner disciplinairement les clubs.

Le Conseil d’État a pourtant posé un principe clair par un avis du 29 octobre 2007 : les clubs doivent tout mettre en œuvre pour qu’aucun incident ne survienne lors des rencontres sportives.

Et en cas d’incident, ils doivent nécessairement en répondre devant les instances disciplinaires.

2. Rappels concernant la portée de l’avis du Conseil d’État du 29 octobre 2007

Répondant au Tribunal administratif de Lille qui l’interrogeait sur la compatibilité du principe de responsabilité objective des clubs avec le principe de personnalité des peines, le Conseil d’État a consacré un principe de responsabilité disciplinaire des clubs en cas de désordres imputables à leurs supporters : « [l’article 129 des règlements généraux de la Fédération française de football] impose aux clubs de football, qu’ils soient organisateurs d’une rencontre ou visiteurs, une obligation de résultat en ce qui concerne la sécurité dans le déroulement des rencontres.

Le club organisateur est ainsi tenu d’assurer la police du terrain et de prendre toutes mesures permettant d’éviter les désordres pouvant résulter, tant avant, pendant qu’après le match, de l’attitude de ses dirigeants, des joueurs ou du public. Le club visiteur est, quant à lui, responsable de l’attitude de ses dirigeants, joueurs et supporters. Il est, en particulier, responsable des désordres imputables à ses supporters à l’occasion d’une rencontre.

La méconnaissance de ces dispositions peut faire l’objet de sanctions disciplinaires de la part de la fédération, notamment de sanctions pécuniaires comme en l’espèce. Il appartient alors aux organes disciplinaires de la fédération, après avoir pris en considération les mesures de toute nature effectivement prises par le club pour prévenir les désordres, d’apprécier la gravité des fautes commises et de déterminer les sanctions adaptées à ces manquements.

Les règlements en cause sanctionnent ainsi la méconnaissance par les clubs d’une obligation qui leur incombe et qui a été édictée par la fédération sportive dont ils sont adhérents, dans le cadre des pouvoirs d’organisation qui sont les siens et conformément aux objectifs qui lui sont assignés. Ils ne méconnaissent pas, par suite, eu égard au pouvoir d’appréciation cidessus rappelé, le principe constitutionnel de responsabilité personnelle en matière pénale, qui est applicable aux sanctions administratives et disciplinaires » (CE, Avis, 29 octobre 2007, req.n° 307736).

En imposant une « obligation de résultat » aux clubs, le Conseil d’État a donné « au mouvement sportif les moyens juridiques de cette responsabilisation des clubs, qui est un élément déterminant de toute politique de lutte contre la violence, dans et aux abords des stades, tant au niveau national qu’international, étatique que fédéral » (Ibidem, N.Ros, Commentaire sur CE, 29 octobre 2007, req.n° 307736).

La doctrine s’est divisée sur la qualification à donner à ce nouveau système de responsabilité : système de présomption de responsabilité des clubs pour les uns, système de responsabilité objective pour les autres.

Quoi qu’il en soit, le système voulu par le Conseil d’État est le suivant :

– La référence à une « obligation de résultat » implique que la responsabilité du club est engagée « du seul fait que la sécurité de la rencontre n’a pas été assurée », la faute étant « de ne pas avoir organisé une rencontre vierge de tout désordre » ;

– Une sanction disciplinaire doit donc automatiquement être prononcée à l’encontre du club, sanction dont la sévérité dépendra de ce que le club aura mis en œuvre pour assurer la sécurité (y compris les mesures permettant d’identifier précisément les circonstances et les auteurs de ces faits délictuels dans leurs stades, ainsi que les dépôts de plainte par les clubs pour rompre avec la culture de l’impunité).

Ainsi, « dans la logique du Conseil d’État, les diligences des clubs sont autant de circonstances atténuantes que les organes disciplinaires doivent prendre en compte, mais cela ne changera rien au fait qu’une faute subsiste (ne pas avoir atteint le résultat auquel ils étaient tenus) et que cette faute appelle une sanction ».

C’est ce qui assure la constitutionnalité et la conventionalité du dispositif : si la responsabilité du club doit être engagée du simple fait que des désordres ont été constatés, ce n’est qu’à la condition qu’il soit tenu compte, pour déterminer la sanction à lui infliger, des moyens qu’il a mis en œuvre pour prévenir ces désordres.

3. La loi « démocratiser le sport » : une occasion manquée de faire évoluer l’article L.3321 du code du sport

Lors des débats concernant la loi « Démocratiser le sport en France », les associations de supporters ont tenté de revenir sur cette obligation de résultat en la qualifiant « d’intenable ». Plusieurs amendements ont été déposés pour compléter l’article L. 332‑1 du code du sport en indiquant que « pèse sur les organisateurs une obligation de moyen en matière de sécurité des manifestations sportives du fait du comportement de leurs supporters ».

Malgré le soutien à cette mesure de la ministre des sports de l’époque par la création d’un article 11 bis AC, la commission des affaires culturelles à l’Assemblée nationale l’a finalement supprimé, souhaitant une « obligation de résultat ». Toute référence à une obligation de moyen a donc été supprimée.

Mais l’actuel article L. 332‑1 du code du sport (issu de l’article 53 de la loi n° 2022‑296 du 2 mars 2022) ne codifie pas pour autant l’avis du Conseil d’État du 29 octobre 2007.

La rédaction actuelle ne permet donc pas de responsabiliser les clubs. Circonstance d’autant plus regrettable que le Conseil d’État a encore confirmé récemment sa position d’octobre 2007.

4. L’arrêt du 18 juillet 2024 : le Conseil d’État confirme son avis du 29 octobre 2007

La constitutionnalité et la conventionalité du dispositif forgé en octobre 2007 par le Conseil d’État étant assuré, ses rapporteurs publics ont, par la suite, toujours fait référence à cette obligation de résultat.

Et lorsqu’à l’audience du 3 juillet 2024, Clément Malverti, rapporteur public au Conseil d’État a proposé de « modifier le considérant de principe issu de l’avis de 2007, en gommant toute référence à la qualification d’obligation de résultat », le Conseil d’État ne l’a pas suivi et a réaffirmé avec force cette obligation de résultat :

« [l’article 2.1 de l’annexe 2 des règlements généraux de la FFF (ancien article 129)] imposent aux clubs de football, qu’ils soient organisateurs d’une rencontre ou visiteurs, une obligation de résultat en ce qui concerne la sécurité dans le déroulement des rencontres, que si un club visiteur ou jouant sur terrain neutre est notamment responsable, à l’occasion d’une rencontre, de l’attitude de ses supporters et, ce faisant, des désordres imputables à ceuxci, il appartient à l’organisateur d’assurer la police du terrain et de prendre toutes mesures permettant d’éviter les désordres pouvant résulter, tant avant, pendant qu’après le match, de l’attitude de l’ensemble du public, c’estàdire y compris les supporters du club adverse. La détermination de la responsabilité d’un club visiteur ou jouant sur terrain neutre et de la sanction susceptible de lui être infligée doit ainsi tenir compte des obligations spécifiques qui incombent à ce club et, en particulier, du fait que celuici ne maîtrise pas l’organisation de la rencontre. À ce titre, il appartient aux organes disciplinaires de la fédération, après avoir pris en compte les mesures de toute nature effectivement mises en œuvre par le club pour prévenir les désordres, d’apprécier la gravité des fautes commises par lui et de déterminer les sanctions proportionnées à ces manquements. Il leur revient, en particulier, d’apprécier dans quelle mesure la gravité des actes commis par les supporters est la conséquence des carences du club.

D’autre part, ont la qualité de supporters d’un club de football au sens des dispositions de l’article 2.1 de l’annexe 2 des règlements généraux de la FFF (Fédération française de football) citées au point 2 les personnes qui, notamment par leur comportement, leur tenue vestimentaire, les accessoires portés, la détention de billets permettant d’accéder à une tribune ou une zone réservée ou les conditions d’organisation de leur venue, entendent marquer leur soutien à ce club » (CE, 18 juillet 2024, req.n° 489827 ; repris par la Cour administrative d’appel de renvoi : CAA Paris, 1er avril 2025, req.n° 24PA03278).

Tout en réaffirmant l’existence d’une obligation de résultat, le Conseil d’État a explicité son avis de 2007 en précisant l’office de l’organe disciplinaire.

5. La nécessité de réécrire l’article L. 3321 du code du sport

Menacée par les associations de supporters et par les rapporteurs publics eux‑mêmes, l’obligation de résultat consacrée par le Conseil d’État doit être codifiée afin de lutter efficacement contre toute forme de violence dans les stades et enceintes sportives.

Cette proposition de loi comporte donc un article unique afin de réécrire l’article L. 3321 du code du sport, qui s’insère dans la partie consacrée à la « sécurité des manifestations sportives (articles L. 3321 à L. 33221) ».

La nouvelle rédaction de cette disposition devra intégrer les points qui suivent.

Tout d’abord, la notion « d’obligation de résultat » devra être inscrite dans le texte.

À défaut, le nouveau texte pourrait être interprété de la même manière que l’article L. 4121‑1 du code du travail qui met à la charge des employeurs une obligation de sécurité en ce qui concerne les conditions de travail des salariés.

Après avoir estimé (à propos du contentieux de l’amiante) que cette obligation était une obligation de résultat, la Cour de cassation a lentement mué son interprétation en faveur d’une obligation de moyens « renforcée ».

La référence, dans le texte, une « obligation de résultat » comme l’indique le Conseil d’État devra donc être privilégiée afin d’éviter ces glissements d’interprétation.

Ensuite, la notion de « sécurité » devra être clairement définie et élargie afin de comprendre :

– non seulement ses dimensions traditionnelles, à savoir le bon ordre, la sûreté, la tranquillité et la salubrité publique ;

– Mais également l’absence « d’insignes, signes, symboles, chants ou propos incitant à la haine ou à la discrimination » (dans le même sens que l’article L. 332‑7 du code du sport).

Des décrets pourront être pris par le Gouvernement et pourront prévoir : 

– Un dispositif garantissant l’inscription systématique de faits discriminatoires et leur nature exacte (homophobie, racisme, sexisme…) ayant eu lieu dans le stade sur la feuille de match ;

– L’intégration dans les commissions de disciplines de représentants d’associations de lutte contre les discriminations et de défense des droits de l’Homme, indépendantes des instances sportives concernées ;

– Un barème de sanctions très précis ;

– L’obligation pour chaque fédération de tenir une base de jurisprudence en ligne afin de mettre à disposition du public les décisions de sanctions rédigées intégralement et motivées. En l’état, en effet, le règlement disciplinaire de la LFP (par exemple) ne permet pas de sanctionner efficacement les clubs puisqu’il n’indique que des « sanctions indicatives ».

– Enfin, le champ d’application du texte ne devra pas être limité aux seuls supporters (définis pour la première fois par l’arrêt du 18 juillet 2024 précité) mais à « l’ensemble du public » comme le rappelle cette même décision.

 


– 1 –

proposition de loi

Article unique

I. – L’article L. 211‑11 du code de la sécurité intérieure est abrogé.

II. – L’article L. 332‑1 du code du sport est ainsi rédigé :

« Art. L. 3321.  Les organisateurs de manifestations sportives à but lucratif assurent un service d’ordre afin de garantir la sécurité et le parfait déroulement des rencontres.

« Ils assurent, notamment, la police du terrain et prennent toutes mesures permettant d’éviter les désordres pouvant résulter, tant avant, pendant qu’après le match, de l’attitude de l’ensemble du public, y compris les supporters du club adverse.

« Ces mesures doivent, notamment, permettre d’assurer le bon ordre, la sûreté, la tranquillité et la salubrité publiques. Elles doivent également empêcher l’exposition de tout insignes, signes ou symboles ainsi que tout chants ou propos incitant à la haine ou à la discrimination au sens des articles 225‑1 du code pénal et 33 de la loi du 29 juillet 1881.

« Le club visiteur ou jouant sur terrain neutre est notamment responsable, à l’occasion d’une rencontre, de l’attitude de ses supporters et, ce faisant, des désordres imputables à ceux- ci.

« Les obligations citées aux quatre premiers alinéas s’analysent en une obligation de résultat.

« Tout désordre engageant la responsabilité des clubs organisateurs et visiteurs, il appartient aux organes disciplinaires de la fédération, après avoir pris en compte les mesures de toute nature effectivement mises en œuvre par le club pour prévenir les désordres, d’apprécier la gravité des fautes commises par lui et de déterminer les sanctions proportionnées à ces manquements.

« Pour tenir compte de cette obligation de résultat, les règlements disciplinaires mentionnés à l’article L. 131‑8 du présent code sont précisés par des décrets en Conseil d’État pris après avis du Comité national olympique et sportif français. »