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N° 1804

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 septembre 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à étendre les obligations anticorruption aux filiales françaises de groupes étrangers,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Caroline COLOMBIER, Mme Bénédicte AUZANOT, M. Philippe BALLARD, M. Romain BAUBRY, M. José BEAURAIN, M. Christophe BENTZ, M. Théo BERNHARDT, M. Emmanuel BLAIRY, Mme Sophie BLANC, M. Frédéric BOCCALETTI, Mme Pascale BORDES, M. Anthony BOULOGNE, Mme Manon BOUQUIN, M. Jérôme BUISSON, M. Sébastien CHENU, Mme Nathalie DA CONCEICAO CARVALHO, Mme Sandra DELANNOY, M. Jocelyn DESSIGNY, Mme Edwige DIAZ, Mme Sandrine DOGOR-SUCH, M. Nicolas DRAGON, M. Alexandre DUFOSSET, M. Aurélien DUTREMBLE, M. Auguste EVRARD, M. Frédéric FALCON, M. Guillaume FLORQUIN, M. Emmanuel FOUQUART, Mme Stéphanie GALZY, M. Jonathan GERY, M. Frank GILETTI, M. Christian GIRARD, M. Antoine GOLLIOT, Mme Florence GOULET, Mme Géraldine GRANGIER, Mme Monique GRISETI, M. Julien GUIBERT, Mme Marine HAMELET, M. Sébastien HUMBERT, M. Laurent JACOBELLI, M. Pascal JENFT, M. Alexis JOLLY, Mme Tiffany JONCOUR, Mme Sylvie JOSSERAND, Mme Florence JOUBERT, Mme Hélène LAPORTE, M. Robert LE BOURGEOIS, Mme Julie LECHANTEUX, Mme Nadine LECHON, Mme Gisèle LELOUIS, M. Hervé DE LÉPINAU, Mme Katiana LEVAVASSEUR, Mme Christine LOIR, Mme Marie-France LORHO, M. Philippe LOTTIAUX, M. Alexandre LOUBET, M. David MAGNIER, Mme Claire MARAIS-BEUIL, M. Pascal MARKOWSKY, M. Patrice MARTIN, Mme Michèle MARTINEZ, Mme Alexandra MASSON, M. Kévin MAUVIEUX, M. Nicolas MEIZONNET, Mme Joëlle MÉLIN, Mme Yaël MÉNACHÉ, M. Thomas MÉNAGÉ, M. Pierre MEURIN, M. Éric MICHOUX, M. Serge MULLER, M. Julien ODOUL, M. Thierry PEREZ, M. Kévin PFEFFER, Mme Lisette POLLET, M. Stéphane RAMBAUD, Mme Angélique RANC, M. Julien RANCOULE, Mme Catherine RIMBERT, M. Joseph RIVIÈRE, Mme Laurence ROBERT-DEHAULT, Mme Sophie-Laurence ROY, M. Emeric SALMON, M. Emmanuel TACHÉ, M. Michaël TAVERNE, M. Thierry TESSON, M. Lionel TIVOLI, M. Romain TONUSSI, M. Frédéric-Pierre VOS, M. Frédéric WEBER,

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En 2014, l’affaire Alstom a agi comme un électrochoc pour la France en révélant la vulnérabilité de ses entreprises stratégiques face à l’extraterritorialité du droit américain. L’arrestation d’un dirigeant d’Alstom par le Federal Bureau of Investigation (FBI), suivie de lourdes sanctions financières et de la cession forcée de la branche énergie du groupe à General Electric, a mis en lumière l’incapacité du cadre juridique français de l’époque à protéger efficacement ses intérêts économiques et industriels. Ce cas emblématique a illustré comment l’absence de dispositifs robustes de prévention et de répression de la corruption pouvait non seulement exposer les entreprises françaises à des poursuites étrangères, mais aussi fragiliser la souveraineté nationale dans des secteurs clés.

C’est dans ce contexte de crise et de prise de conscience aiguë des enjeux de compliance qu’a été adoptée la loi n° 2016‑1691 du 9 décembre 2016, dite « loi Sapin II ». Son adoption s’inscrit dans un double mouvement : d’une part, l’exigence croissante de transparence, de probité et de responsabilité dans la vie économique nationale ; d’autre part, la nécessité pour la France de se doter d’un cadre juridique crédible face aux normes internationales anticorruption, dominées jusque‑là par les législations anglo‑saxonnes, en particulier le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) américain et le UK Bribery Act britannique.

Au‑delà de ses objectifs déontologiques, la loi Sapin II répond à un impératif de souveraineté économique. Elle marque une prise de conscience politique du fait que la corruption, les pratiques déloyales et les défaillances de gouvernance peuvent servir de prétexte à des actions judiciaires extraterritoriales utilisées comme armes économiques. L’usage offensif du droit par certaines puissances étrangères, notamment les États‑Unis, à travers des sanctions ou des amendes géantes infligées à des entreprises européennes (BNP Paribas, Alstom, Airbus, etc.), a démontré l’urgence pour la France de reprendre le contrôle de sa capacité normative dans le champ de la compliance et de la régulation des comportements à risque.

La loi Sapin II a ainsi introduit, pour les grandes entreprises françaises, l’obligation de mettre en place un programme anticorruption structuré, assorti de mécanismes de contrôle confiés à l’Agence française anticorruption (AFA). L’article 17 de la loi en est le cœur opératoire : il impose aux dirigeants des grandes entités l’adoption de huit mesures destinées à prévenir et détecter les faits de corruption et de trafic d’influence, en France comme à l’étranger.

Mais huit ans après sa promulgation, il apparaît que l’un des critères d’assujettissement prévu par cet article 17 en limite gravement la portée. En effet, le premier alinéa restreint l’obligation de conformité aux sociétés employant au moins cinq cents salariés ou appartenant à un groupe de sociétés « dont la société mère a son siège social en France ». Cette condition exclut du champ d’application de la loi les filiales françaises de groupes étrangers, même lorsque ces dernières emploient plusieurs milliers de salariés en France et réalisent un chiffre d’affaires largement supérieur aux seuils requis.

Il en résulte une asymétrie juridique et une fragilité stratégique. Asymétrie, car deux sociétés opérant sur le sol français, de taille et de secteur identiques, ne sont pas soumises aux mêmes obligations selon que leur maison‑mère est domiciliée à Paris ou à New York. Fragilité, car les filiales françaises de groupes étrangers, souvent très exposées à des zones à risque ou à des circuits de décision complexes, échappent à la vigilance de l’AFA et au devoir d’exemplarité imposé aux sociétés françaises. Or ce sont précisément ces entités qui, en cas de scandale ou de poursuites à l’étranger, fragilisent la souveraineté judiciaire et économique nationale.

La conséquence pratique est double : d’une part, le dispositif anticorruption français est incomplet, car il laisse de côté une part significative de l’appareil productif opérant sur le territoire ; d’autre part, il manque une occasion de protéger juridiquement la France contre les logiques d’extraterritorialité, en ne généralisant pas un standard national de conformité à toutes les grandes entreprises implantées dans l’Hexagone.

Plusieurs autorités et experts ont alerté sur cette faille. L’Agence Française Anticorruption a formulé des recommandations en ce sens. Transparency International, ainsi que de nombreux professionnels du droit des affaires et de la compliance, plaident pour une réforme afin d’inclure dans le champ d’application les filiales françaises de groupes étrangers. Ces demandes convergent autour d’un objectif simple : ne plus permettre qu’une entreprise soit exonérée de ses responsabilités en matière de lutte contre la corruption au seul motif que sa société mère est étrangère.

À l’aune de ce contexte et de ces enjeux, la présente proposition de loi vise donc à supprimer, au premier alinéa de l’article 17 de la loi Sapin II, les mots : « dont la société mère a son siège social en France ». Cette modification permettrait de rétablir une égalité de traitement entre les entreprises opérant sur le territoire national, de renforcer la cohérence et l’efficacité du dispositif anticorruption français, et de consolider la souveraineté juridique de la France face aux stratégies d’influence normative extérieures. Elle contribuerait, enfin, à faire de la conformité un levier stratégique de puissance, et non plus une vulnérabilité face à des juridictions étrangères.

 


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proposition de loi

Article unique

Au premier alinéa du I de l’article 17 de la loi n° 2016‑1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, les mots : « dont la société mère a son siège social en France et » sont supprimés.