N° 1808

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 septembre 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à instaurer une prévoyance collective obligatoire pour tous les salariés,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Stéphane VIRY, Mme Constance DE PÉLICHY, M. Olivier FALORNI, M. Jean-Pierre BATAILLE, M. Joël BRUNEAU, Mme Marie-Agnès POUSSIER-WINSBACK, M. Jean-Michel JACQUES, M. Michel CASTELLANI, Mme Josiane CORNELOUP, M. François RUFFIN, Mme Valérie ROSSI, M. Jean-Carles GRELIER, M. Salvatore CASTIGLIONE, Mme Lise MAGNIER, M. David TAUPIAC, M. Emmanuel MANDON, Mme Océane GODARD,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Cette proposition de loi était initialement portée par ma collègue Mme Astrid Panosyan‑Bouvet lorsqu’elle était encore députée. Devenue ministre, c’est en pleine concertation que nous avons fait le choix de la redéposer, afin de lui donner une nouvelle chance d’être examinée. Ce geste témoigne de l’attachement profond et partagé que nous nourrissons, elle et moi, pour une prévoyance accessible à toutes et tous, véritable pilier d’une société plus protectrice et plus juste.

En effet, La prévoyance protège contre les aléas de l’existence les plus lourds : incapacité temporaire ou permanente de travailler, invalidité, décès. Autant d’événements soudains, souvent imprévisibles, dont les conséquences financières peuvent être dévastatrices pour les personnes concernées comme pour leurs proches. Pourtant, cette protection essentielle reste encore aujourd’hui largement méconnue, sous‑utilisée, et, plus encore, profondément inégalitaire.

Selon l’Observatoire de l’Imprévoyance, près de 20 millions d’actifs en France ([1]) – qu’ils soient salariés, fonctionnaires ou travailleurs indépendants – ne disposent pas d’une couverture prévoyance satisfaisante. Parmi eux, environ 6 millions sont totalement dépourvus de toute protection. Ce déficit de couverture touche particulièrement les populations les plus exposées : les métiers pénibles, faiblement rémunérés, marqués par une forte usure physique et psychologique. Ces travailleurs cumulent tous les risques : une probabilité plus élevée d’être frappés par un aléa de la vie, une capacité financière moindre pour faire face à ses conséquences, et un accès limité aux dispositifs de protection.

Le régime obligatoire, qu’il s’agisse de la Sécurité sociale ou des régimes publics, ne permet pas de faire face à ces situations. Les prestations versées en cas d’incapacité, d’invalidité ou de décès sont bien souvent insuffisantes pour maintenir un niveau de vie décent. Et pourtant, beaucoup surestiment encore ce que la solidarité nationale prend en charge. Ce décalage entre la perception et la réalité aggrave l’inaction et entretient un faux sentiment de sécurité.

Plusieurs facteurs structurels l’expliquent. Tout d’abord, en dehors des cadres du secteur privé, les employeurs ne sont pas tenus de proposer à leurs salariés une couverture prévoyance collective. L’adhésion repose donc sur la seule initiative individuelle, via des contrats facultatifs, souvent plus chers et moins accessibles, notamment pour les plus modestes. À cette inégalité d’accès s’ajoute une confusion fréquente entre prévoyance et complémentaire santé : cette dernière, rendue obligatoire pour tous les salariés depuis 2016, a fait ses preuves et a rencontré un franc succès. À l’inverse, la prévoyance reste obscure, mal expliquée, peu promue, et donc largement négligée.

Il est préoccupant que des millions d’actifs soient aujourd’hui laissés seuls face aux coups du sort, sans filet de sécurité adapté. Dans une société qui se veut juste, solidaire et inclusive, la protection contre les aléas de la vie ne peut rester un privilège ou un choix individuel. Elle doit progressivement devenir un droit universel et effectif. Cela suppose d’en faire un véritable enjeu de politique publique, à la hauteur des défis sociaux contemporains.

Il est donc essentiel que l’État, garant du pacte républicain et de l’égalité des citoyens, prenne ses responsabilités. La prévoyance ne doit plus être une option réservée à quelques‑uns, mais une composante fondamentale du socle de protection de chaque travailleur. C’est à la collectivité qu’il revient de construire un système cohérent et équitable, en complément du régime de solidarité nationale, pour garantir à chacun un niveau de vie décent en cas d’épreuve.

C’est dans cette optique que cette proposition de loi a été rédigée. Elle prévoit l’instauration d’une obligation pour tous les employeurs de proposer à leurs salariés, quels que soient leur statut, leur secteur d’activité ou la taille de leur entreprise, un contrat de prévoyance collective à adhésion obligatoire. Cette couverture serait financée au moins pour moitié par l’employeur, comme c’est déjà le cas pour la complémentaire santé. Ce modèle, éprouvé et accepté, offre une base solide pour bâtir un socle de prévoyance plus universel.

Cette réforme ne bénéficie pas qu’aux salariés. Elle représente également un levier stratégique pour les entreprises, notamment dans un contexte de fortes tensions sur le marché du travail. Offrir à ses salariés une protection complète contre les aléas de la vie est un marqueur de responsabilité sociale, un facteur d’attractivité pour la marque employeur, et un outil de fidélisation des talents. Dans un monde du travail en mutation, les entreprises qui prendront ce virage renforceront leur capacité à attirer et à retenir leurs collaborateurs.

Mais cette réforme va plus loin encore : elle participe à redonner du sens au travail, en reconnaissant qu’il peut générer de la pénibilité, des risques physiques ou psychologiques, mais aussi qu’il mérite en retour d’être protecteur. Protéger les travailleurs face aux conséquences des aléas de santé ou d’accidents liés à l’activité professionnelle, c’est reconnaître la valeur de leur engagement quotidien. C’est affirmer que la contribution de chacun à la société, parfois au prix de sa santé, doit être compensée par une solidarité organisée. Cette reconnaissance explicite renforce le contrat moral entre le salarié et son employeur, mais aussi entre le citoyen et la République : un travail qui peut user doit aussi garantir des droits, une protection et une sécurité pour soi et ses proches.

L’adaptation de cette future obligation au plus près des réalités professionnelles est également essentielle. Comme les risques couverts varient selon les métiers, les branches et les contextes d’exercice, les négociations devront s’organiser à l’échelle des branches professionnelles et des entreprises pour définir les garanties les plus pertinentes. C’est à ce niveau que pourront être intégrés des dispositifs différenciés, adaptés aux spécificités des métiers et à leur exposition aux risques.

Cette proposition de loi n’est qu’un premier jalon. Elle cible dans un premier temps les prés de 2 millions de salariés du secteur privé encore non couverts ([2]). Pour les agents de la fonction publique, l’ordonnance du 17 février 2021 a déjà ouvert la voie à l’instauration progressive, d’ici 2026, d’une prévoyance complémentaire, obligatoire ou facultative, dans les trois versants de la fonction publique (État, territoriale et hospitalière). Ce processus devra s’inscrire dans la même logique de justice et d’universalité.

Enfin, la question des travailleurs indépendants mérite une attention particulière. Leur nombre ne cesse de croître, porté par un désir croissant d’autonomie et par la dynamique de l’entrepreneuriat comme outil d’inclusion sociale. Pourtant, leur protection sociale reste morcelée, fragile, difficilement transférable d’un statut à l’autre. Il est temps d’ouvrir une réflexion structurelle sur la portabilité des droits sociaux, y compris des droits à la prévoyance, tout au long de la vie professionnelle, pour garantir à chacun, quel que soit son parcours, un socle minimal de sécurité.

Les deux premiers articles de cette proposition de loi fixent le cap : instaurer, pour tous les employeurs, l’obligation de proposer une couverture prévoyance collective à adhésion obligatoire à l’ensemble de leurs salariés. C’est une avancée majeure, qui redonne du sens à la solidarité et à l’engagement collectif dans la durée.

Face aux aléas de la vie, c’est l’ensemble de la société qui doit répondre présent. Car faire société, c’est veiller à ce que personne ne soit laissé au bord du chemin. C’est reconnaître que la vulnérabilité peut toucher chacun, à tout moment. Et c’est faire le choix d’une République protectrice, où la justice sociale ne se proclame pas seulement, mais se construit dans les faits, pour toutes et tous.

L’article 1er dispose que les organisations syndicales et patronales doivent engager avant le 1er juillet 2026 des négociations au niveau de chaque branche dans lesquelles les salariés ne bénéficient pas d’une prévoyance ou disposent de garanties insuffisantes en la matière afin de déterminer notamment le contenu et les niveaux des garanties de l’assurance, la répartition de la charge des cotisations entre l’employeur et le salarié ou encore les modalités de choix de l’assureur. L’article 1er prévoit également, entre 1er juillet 2026 et le 1er juillet 2027, dans les entreprises pourvues d’un ou plusieurs délégués syndicaux et non couvertes par une couverture collective en matière de prévoyance, une négociation visant à instaurer une telle couverture offrant des garanties conformes aux stipulations de la convention ou de l’accord de branche ou, à défaut, satisfaisant aux critères fixés par la loi. 

L’article 2 introduit l’obligation pour les employeurs de proposer à leurs salariés une prévoyance complémentaire collective à adhésion obligatoire à compter du 1er juillet 2028 couvrant a minima les risques incapacité, invalidité et décès, dont le montant de la cotisation, fixé à un minimum de 1,5 % de la rémunération inférieure au plafond de la Sécurité sociale, est pris en charge pour moitié au moins par l’employeur. Un décret précisera les conditions dans lesquelles certains salariés pourront se dispenser de l’obligation de couverture.

Afin de lutter contre la méconnaissance de la prévoyance, l’article 3 vise à introduire l’obligation d’un droit à l’information sur cette couverture.

Suivant le principe de portabilité des droits, une personne licenciée peut bénéficier à titre gratuit des garanties de complémentaire santé et de prévoyance souscrites par l’entreprise dont elle a été licenciée jusqu’à 12 mois à compter de la date de cessation de son contrat de travail. Pourtant un récent arrêt de la Cour de cassation du 15 février 2024 précise que l’organisme assureur n’est pas obligé de prendre en charge les garanties d’un salarié licencié si l’assureur résilie son contrat avec son ancienne entreprise. 

L’article 4 dispose ainsi que l’organisme assureur doit assurer le maintien des couvertures complémentaire santé et prévoyance pour les salariés licenciés même en cas de résiliation du contrat avec l’entreprise qui les employait.

Enfin, l’article 5 prévoit l’obligation pour les organismes d’assurance couvrant les risques d’incapacité, d’invalidité ou de décès d’informer toute personne qui souhaite dénoncer son contrat des conséquences de cette résiliation.

 

 

 


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proposition de loi

Article 1er

I. – Avant le 1er juillet 2026, les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels engagent une négociation, afin de permettre aux salariés qui ne bénéficient pas d’une couverture collective à adhésion obligatoire a minima des risques d’incapacité, d’invalidité et de décès dont le montant global des cotisations versées et la part de financement assurée par l’employeur sont au moins aussi favorables que celles mentionnées aux II et III de l’article L. 911‑7‑2 du code de la sécurité sociale, au niveau de leur branche ou de leur entreprise, d’accéder à une telle couverture au plus tard le 1er juillet 2028.

La négociation porte notamment sur :

1° La définition du contenu et du niveau des garanties ainsi que la répartition de la charge des cotisations entre employeur et salariés ;

2° Les modalités de choix de l’assureur. La négociation examine en particulier les conditions, notamment les tarifs et la durée des engagements contractuels, dans lesquelles les entreprises peuvent retenir le ou les organismes assureurs de leur choix, sans méconnaître les objectifs de couverture effective de l’ensemble des salariés des entreprises de la branche ;

3° Le cas échéant, les modalités selon lesquelles des contributions peuvent être affectées au financement de l’objectif de solidarité, notamment pour l’action sociale, la prévention et la constitution de droits non contributifs ;

4° Le cas échéant, sur les adaptations nécessaires pour tenir compte des dispositions spécifiques applicables aux salariés de droit privé relevant du régime local des départements du Haut‑Rhin, du Bas‑Rhin et de la Moselle, prévues à l’article L. 1226‑23 du code du travail.

II. – À compter du 1er juillet 2026 et avant le 1er juillet 2027, dans les entreprises pourvues d’un ou plusieurs délégués syndicaux et qui ne sont pas couvertes selon l’une des modalités mentionnées à l’article L. 911‑1 du code de la sécurité sociale par une couverture collective à adhésion obligatoire a minima des risques d’incapacité, d’invalidité et de décès dont le montant global des cotisations versées et la part de financement assurée par l’employeur sont au moins aussi favorables que celles mentionnées aux II et III de l’article L. 911‑7‑2 du même code et applicable au plus tard le 1er juillet 2028, l’employeur engage une négociation sur ce thème.

Cette négociation se déroule dans les conditions prévues à la section 3 du chapitre II du titre III du livre II de la deuxième partie du code du travail.

Article 2

Après l’article L. 911‑7‑1 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 911‑7‑2 ainsi rédigé :

« Art. L. 91172. – I. – Les entreprises dont les salariés ne bénéficient pas d’une couverture collective à adhésion obligatoire a minima des risques d’incapacité, d’invalidité et de décès déterminée selon l’une des modalités mentionnées à l’article L. 911‑1, dont le montant global des cotisations versées et la part du financement assurée par l’employeur sont au moins aussi favorables que celles mentionnées aux II et III du présent article sont tenues de faire bénéficier leurs salariés de cette couverture minimale par décision unilatérale de l’employeur, dans le respect de l’article 11 de la loi n° 89‑1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques. Les salariés concernés sont informés de cette décision.

« II. – La cotisation affectée à la couverture des risques mentionnés au I est au moins égale à 1,5 % de la part de rémunération inférieure au plafond annuel de la sécurité sociale.

« III. – L’employeur assure au minimum la moitié du financement de la couverture collective à adhésion obligatoire des risques d’incapacité, d’invalidité et de décès.

 « Un décret fixe les catégories de salariés pouvant se dispenser, à leur initiative, de l’obligation de couverture, eu égard à la nature ou aux caractéristiques de leur contrat de travail ou au fait qu’ils disposent par ailleurs d’une couverture de ces risques.

« IV. – Le I entre en vigueur à compter du 1er juillet 2028. »

Article 3

Chaque salarié, qui bénéficie d’une couverture collective à adhésion obligatoire des risques d’incapacité́, d’invalidité et de décès, déterminée selon l’une des modalités mentionnées à l’article L. 911‑1 du code de la sécurité sociale, reçoit une information annuelle sur l’étendue de ses garanties. Cette information porte également sur les conséquences liées à la suspension de son contrat de travail sur les garanties couvertes par le contrat collectif. Les conditions d’application de cet article sont définies par décret.

Article 4

1° Après le 3° de l’article L. 911‑8 du code de la sécurité sociale, il est inséré un 3° bis ainsi rédigé :

« 3° bis Lorsque le contrat collectif à adhésion obligatoire est résilié à l’issue d’une procédure de liquidation judiciaire, les garanties maintenues au bénéfice de l’ancien salarié sont celles qui étaient en vigueur dans l’entreprise avant la résiliation du contrat collectif et sont financées dans les conditions prévues à l’article L. 3253‑8 du code du travail »

2° Au dernier alinéa de l’article L. 3253‑8 du code du travail, après le mot : « loi », sont insérés les mots : « et la contribution de l’employeur au financement des cotisations d’assurance relatives au maintien des garanties prévues au 3° bis de l’article L. 911‑8 du code de la Sécurité sociale ».

Article 5

Après l’article L. 113‑15‑3 du code des assurances, il est inséré un article L. 113‑15‑4 ainsi rédigé :

« Art. L. 113154. – Pour les contrats couvrant les risques d’incapacité, d’invalidité ou de décès, l’assureur informe l’assuré, sur support papier ou tout autre support durable, des conséquences qu’emporte la résiliation de son contrat. Les conditions d’application de cet article sont définies par décret. »

Après l’article L. 221‑10‑4 du code la mutualité, il est inséré un article L. 221‑10‑5 ainsi rédigé :

« Art. L. 221105. – Pour les contrats ou règlements couvrant les risques d’incapacité, d’invalidité ou de décès, la mutuelle ou l’union informe l’adhérent, sur support papier ou tout autre support durable, des conséquences qu’emporte la résiliation de son contrat ou règlement. Les conditions d’application de cet article sont définies par décret. »

Après l’article L. 932‑12‑2 du code la sécurité sociale, il est inséré un article L. 932‑12‑3 ainsi rédigé :

« Art. L. 932123. – Pour les contrats ou règlements couvrant les risques d’incapacité, d’invalidité ou de décès, l’institution de prévoyance informe l’adhérent, sur support papier ou tout autre support durable, des conséquences qu’emporte la résiliation de son contrat ou règlement. Les conditions d’application de cet article sont définies par décret. »

 

 


([1])  « L’Observatoire de l’imprévoyance estime qu’environ 7 actifs sur 10 sont concernés par des défauts ou insuffisances de couverture. 2 sur 10 ne sont pas couverts et presque 1 sur 2 l’est insuffisamment » - Source : Livre Blanc Groupe VYV « Améliorer la prévoyance des actifs, un impératif social », février 2023

([2])   Coût de l’imprévoyance Note technique, Observatoire de l’Imprévoyance, septembre 2022