N° 1828

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 septembre 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à ajouter le prénom à la liste des critères légaux de discrimination,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. François RUFFIN, M. Emmanuel GRÉGOIRE, Mme Mereana REID ARBELOT, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Alexis CORBIÈRE, Mme Sandrine ROUSSEAU, M. Jean-Paul LECOQ, Mme Constance DE PÉLICHY, Mme Lisa BELLUCO, M. Jean-Claude RAUX, M. Davy RIMANE, M. Philippe NAILLET, M. Damien GIRARD, M. Thierry SOTHER, M. Paul CHRISTOPHLE, Mme Marie POCHON, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, M. Matthias TAVEL, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Charles FOURNIER, Mme Catherine HERVIEU, M. Boris TAVERNIER, Mme Cyrielle CHATELAIN, Mme Anna PIC, Mme Claudia ROUAUX, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, M. Steevy GUSTAVE, M. Inaki ECHANIZ, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, Mme Mélanie THOMIN, M. Max MATHIASIN, Mme Dominique VOYNET,

députés et députées.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dans une salle de classe, au guichet dune agence immobilière ou dans une pile de CV, il suffit parfois dun mot – un seul – pour être jugé, exclu, discriminé. Ce mot, anodin en apparence, c’est un prénom.

Un prénom qui, dès qu’il est lu ou entendu, déclenche aussitôt des préjugés sur l’origine ethnique, la classe sociale ou le niveau d’éducation. Un prénom qui devient un motif de moquerie ou un obstacle pour l’accès à l’emploi et au logement.

Dans son documentaire Sauvons les Kévin, M. Kévin Fafournoux a recueilli de nombreux témoignages édifiants : « Un cabinet de recrutement ma conseillé de ne pas mettre le prénom Kévin sur mon CV et de changer didentité » ; « Des collègues se sont moqués de moi en disant que j’étais le seul Kévin docteur et agrégé au monde ».

Le réalisateur, portant lui‑même ce prénom, résume : « C’est du racisme de classe. C’est une émancipation des classes populaires et moyennes qui a été très mal perçue dans les années 90 et qui a suscité, avec le temps, une stigmatisation qui donne lieu à de la discrimination. »

Mais cette stigmatisation ne concerne évidemment pas que les Kévin. Elle touche toutes celles et tous ceux dont le prénom est perçu comme trop populaire ou trop étranger. Les Mohammed, Dylan, Fatima, Cindy, Ibrahim, Bryan, Jennifer ou Aïcha.

Dans un article du Ouest France de mai 2024, une femme témoigne : « J’ai récemment été engagée en tant qu’assistante dans une entreprise de prêt‑à‑porter. Il s’agissait d’un contrat à durée déterminée d’une durée de six mois et j’étais très heureuse à l’idée de commencer ce nouveau travail. Quelques jours après mon arrivée, ma supérieure hiérarchique a souhaité s’entretenir avec moi. Elle m’a alors demandé de changer mon prénom à consonance arabe. Mon refus a entraîné ma mise à l’écart de l’entreprise et j’ai finalement mis fin à la période d’essai de quinze jours après mon embauche. »

Dans une émission de RMC d’avril 2024, un auditeur déclarait en direct : « J’ai changé de prénom d’usage. Grégoire au lieu de mon prénom à consonance arabe (…) Y’a un moment on en a marre qu’on nous renvoie à nos origines, à notre religion. »

Le magistrat Youssef Badr, fondateur et président de l’association La Courte Echelle, œuvrant pour l’égalité des chances dans le milieu juridique, démontre quant à lui : « Dans le milieu du droit, plus de 90 % des élèves et étudiants qui nous contactent parce qu’ils n’ont pas de réponse à leur demande de stage, ce sont des gens avec des prénoms d’origine maghrébine ou africaine. Il y a un étudiant, il s’appelle Bilal, il est d’origine maghrébine, il a fait de très belles études et il cherche un stage. Il a envoyé des tonnes de candidatures avec son CV. Il n’a eu aucune réponse. Il a transformé Bilal en Benoît et avec le même CV, il a reçu trois propositions pour un entretien. C’est aussi simple que ça. »

M. Jean‑François Amadieu, directeur de l’Observatoire des discriminations, chiffre même cette injustice : « à CV égal, un Jordan verra ses chances d’embauche diminuer de 10 à 30 % par rapport à un Arthur ».

En effet, ces récits personnels et témoignages ont été objectivés par des études. Des travaux ont notamment démontré l’existence de ces discriminations dans le cadre de la recherche d’un emploi. Une étude, réalisée par le ministère du travail en décembre 2016, a analysé les recrutements d’une quarantaine de grandes entreprises. Ils ont envoyé environ 3 000 candidatures équivalentes du point de vue de la formation, de l’expérience professionnelle et des caractéristiques sociodémographiques (sexe, âge, diplôme, nationalité et résidence). La seule différence entre les candidatures tenait dans la consonance des noms et prénoms avec, d’un côté, ceux à consonance « hexagonale », comme Aurélie Favre ou Guillaume Clerc, et de l’autre côté, ceux à consonance « maghrébine », comme Djamila Bachiri ou Malik Bouna. Ce test a révélé que les candidatures avec des noms et prénoms à consonance « maghrébine » ont reçu 36 % de réponses positives, contre 47 % pour ceux à consonance « hexagonale ». Une enquête plus récente, réalisée en 2021 également par le ministère du travail, a démontré qu’à qualité comparable, les candidatures portant un nom et prénom d’origine maghrébine ont près de 31,5 % de chances de moins d’être contactées par les recruteurs que les candidatures portant un nom et prénom d’origine française.

Mais ces discriminations ont également été prouvées dans d’autres situations que la sphère professionnelle. Par exemple, une étude de 2017, intitulée « Les discriminations dans l’accès au logement à Paris : une expérience contrôlée », a montré que les individus portant un nom et prénom à consonance maghrébine ont « un tiers de chances en moins de recevoir une issue favorable à sa demande de visite » d’un logement que ceux portant un nom et prénom à consonance française.

Malgré l’ensemble de ces preuves empiriques et de ces témoignages, le droit français reste en partie aveugle à cette réalité. Il reconnaît le nom de famille comme critère de discrimination, mais pas le prénom – pourtant tout aussi révélateur de l’origine sociale, culturelle ou religieuse.

Cette différence de traitement na aucun sens. Elle crée un angle mort juridique et nie aux victimes de cette discrimination la possibilité de se défendre. Comment porter plainte pour une injustice que la loi refuse de nommer ?

Cette proposition de loi vise à combler cette lacune juridique en ajoutant le prénom à la liste des critères légaux de discrimination dans le code pénal et le code du travail. Cette reconnaissance permettra de visibiliser une réalité sociale jusqu’ici ignorée par les textes.

 


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proposition de loi

Article 1er

Au premier alinéa de de l’article 225‑1 du code pénal, après le mot : « patronyme », sont insérés les mots : « , de leur prénom ».

Article 2

Au premier alinéa de l’article L. 1132‑1 du code du travail, après la seconde occurrence du mot : « famille », sont insérés les mots : « , de son prénom ».