N° 1829

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 septembre 2025.

PROPOSITION DE LOI

réformer le régime de la responsabilité civile et à améliorer l’indemnisation des victimes,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Sacha HOULIÉ,

député.


– 1 –

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Prompts à proposer, au gré des faits divers et des remaniements, des réformes des codes pénal et de procédure pénale, le gouvernement a montré une relative prudence dans la conduite de réformes en matière civile.

Pourtant, la société française ne devrait pas se satisfaire d’un droit qui n’a pas évolué depuis plusieurs années sinon à la faveur de la jurisprudence ou de textes concernant des droits spéciaux. La matière civile est, en effet, au cœur de la vie de nos concitoyens et la conduite des affaires comme le sort réservé aux victimes méritent une plus grande attention et une véritable modernisation.

Les victimes ont droit, dans notre pays, à une juste reconnaissance de leurs préjudices, à une entière réparation et à une meilleure indemnisation des dommages qu’elles ont subis.

Au demeurant, cette réforme est attendue par les particuliers dont on entend les griefs au sujet d’une justice n’octroyant pas de place particulière aux victimes et par les professionnels qui, par la sécurisation et l’intelligibilité du droit, bénéficieraient d’un cadre légal rénové.

« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause un dommage à autrui, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

La formule historique de l’ancien article 1382 du code civil, depuis renuméroté à l’article 1240, régit depuis des années le droit de la responsabilité civile extracontractuelle.

Bien que complété par les dispositions propres à l’inexécution contractuelle, le droit de la responsabilité civile repose pour l’essentiel sur cinq articles du code civil demeurés inchangés depuis 1804, une « hypertrophie » pour reprendre les termes du doyen Carbonnier.

De longue date envisagée, espérée par les acteurs économiques en quête d’une plus grande efficacité, la réforme de la responsabilité civile est également un enjeu pour assurer une meilleure protection des victimes. L’amélioration de la place de la victime est d’ailleurs au centre d’une demande populaire aussi légitime que pressante souvent abordée sous l’angle pénal. Pourtant, c’est bien en matière civile qu’une réforme d’ampleur est susceptible d’assurer la reconnaissance et la juste réparation des préjudices subis.

Le législateur a déjà entrepris une œuvre de réécriture du code civil.

Ainsi, le 20 avril 2018, le parlement parachevait la ratification de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

De cette première réforme, le garde des Sceaux Jean‑Jacques Urvoas disait qu’il s’agissait d’un « travail considérable qui permet à l’un des trois piliers de l’ordre juridique de renouer avec sa tradition civiliste d’accessibilité aisée, de prévisibilité garantie et d’attractivité naturelle ». Dans son discours du 13 mars 2017, prononcé à l’occasion de la présentation de la réforme de la responsabilité civile le ministre estimait, à l’instar de tous les civilistes, qu’elle n’était « pas dissociable sur le fond » de celle du droit des contrats.

C’est pourquoi, nous estimons qu’il est grand temps de faire aboutir les multiples travaux parlementaires ([1]) ou universitaires ([2]) qui ont défriché les objectifs et les enjeux d’une telle réforme.

Les objectifs sont clairs :

‑ renforcer la sécurité juridique par un droit plus lisible et prévisible en procédant notamment à une codification de la jurisprudence de la Cour de cassation,

‑ améliorer le traitement des victimes d’un dommage et mieux protéger leurs intérêts,

‑ renforcer la prévention des comportements illicites,

‑ responsabiliser, de manière équilibrée, l’ensemble des acteurs.

De façon générale, la proposition de loi prend le parti de concentrer la réforme sur le renforcement et la sécurisation de l’indemnisation des victimes et laisse à la chancellerie l’initiative pour la partie correspondant à la réforme des régimes de responsabilité civile, qui parce qu’elle est plus technique, pourrait devoir faire l’objet d’une habilitation à légiférer par ordonnance.

Il s’agit ici d’abord de proposer une harmonisation et une amélioration du traitement de toutes les victimes.

Aux fins de prévisibilité, il est donc envisagé non seulement d’inscrire au sein du Code civil une définition précise du préjudice réparable et de ses contours mais aussi de consacrer la fonction préventive de la responsabilité civile. Ce deuxième objectif est poursuivi par la faculté pour la victime de recouvrer les sommes qu’elle a engagées pour prévenir le dommage ou éviter son aggravation mais également en intégrant dans le Code civil, une procédure de référé consacrée en procédure civile : la cessation de l’illicite. La même logique s’exprime également par les dispositions interdisant à la victime de laisser s’aggraver le préjudice qu’elle subit ; ce qui vise par là‑même à la responsabiliser.

L’autre innovation majeure de la réforme résulte de la consécration de l’amende civile qui vient sanctionner le comportement de l’auteur ayant commis une faute ou une inexécution contractuelle en vue d’en tirer un profit. Ainsi est créée la sanction de la faute lucrative. Pour en définir le régime, il est proposé de prendre en compte des travaux préparatoires de l’article 1266‑1 de l’avant‑projet de 2017 mais également des débats parlementaires lors de l’examen de la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe ainsi que de l’actuel article 1254 du code civil. Ainsi, l’amende civile qui sanctionne davantage qu’elle ne répare serait demandée par la victime ou le ministère public, son produit étant affecté à un fonds d’indemnisation. Il reste que la partie restitutoire ne serait pas assurable.

Le projet de réforme vise ensuite à améliorer l’indemnisation des victimes de dommage corporel.

Jusqu’à présent, l’indemnisation de ce dommage diffère selon la nature du fait générateur, de la résolution amiable ou judiciaire, de l’intervention ou non d’un fonds d’indemnisation ou d’acteurs disposant de nomenclatures ou de barèmes propres.

L’unification du régime de responsabilité applicable en cas de dommage corporel en prévoyant que les victimes relèveront du seul régime de la responsabilité extracontractuelle assure une véritable égalité de traitement entre les victimes. L’amélioration de leur indemnisation est par ailleurs prévue par la faculté de bénéficier de l’application de dispositions contractuelles dans l’unique cas où elles seraient plus favorables.

Il est aussi envisagé de consacrer un ensemble de dispositions particulièrement protectrices des victimes d’un dommage corporel en assurant son indemnisation lorsque l’auteur est indéterminé parmi un groupe de personnes identifié ou en limitant strictement les cas où le droit à indemnisation de la victime peut être réduit.

L’égalité entre les victimes et la prévisibilité du droit en faveur de la victime justifient encore que les règles applicables en matière d’évaluation et d’indemnisation soient identiques pour les matières judiciaire, administrative et transactionnelle. Car, comme l’avait exprimé le garde des Sceaux Urvoas, « qui peut admettre aujourd’hui que la victime d’une erreur médicale soit indemnisée différemment selon qu’elle a reçu des soins à l’hôpital public ou dans le secteur privé ? ».

Mais surtout, la proposition reprend l’un des éléments phares des différents projets en instaurant un ensemble de règles et d’outils uniques (nomenclature non limitative des postes de préjudices corporels, barème d’invalidité unique, assiette de recours des tiers payeurs alignée, etc.) largement inspiré de la loi du 5 juillet 1985 dite « Badinter » ([3]).

Pour y parvenir, l’article 1er porte l’intégralité de la réforme de l’indemnisation des victimes.

Ainsi, le chapitre Ier réunit les dispositions générales relatives à la définition du préjudice, ce qui ne figure pas aujourd’hui dans le code civil, et à la prévention de la réalisation d’un dommage ou de ses conséquences ainsi que de l’existence même d’un préjudice réparable.

Ainsi, l’article 1303‑5 propose une définition du préjudice réparable, première condition de la responsabilité civile. Celle‑ci permet notamment de codifier la distinction entre le dommage (c’est‑à‑dire l’atteinte à la personne ou aux biens de la victime) et le préjudice (qui désigne l’atteinte pour le demandeur, c’est‑à‑dire la lésion des intérêts patrimoniaux ou extrapatrimoniaux qui résultent du dommage).

Les alinéas 3 et 4 explicitent la distinction entre les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux.

L’article 1303‑6 pose une nouvelle règle de droit en prévoyant le caractère réparable des dépenses préventives. Elle est aussi le miroir de l’obligation faite à la victime de ne pas aggraver son préjudice prescrit à l’article 1303‑10.

L’article 1303‑7 innove également puisqu’il consacre, dans le code civil, une prérogative déjà reconnue au juge en matière de référé (à l’article 835 du code de procédure civile), en lui permettant de faire cesser un trouble illicite. Il s’agit ici de prévenir l’apparition du dommage et d’en réduire les conséquences, en s’attachant à supprimer le fait générateur et pas seulement d’en réparer les conséquences, renforçant de fait la fonction préventive de la responsabilité civile. La personne du défendeur est indifférente puisqu’il ne sera pas nécessairement l’auteur du trouble illicite dès lors qu’il est en mesure de le faire cesser.

Le chapitre 2 prescrit les règles générales applicables à la réparation ou à l’évaluation du préjudice.

L’article 1303‑8 pose le principe de la réparation intégrale qui trouve immédiatement une exception à l’alinéa suivante comprenant l’une des plus grandes novations de cette réforme : la sanction de la faute lucrative par l’application d’une amende civile.

La faute lucrative est celle qui serait causée délibérément afin de réaliser des gains ou des économies, supérieurs au coût de la réparation du préjudice qui pourrait être causé. Cette disposition bien qu’existante à l’article 1254 du code civil était jusqu’alors réservée aux dommages sériels. Le nouvel article 1303‑8 du code civil lui donne une portée générale en matière extracontractuelle pour peu que la victime ou le ministère public la demandent et que le juge l’accorde par décision motivée. Son montant, proportionné à la gravité de la faute, est encadré selon que l’auteur est une personne physique ou morale et plafonné pour ne pas se cumuler avec une amende administrative ou pénale. Un tel risque n’est pas assurable.

L’article 1303‑9 fixe les critères d’évaluation des dommages et intérêts par le juge et procède à la codification de la jurisprudence sur l’évaluation des dommages et intérêts au jour du jugement ainsi que la demande d’indemnité complémentaire pouvant être présentée en cas d’aggravation postérieure au jugement. Il vise également à clarifier une jurisprudence incertaine en autorisant la possibilité de demander une indemnisation complémentaire d’un préjudice préexistant mais non inclus dans la demande initiale.

Le dernier alinéa constitue une innovation en ce qu’il impose expressément au juge d’évaluer distinctement les préjudices.

Tel qu’il a été présenté ci‑dessus, l’article 1303‑10 créé l’obligation pour la victime de prendre les mesures raisonnables afin de ne pas aggraver son préjudice, ce qui de toute évidence exclut les mesures de nature à porter atteinte à l’intégrité du corps humain. Cette disposition participe à l’équilibre général du texte qui indemnise les mesures préventives prises par la victime.

Le chapitre 3 traite de la réparation des préjudices résultant d’un dommage corporel.

La section prévoit des règles particulières pour ce type de préjudice.

L’article 1303‑11 propose l’unification du régime de responsabilité applicable en cas de dommage corporel, c’est‑à‑dire la dé‑contractualisation de l’obligation de sécurité. Dans ces circonstances, le dommage corporel sera, dans tous les cas, réparé sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, ce qui vise donc à mieux protéger et réparer les victimes. A cet égard, des dispositions contractuelles plus favorables demeureraient invocables par la victime.

L’article 1303‑12 envisage une simplification de l’imputabilité du dommage en posant le principe de la causalité alternative. Il pose une présomption de causalité lorsqu’un dommage corporel a été causé par un auteur indéterminé parmi un groupe limité de personnes identifiées qu’ils agissent de concert (dans une unité de temps et d’action), ou qu’il s’agisse d’activités distinctes mais susceptibles d’avoir causé le dommage. Le troisième alinéa crée une nouvelle règle de droit en inscrivant dans le code civil les modalités de contribution à la dette des responsables du dommage.

L’article 1303‑13 prescrit les cas de force majeure et l’article 1303‑14 organise l’exonération de la responsabilité en cas de faute de la victime. Cependant, en cas de dommage corporel, seule la faute lourde de la victime pourrait entraîner l’exonération partielle.

L’article 1303‑15 consacre la validité de principe des clauses limitatives ou exonératoires de responsabilités (tout en rappelant que les dispositions relatives à la responsabilité pour faute sont d’ordre public). Il pose toutefois une importante limite en matière de dommage corporel en prohibant ce type de clause.

La section 2 envisage l’harmonisation des modalités d’évaluation de d’indemnisation des préjudices résultant d’un dommage corporel et l’article 1303‑16 en définit le champ d’application qui s’étend à toutes les décisions rendues par les juridictions civiles mais aussi administratives ainsi qu’aux règlements transactionnels.

L’article 1303‑17 pose le caractère impératif des dispositions relatives au dommage corporel en leur conférant un caractère d’ordre public. A contrario, les règles relatives au dommage matériels peuvent être aménagées par les parties. Les prédispositions de la victime sont neutralisées par l’effet de l’article 1303‑18.

L’article 1303‑19 créé une nomenclature des postes de préjudice, non limitative, pour les juridictions des ordres judiciaire et administratif à l’image de la nomenclature Dintilhac utilisée en matière d’indemnisation d’un accident de la route.

L’article 1303‑20 instaure un barème médical unique pour apprécier le déficit fonctionnel après consolidation comme il en existe pour les accidents du travail, les pensions militaires, des victimes de guerre ou les accidents médicaux. En prévoyant l’application du droit particulier lorsqu’il existe, il ne les remplace pas mais couvre toutes les situations où il n’en existe actuellement aucun.

L’article 1303‑22 encadre le recours des tiers payeurs en insérant, dans le code civil, les règles relatives aux recours des tiers payeurs figurant aux articles 29 à 33 de la loi du 5 juillet 1985 dite Badinter, la liste des prestations concernées étant fixée par le même article. Le recours subrogatoire est également ouvert, par l’article 1268 aux employeurs reprenant l’esprit de l’article 32 de la loi Badinter.

L’article 1303‑24 prévoit l’imputabilité poste par poste des recours à l’exclusion du préjudice personnel. Il consacre le droit de préférence de la victime et prévoit qu’elle ne peut voir réduit son droit à indemnisation, en cas de faute de sa part, sur les seules prestations non indemnisées par les tiers payeurs.

L’article 1303‑25 organise le recours des assureurs entre eux en reprenant le modèle de l’article 33 de la loi du 5 juillet 1985.

L’article 2 gage la proposition de loi.

 


– 1 –

proposition de loi

Article 1er

Le titre III du livre III du code civil est complété par un sous‑titre IV ainsi rédigé :

« Sous‑titre IV

« L’indemnisation des victimes

« CHAPITRE IER

« LE PRÉJUDICE 

« Art. 13035.  Tout préjudice certain résultant d’un dommage et consistant dans la lésion d’un intérêt licite est réparable.

« Les préjudices sont patrimoniaux et extrapatrimoniaux.

« Les préjudices patrimoniaux comprennent toutes les répercussions économiques de la lésion. Ils incluent la perte subie et le gain manqué.

« Les préjudices extrapatrimoniaux comprennent toutes les répercussions non‑économiques de la lésion.

« Art. 13036. – Les dépenses exposées par le demandeur pour prévenir la réalisation imminente d’un dommage ou pour éviter son aggravation, ainsi que pour en réduire les conséquences, constituent un préjudice réparable dès lors qu’elles ont été raisonnablement engagées.

« Art. 13037.  En matière extracontractuelle, indépendamment de la réparation du préjudice éventuellement subi, le juge peut prescrire les mesures raisonnables propres à prévenir le dommage ou faire cesser le trouble illicite ou excédant les inconvénients normaux de voisinage auquel est exposé le demandeur.

« CHAPITRE II

« DÉS RÈGLES GÉNÉRALES APPLICABLES À LA RÉPARATION ET À L’ÉVALUATION DU PRÉJUDICE

« Art.13038.  La réparation doit avoir pour objet de replacer la victime autant qu’il est possible dans la situation où elle se serait trouvée si le fait dommageable n’avait pas eu lieu.

« Toutefois, en matière extracontractuelle, lorsque l’auteur du dommage a délibérément commis une faute en vue d’obtenir un gain ou une économie, le juge peut le condamner, à la demande de la victime ou du ministère public et par une décision spécialement motivée, au paiement d’une amende civile.

« Le montant de la sanction est proportionné à la gravité de la faute commise et au profit que l’auteur de la faute en a retiré. Si celui‑ci est une personne physique, ce montant ne peut être supérieur au double du profit réalisé. Si l’auteur est une personne morale, ce montant ne peut être supérieur au quintuple du montant du profit réalisé.

« Lorsqu’une sanction civile est susceptible d’être cumulée avec une amende administrative ou pénale infligée en raison des mêmes faits à l’auteur du manquement, le montant global des amendes prononcées ne dépasse pas le maximum légal le plus élevé.

« Le risque d’une condamnation à l’amende civile n’est pas assurable.

« Art. 13039.  Les dommages et intérêts sont évalués au jour du jugement, en tenant compte de toutes les circonstances qui ont pu affecter la consistance et la valeur du préjudice depuis le jour de la manifestation du dommage, ainsi que de son évolution raisonnablement prévisible.

« En cas d’aggravation du dommage postérieurement au jugement, la victime peut demander un complément d’indemnité pour le préjudice qui en résulte. En cas de dommage corporel, elle peut également réclamer une indemnisation complémentaire pour tout chef de préjudice préexistant non inclus dans la demande initiale.

« Chacun des chefs de préjudice est évalué distinctement par le juge.

« Art. 130310.  Les dommages et intérêts sont réduits lorsque la victime n’a pas pris les mesures raisonnables, notamment au regard de ses facultés contributives, propres à éviter l’aggravation de son préjudice, sauf lorsque ces mesures sont de nature à porter atteinte à son intégrité physique.

« CHAPITRE III

« DE LA REPARATION DES PREJUDICES RESULTANT D’UN DOMMAGE CORPOREL

« SECTION 1

« Des règles particulières de protection des victimes d’un dommage corporel

« Art. 130311.  Les préjudices résultant d’un dommage corporel sont réparés sur le fondement des règles de la responsabilité extracontractuelle, même s’ils sont causés à l’occasion de l’exécution du contrat.

« À l’égard du créancier, le débiteur répond comme de son fait de l’inexécution du contrat par celui qu’il s’est substitué.

« Toutefois, la victime peut invoquer les stipulations expresses du contrat qui lui sont plus favorables que l’application des règles de la responsabilité extracontractuelle.

« Art. 130312.  Lorsqu’une personne indéterminée parmi des personnes identifiées ayant agi de concert a causé un dommage corporel, chacune en répond pour le tout, sauf à démontrer qu’elle ne l’a pas causé.

« Lorsque plusieurs personnes, par des faits générateurs de responsabilité distincts, sont susceptibles d’avoir causé un dommage corporel, sans que l’on puisse déterminer qui l’a causé, chacune en répond pour le tout, sauf à démontrer qu’elle ne l’a pas causé.

« Les responsables contribuent entre eux à proportion de la probabilité que chacun ait causé le dommage.

« Art. 130313.  Le cas fortuit, le fait du tiers, ou de la victime sont totalement exonératoires s’ils revêtent les caractères de la force majeure.

« En matière extracontractuelle, la force majeure est l’évènement échappant au contrôle du défendeur ou de la personne dont il doit répondre, et dont ceux‑ci ne pouvaient éviter ni la réalisation ni les conséquences par des mesures appropriées.

« En matière contractuelle, la force majeure est définie à l’article 1218. 

« Art. 130314.  Le manquement de la victime à ses obligations contractuelles, sa faute ou celle d’une personne dont elle doit répondre sont partiellement ou totalement exonératoires lorsqu’ils ont contribué à la réalisation du dommage.

« En cas de dommage corporel, seule une faute lourde de la victime ayant contribué à la réalisation du dommage peut entraîner l’exonération partielle.

« Art. 130315.  Les clauses ayant pour objet ou pour effet d’exclure ou de limiter la responsabilité sont en principe valables, aussi bien en matière contractuelle qu’extracontractuelle.

« Toutefois, nul ne peut limiter ou exclure sa responsabilité en cas de dommage corporel.

« SECTION 2

« De l’harmonisation des modalités d’évaluation et d’indemnisation des préjudices résultant d’un dommage corporel

« Art. 130316.  Les règles de la présente section sont applicables aux décisions des juridictions judiciaires et administratives, ainsi qu’aux transactions conclues entre la victime et le débiteur de l’indemnisation.

« Art. 130317.  Toute stipulation contraire aux dispositions de la présente section est réputée non écrite à moins qu’elle ne soit plus favorable à la victime.

« Art. 130318.  Les préjudices doivent être appréciés sans qu’il soit tenu compte d’éventuelles prédispositions de la victime lorsque l’affection qui en est issue n’a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable.

« Art. 130319.  Les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux résultant d’un dommage corporel sont déterminés, poste par poste, suivant une nomenclature non limitative des postes de préjudices fixée par décret en Conseil d’État.

« Art. 130320.  Sauf disposition particulière, le déficit fonctionnel après consolidation est mesuré selon un barème médical unique, indicatif, dont les modalités d’élaboration, de révision et de publication sont déterminées par voie règlementaire.

« Art. 130321.  L’indemnisation due au titre de la perte de gains professionnels, de la perte de revenus des proches ou de l’assistance d’une tierce personne a lieu en principe sous forme d’une rente. Celle‑ci est indexée sur un indice fixé par voie réglementaire et lié à l’évolution du salaire minimum.

« Avec l’accord des parties, ou sur décision spécialement motivée, la rente peut être convertie en capital selon une table déterminée par voie réglementaire fondée sur un taux d’intérêt prenant en compte l’inflation prévisible et actualisée tous les trois ans suivant les dernières évaluations statistiques de l’espérance de vie publiées par l’Institut national des statistiques et des études économiques.

« Lorsqu’une rente a été allouée conventionnellement ou judiciairement en réparation de préjudices futurs, le crédirentier peut, si sa situation personnelle le justifie, demander que les arrérages à échoir soient remplacés en tout ou partie par un capital, suivant la table de conversion visée à l’alinéa précédent. 

« Art. 130322.  Les sommes versées à la victime à des fins indemnitaires par les tiers payeurs ne donnent lieu à recours subrogatoire contre le responsable ou son assureur que dans les cas prévus par la loi.

« Seules les prestations énumérées ci‑après versées à la victime d’un dommage corporel ouvrent droit à un recours contre la personne tenue à réparation ou son assureur :

« 1° Les prestations versées par les organismes, établissements et services gérant un régime obligatoire de sécurité sociale ;

« 2° Les prestations énumérées au II de l’article 1er de l’ordonnance n° 59‑76 du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l’État et de certaines autres personnes publiques ;

« 3° Les sommes versées en remboursement des frais de traitement médical et de rééducation ;

« 4° Les salaires et les accessoires du salaire maintenus par l’employeur pendant la période d’inactivité consécutive à l’événement qui a occasionné le dommage ;

« 5° Les indemnités journalières de maladie et les prestations d’invalidité versées par les groupements mutualistes régis par le code de la mutualité, les institutions de prévoyance régies par le code de la sécurité sociale ou le code rural et de la pêche maritime et les sociétés d’assurance régies par le code des assurances.

« Art. 130323.  Les employeurs sont admis à poursuivre directement contre le responsable des dommages ou son assureur le remboursement des charges patronales afférentes aux rémunérations maintenues ou versées à la victime pendant la période d’indisponibilité de celle‑ci. Ces dispositions sont applicables à l’État par dérogation aux dispositions de l’article 2 de l’ordonnance n° 59‑76 du 7 janvier 1959 précitée.

« Art. 130324.  Les prestations donnant lieu à recours s’imputent poste par poste sur les seules indemnités dues par le responsable pour les chefs de préjudice pris en charge par le tiers payeur, à l’exclusion des préjudices extrapatrimoniaux.

« Dans le cas où l’insolvabilité du responsable empêcherait l’indemnisation intégrale de la victime, celle‑ci sera préférée au tiers payeur pour ce qui lui reste dû par le responsable.

« La faute de la victime ne peut réduire son droit à indemnisation que sur la part de son préjudice qui n’a pas été réparée par les prestations du tiers payeur. Celui‑ci a droit au reliquat de la dette mise à la charge du responsable.

« Art. 130325.  Hormis les prestations mentionnées aux articles 1248 et 1249, aucun versement effectué au profit d’une victime en vertu d’une obligation légale, conventionnelle ou statutaire n’ouvre droit à une action contre la personne tenue à réparation du dommage ou son assureur.

« Toutefois lorsqu’il est prévu par contrat, le recours subrogatoire de l’assureur qui a versé à la victime une avance sur indemnité du fait de l’accident peut être exercé contre l’assureur de la personne tenue à réparation dans la limite du solde subsistant après paiements aux tiers visés à l’article 1248. Il doit être exercé, s’il y a lieu, dans les délais impartis par la loi aux tiers payeurs pour produire leurs créances.

Article 2

I. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée, à due concurrence, par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


([1]) Nous voulons ici saluer les travaux des sénateurs Laurent Béteille et Alain Anziani, co-auteurs d’un rapport parlementaire de d’une proposition de loi en 2009 et 2010.

([2]) Il est fait ici référence au projet du groupe dirigé par le professeur Pierre Catala en 2005 qui comportait comme rédactrice la professeure Geneviève Viney, favorable à une meilleure prise en compte de la situation des victimes et à celui dirigé en 2011 par le professeur François Terré qui, sous l’influence des assureurs et de droits étrangers, insistait sur l’importance de la prévisibilité du droit face au pouvoir créateur du juge et aux aléas de la jurisprudence.

([3]) Loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation