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N° 1875
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 septembre 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à fermer l’établissement pénitentiaire du camp-est en Nouvelle-Calédonie,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Bastien LACHAUD, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La République a l’obligation de garantir la dignité de chaque personne détenue. Cette exigence émane tant de la Constitution et de la législation que des engagements internationaux de la France. Mais ce qui devrait être une exigence minimale est bafoué quotidiennement au centre pénitentiaire dit du Camp‑Est situé à Nouméa, en Kanaky‑Nouvelle‑Calédonie.
Cette prison est un symbole de l’inhumanité carcérale, des conditions de détention contraires à la dignité humaine. Son nom et ses locaux sont directement hérités du bagne installé par l’administration coloniale française depuis 1864, pour y déporter des forçats de droit commun, ainsi que des prisonniers politiques. Le poids symbolique de cette histoire coloniale est particulièrement lourd. Initialement construit pour y enfermer des prisonniers venus de France ou issus de la répression coloniale, c’est aujourd’hui le haut lieu d’enfermement des kanak sur leur propre sol.
En effet, plus de 90 % des détenus sont kanaks, alors qu’ils représentent seulement 41 % de la population. Les autres détenus sont essentiellement océaniens. En proportion de sa population, la Kanaky‑Nouvelle‑Calédonie compte 2,5 fois plus de personnes détenues que l’Hexagone, soit 265 personnes détenues pour 100 000 habitants. Ce taux d’incarcération est le résultat tant d’inégalités sociales structurelles, que de la persistance d’un système judiciaire colonial qui aboutit à une surreprésentation massive des Kanak parmi les prisonniers du Camp‑Est.
Il s’agit de l’un des établissements les plus surpeuplés parmi les prisons françaises. En 2025, il accueillait 598 détenus pour une capacité théorique de 414 places, réparties dans 230 cellules, soit un taux de surpopulation de 144 %. En décembre 2024, selon les chiffres de l’organismes d'insertion et de placement (OIP), les taux d’occupation s’élevaient à 157 % en maison d’arrêt (308 personnes pour 196 places), et 148 % au centre de détention (288 personnes pour 194 places), et 173 matelas au sol.
Il s’agit aussi d’un des établissements où les conditions de détention sont les plus indignes du fait de l’insalubrité structurelle des locaux. Certains des bâtiments datent de l’époque du bagne.
Dans des cellules de 9 mètres carrés s’entassent jusqu’à cinq personnes, dont trois dormants sur des matelas au sol. Les prisonniers en sont parfois réduits à suspendre des matelas au plafond à l’aide de draps pour gagner un peu de place, ou à dormir sous la table à manger, ou encore sous les autres lits. Quels que soient les quartiers, les murs sont moisis, rouillés, tagués, avec des traces de feu. Plusieurs cellules sont dépourvues de vitres aux fenêtres, ce qui entraîne des températures très basses la nuit, et très chaudes l’été. En cas de pluie, certaines canalisations sont rompues, créant des flaques de boue mélangées aux canalisations des fosses septiques, dans lesquelles les personnes n’ont d’autre choix que de marcher. Il a même été fait usage de conteneurs maritimes depuis 2013 pour agrandir la prison, solution inadaptée, sans isolation thermique ni phonique ni système électrique sécurisé, qui avec le temps sont sujets à la saleté, la corrosion par la rouille, les infiltrations d’eau et de moisissures, la prolifération d’insectes.
Les conditions de détention sont inqualifiables : insalubrité totale, promiscuité insupportable, infestations d’animaux (moustiques, rats, cafards, punaises de lit, fourmis, scolopendres, asticots, grenouilles), hygiène très difficile, températures suffocantes, odeurs nauséabondes, installations électriques dangereuses, absence d’activités socioculturelles et professionnelles, et absence de soins médicaux adaptés. Seules deux salles de cours sont disponibles pour l’ensemble des détenus.
Ces conditions ont été condamnées par toutes les autorités administratives et de contrôle. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a fait une visite dès 2011 et produit de recommandations en urgence compte‑tenu de l’ampleur et de la gravité des violations des droits fondamentaux constatées. En 2019, une deuxième visite avait dénoncé la « violation des droits fondamentaux » et lancé une nouvelle procédure d’urgence, après avoir pu constater que malgré quelques corrections, la majorité des recommandations de 2011 n’avaient pas été mises en œuvre. En 2021, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a effectué une nouvelle visite de cette prison, qui l’a conduit à émettre à nouveau des recommandations en urgence. La Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) en 2020 a reconnu que les conditions de détention y sont indignes. Le Conseil d’État en 2022, a condamné l’État pour des travaux qu’il n’a pas effectués. Le Tribunal administratif de Nouméa en 2024, a donné gain de cause à plusieurs prisonniers à leur demande d’indemnisation pour leurs conditions d’incarcération dégradantes, il a également condamné l’État pour sa lenteur à exécuter les injonctions précédentes. L’Observatoire international des prisons en 2025 a fait un constat accablant de l’état de la prison, en général et singulièrement après les événements de mai 2024.
À ces problèmes structurels, s’ajoute la gestion scandaleuse des révoltes de mai 2024. Une mutinerie a commencé au sein de la prison, en écho à la mobilisation populaire s’opposant au dégel unilatéral du corps électoral voté le 14 mai 2025. Cela a rendu inutilisable jusqu’à 90 cellules pendant plusieurs mois, avec 4 bâtiments hors d’usage, ce qui a encore aggravé la surpopulation et l’entassement des détenus.
Depuis ces événements, un nombre inconnu de détenus kanak, de l’ordre d’une soixantaine, ont été transférés vers des prisons de l’hexagone, à plus de 17 000 kilomètres de leurs proches, sans information préalable ni avoir donné leur consentement, sans moyens de retour sur le territoire à leur libération dans l’hexagone. 7 prisonniers politiques indépendantistes ont subi le même sort.
Le 4 septembre 2025, le journal Le Monde a révélé que James, un jeune Kanak de 23 ans, incarcéré au Camp-Est, serait mort à la suite de coups qu’il aurait reçus lors de la répression de la mutinerie survenue dans la prison en mai 2024, alors qu’il ne participait pas à cette mutinerie.
Cette situation est proprement inacceptable, et ne peut être tolérée plus longtemps. Cette prison est à la fois un outil de justice coloniale et une atteinte permanente à la dignité humaine.
La fermeture du Camp‑Est est une urgence politique, démocratique et humanitaire.
Elle doit s’accompagner de la construction en Kanaky‑Nouvelle‑Calédonie de lieux de détention conformes aux droits des personnes détenues et à la dignité humaines. Mais cette fermeture doit également s’accompagner d’une réforme profonde de la politique pénale. C’est l’ensemble du système judiciaire et pénal qui doit être refondé. En effet, le taux d’incarcération sur le territoire, et le fait qu’il concerne presque exclusivement les Kanaks, laisse peu de doutes quant à une sévérité particulière dans l’application des peines et un recours supérieur à l’emprisonnement. Cette inégalité de traitement n’est pas acceptable et ne peut perdurer. D’autre part, il faut développer les peines alternatives à l’incarcération afin de limiter les recours à la prison et à la privation de liberté. L’ensemble de ces mesures doit conduire à diminuer le nombre de places de prisons nécessaires, plutôt que d’alimenter l’inflation carcérale.
L’article 1er prévoit donc la fermeture en un an du centre pénitentiaire de Nouméa, et l’article 2 prévoit dans le même temps de capacités d’accueil permettant d’éviter tout transfert de prisonnier hors de Kanaky‑Nouvelle‑Calédonie à l’occasion de cette fermeture.
L’article 3 prévoit un plan d’urgence pour mettre fin aux inégalités de traitement qui conduisent à un taux d’incarcération aussi élevé. L’article 4 interdit de transférer des détenus hors de Kanaky‑Nouvelle‑Calédonie, sauf s’ils en font eux‑mêmes la demande.
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proposition de loi
Article 1er
Le centre pénitentiaire de Nouméa, est fermé définitivement au plus tard douze mois après la promulgation de la présente loi.
Article 2
Le Gouvernement a pour objectif de mettre en service en Nouvelle‑Calédonie les capacités d’accueil pénitentiaires nécessaires. Ces établissements respectent les normes nationales et internationales relatives à la dignité humaine et à la sécurité.
Article 3
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement a pour objectif de mettre en place un plan d’urgence pour développer les alternatives à l’incarcération et refondre la politique pénale en Nouvelle‑Calédonie. Ce plan met fin aux discriminations et à la sévérité disproportionnée qui frappent les Kanak.
Article 4
Les personnes détenues ne peuvent être transférées dans des prisons hors de Nouvelle‑Calédonie, sauf si elles en font elles‑mêmes la demande.
Article 5
La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier de livre III du code des impositions sur les biens et services.