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N° 1879
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 septembre 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à défiscaliser les pensions alimentaires perçues et à lutter contre la précarité des familles monoparentales,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Sophia CHIKIROU, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La présente proposition de loi vise à mettre fin à une iniquité fiscale frappant les familles monoparentales, en défiscalisant les pensions alimentaires versées pour les enfants mineurs ou les enfants majeurs âgés de moins de vingt‑cinq ans poursuivant des études ou une formation professionnelle. Actuellement, le mécanisme de déduction pour le parent payeur et de taxation pour le parent bénéficiaire aboutit à pénaliser ce dernier – dans près de trois quarts des cas une mère – en diminuant ses ressources nettes et en réduisant potentiellement ses droits sociaux, alors même que la pension alimentaire ne permet pas de couvrir les besoins de l’enfant. En effet, la pension alimentaire versée par le parent non‑gardien, censée contribuer aux besoins fondamentaux de l’enfant (alimentation, logement, éducation, etc.), est de 190 euros par mois en moyenne, alors que le coût réel d’un enfant est estimé au minimum à 625 euros par mois.
Qui plus est, 82 % des familles monoparentales sont dirigées par des femmes et concentrent une part importante de la pauvreté infantile. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), 41 % des enfants de familles monoparentales vivent sous le seuil de pauvreté, contre 21 % pour l’ensemble des enfants. Il est socialement injuste que l’État aggrave cette précarité en considérant la pension comme un revenu imposable pour ces mères isolées, engendrant ainsi une double peine fiscale et sociale.
En parallèle, le parent débiteur, le plus souvent le père, bénéficie d’une niche fiscale qui lui permet de réduire son impôt en déclarant sa pension versée. Ce mécanisme, hérité d’une époque où l’on cherchait à équilibrer les ressources post‑divorce, apparaît aujourd’hui injuste et contre‑productif. Il peut encourager des stratégies d’optimisation et envoie un signal négatif en assimilant la contribution à l’enfant à une charge déductible, comme s’il s’agissait d’une prestation de service. L’enfant n’est pas un avantage fiscal, et il est temps que la loi en tire les conséquences.
La réforme proposée est simple et profondément redistributive : elle consiste à exonérer d’impôt sur le revenu les pensions perçues par le parent gardien pour un enfant mineur ou un enfant majeur poursuivant des études ou une formation, et à supprimer en contrepartie la déduction correspondante pour le parent non gardien. Ainsi, chaque parent assume sa contribution à l’enfant sans gain ni perte fiscale, ce qui rétablit l’égalité de traitement. Cette mesure bénéficiera directement aux ménages monoparentaux les plus modestes, souvent non imposables aujourd’hui mais qui peuvent le devenir du fait de la pension perçue. Elle permettra d’augmenter leur revenu disponible ou de les maintenir sous le seuil d’imposition, et donc d’améliorer leur pouvoir d’achat dédié aux besoins de leurs enfants. Elle évitera en outre que la perception d’une pension prive ces familles de certaines aides sociales sous condition de ressources.
Cette évolution fiscale n’a pas d’impact budgétaire significatif pour l’État. Le surcroît d’impôt acquitté aujourd’hui par les mères bénéficiaires est d’un volume équivalent à l’économie d’impôt dont bénéficient les pères débiteurs. Supprimer ces deux effets opposés n’affectera que marginalement les finances publiques, tout en ayant un impact considérable sur la vie des familles concernées. D’ailleurs, de nombreux pays ont déjà adopté ce régime neutre : par exemple, les États‑Unis et le Royaume‑Uni n’imposent pas les pensions alimentaires versées pour les enfants et ne les intègrent pas dans leur dispositif de déduction fiscale. La France gagnerait à s’aligner sur ces bonnes pratiques internationales et à devenir exemplaire dans la protection des familles monoparentales.
L’élargissement du dispositif aux enfants majeurs âgés de moins de vingt‑cinq ans poursuivant leurs études ou une formation professionnelle répond à une réalité sociale largement partagée : à cet âge, les enfants demeurent massivement à la charge de leurs parents. Cette dépendance économique prolongée résulte de la durée des études, de la faiblesse des revenus étudiants, du coût du logement, et de la précarité de l’emploi des jeunes. En moyenne, un étudiant reste financièrement dépendant de ses parents jusqu’à 23 ans. L’entretien d’un enfant majeur étudiant représente donc un effort réel et soutenu pour les parents gardiens. Il est juste que la contribution du parent non‑gardien ne soit pas fiscalisée durant cette période. La présente proposition acte ainsi la continuité de la solidarité parentale au‑delà de la majorité, dans un cadre fiscal plus équitable.
La proposition de loi prévoit également deux mesures complémentaires. La première consiste à rendre obligatoire une révision automatique annuelle des pensions alimentaires selon l’indice des prix à la consommation publié par l’INSEE. Cette disposition vise à garantir que la contribution versée par le parent non gardien ne perde pas de valeur au fil du temps, notamment dans les périodes de forte inflation. Jusqu’à présent, cette indexation dépend d’une clause d’indexation insérée dans la décision judiciaire ou la convention entre les parents, mais la codifier dans le Code civil rendrait la mesure automatique et systématique.
La seconde mesure vise à élargir les conditions d’attribution de l’allocation de soutien familial (ASF). Actuellement, l’ASF est versée uniquement dans les situations où l’enfant est privé de l’aide effective de l’un de ses parents : absence de pension alimentaire, pension impayée ou pension fixée d’un montant inférieur à celui de l’ASF. Elle joue ainsi un rôle de filet de sécurité pour environ 1,5 million d’enfants, en leur garantissant une contribution minimale d’entretien financée par la solidarité nationale.
Mais ce dispositif laisse aujourd’hui de côté des centaines de milliers de familles monoparentales qui, bien que percevant une pension alimentaire versée par l’autre parent, demeurent en dessous du seuil de pauvreté monétaire. En France, plus d’un tiers des familles monoparentales vivent sous ce seuil. La précarité atteint même 77 % des enfants de familles monoparentales lorsque le parent isolé est sans emploi. De plus, le taux de précarité des familles monoparentales après transferts sociaux et fiscaux dépasse les 34 % aujourd’hui.
C’est pourquoi la présente proposition de loi introduit donc un nouveau motif d’ouverture du droit à l’ASF, fondé sur le revenu fiscal de référence du foyer. Ainsi, tout enfant dont le père ou la mère allocataire vit dans un foyer dont le revenu fiscal de référence est inférieur au seuil de pauvreté monétaire, défini à 60 % du revenu médian par l’INSEE, pourra ouvrir droit une ASF complémentaire. L’objectif : faire de l’ASF non seulement une allocation de substitution ou de complément de pension, mais aussi une véritable allocation universelle de lutte contre la pauvreté infantile.
En conséquence, l’article 1er modifie le code général des impôts pour défiscaliser les pensions alimentaires perçues au titre d’un enfant mineur ou d’un enfant majeur âgé de moins de vingt‑cinq ans poursuivant ses études ou une formation, et pour supprimer la possibilité pour le parent débiteur de les déduire de ses revenus imposables.
L’article 2 modifie le code civil pour instaurer une révision automatique annuelle du montant des pensions alimentaires, selon l’évolution de l’indice des prix à la consommation.
L’article 3 crée un nouveau motif d’attribution de l’allocation de soutien familial dans le code de la sécurité sociale, afin de permettre le versement d’une allocation complémentaire aux familles monoparentales à faibles revenus.
L’article 4 prévoit une disposition de compensation financière afin de respecter les exigences de l’article 40 de la Constitution.
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proposition de loi
Article 1er
I. – La section II du chapitre premier du titre premier de la première partie du livre premier du code général des impôts est ainsi modifiée :
1° L’article 80 septies est ainsi modifié :
a) Au début, est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Les pensions alimentaires reçues au titre de la contribution à l’entretien et à l’éducation d’un enfant mineur ou d’un enfant majeur âgé de moins de vingt‑cinq ans poursuivant ses études ou en formation professionnelle ne sont pas soumises à l’impôt sur le revenu. » ;
b) À la fin de la première phrase, les mots : « dans les limites admises pour leur déduction » sont supprimés ;
2° Le 2° du II de l’article 156 est ainsi rédigé :
« 2° À compter du 1ᵉʳ janvier 2026, aucune déduction ne peut être effectuée au titre des pensions alimentaires versées pour l’entretien et l’éducation des enfants mineurs ou des enfants majeurs âgés de moins de vingt‑cinq ans poursuivant leurs études ou en formation professionnelle, lorsque ces enfants ne sont pas comptés à charge pour le calcul du quotient familial du contribuable. »
II. – Les dispositions du I s’appliquent à l’imposition des revenus de l’année 2026 et des années suivantes.
Article 2
Après le premier alinéa du IV de l’article 373‑2‑2 du code civil, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le montant de la pension est révisé de plein droit, chaque année, à la date anniversaire de la décision, convention, ou acte qui l’a fixée. La revalorisation est proportionnelle à l’évolution, entre l’indice de référence et l’indice de révision, de l’indice des prix à la consommation hors tabac publié par l’Institut national de la statistique et des études économiques. Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application de cette revalorisation ainsi que les modalités d’information des parties. »
Article 3
Après le 4° de l’article 523‑1 du code de la sécurité sociale, il est inséré un 5° ainsi rédigé :
« 5° Tout enfant dont le père ou la mère allocataire justifie d’un revenu fiscal de référence du foyer inférieur au seuil de pauvreté monétaire défini par l’Institut national de la statistique et des études économiques. Dans ce cas, une allocation de soutien familial complémentaire est versée. Les modalités d’application du présent 5° sont fixées par décret en Conseil d’État. »
Article 4
I. – La perte de recettes pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
II. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.