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N° 1887
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 septembre 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à lutter contre le financement occulte des campagnes électorales,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Emmanuel DUPLESSY, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Pouria AMIRSHAHI, Mme Christine ARRIGHI, Mme Clémentine AUTAIN, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, Mme Lisa BELLUCO, M. Karim BEN CHEIKH, M. Benoît BITEAU, M. Arnaud BONNET, M. Nicolas BONNET, M. Alexis CORBIÈRE, M. Hendrik DAVI, M. Charles FOURNIER, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Damien GIRARD, M. Steevy GUSTAVE, Mme Catherine HERVIEU, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Julie LAERNOES, M. Tristan LAHAIS, M. Benjamin LUCAS-LUNDY, Mme Julie OZENNE, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, Mme Sandrine ROUSSEAU, M. François RUFFIN, Mme Eva SAS, Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Danielle SIMONNET, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Boris TAVERNIER, M. Nicolas THIERRY, Mme Dominique VOYNET, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Karine LEBON, Mme Mereana REID ARBELOT, Mme Constance DE PÉLICHY, Mme Christine PIRÈS BEAUNE,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Plusieurs affaires judiciaires récentes ont mis en lumière les failles persistantes de notre législation en matière de financement électoral. Le procès en cours relatif aux soupçons de financement libyen de la campagne présidentielle de 2007 de M. Nicolas Sarkozy fait figure d’exemple. Dans cette affaire, l’ancien chef de l’État et son entourage sont prévenus d’avoir bénéficié de financements occultes en violation flagrante des règles de probité et de transparence électorale. Le débat judiciaire a montré combien les dispositifs actuels de contrôle pouvaient être contournés, que ce soit par des flux financiers opaques, des contributions en espèces, ou encore par des lacunes dans l’encadrement des activités de campagne.
Mais M. Nicolas Sarkozy n’est pas le seul à être inquiété par de telles pratiques. L’enquête visant le milliardaire ultra‑conservateur M. Pierre‑Édouard Stérin, soupçonné d’avoir contourné la législation en recourant à des intermédiaires pour financer des formations politiques, a montré les limites du système actuel tout comme l’ont fait les multiples affaires qui concernent des membres du Rassemblement national, mêlant soupçons de financement étranger et sociétés‑écrans.
Ces dérives portent atteinte à l’intégrité de notre démocratie. Le financement des campagnes électorales doit obéir à des règles strictes, garantissant l’égalité entre les candidats et la transparence vis‑à‑vis des citoyens. Lorsque ces règles sont contournées, c’est la confiance publique dans nos institutions qui s’effrite.
Une réforme d’ensemble du financement de la vie politique, accompagnée d’un renforcement substantiel des moyens et des pouvoirs de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), apparaît nécessaire. Elle devrait viser à accroître l’égalité entre candidates et candidats, ainsi qu’entre partis politiques, en permettant au plus grand nombre de citoyennes et de citoyens de contribuer au financement des formations qu’ils soutiennent, sans que seuls les plus aisés bénéficient des dispositifs existants. Une telle réforme, qui impliquerait notamment une révision du plafond des dons et des mécanismes fiscaux incitatifs, a été proposée par l’économiste Mme Julia Cagé et mériterait d’être discutée.
Ces évolutions structurelles relèvent toutefois d’un chantier global, qui excède le cadre de la présente proposition de loi. Celle‑ci poursuit deux objectifs précis, développés dans ses deux chapitres : prévenir le financement opaque des campagnes électorales et renforcer le contrôle de leur financement à moyens constants.
L’article 1er tend à renforcer la traçabilité du financement des campagnes électorales en abaissant de 150 à 50 euros le seuil au‑delà duquel les dons consentis à un candidat ou à un parti devront être effectués par chèque, virement, prélèvement automatique ou carte bancaire. La grande majorité des contributions devra ainsi transiter par des moyens de paiement contrôlables.
Dans le même esprit, l’article prévoit la publication de l’identité des principaux donateurs, afin de prévenir toute influence indue et de renforcer la confiance des citoyens dans la vie politique. Seront ainsi concernés les donateurs dont les contributions dépassent 2 300 euros lorsqu’elles sont destinées au financement d’un candidat à une élection, et 3 750 euros lorsqu’elles bénéficient à un parti politique. Déjà appliqués dans plusieurs États européens, comme le Portugal, l’Italie ou l’Allemagne, de tels dispositifs rapprochent la France des standards internationaux de transparence.
L’article 2 tend à limiter l’usage des espèces dans le cadre des campagnes électorales. Il prohibe le versement en espèces des rémunérations des salariés employés pour la campagne ainsi que des prestations de services y afférentes. Il exclut également du remboursement par l’État les dépenses électorales réglées en espèces.
L’article 3 renforce les pouvoirs d’investigation de la CNCCFP en l’habilitant, d’une part, à recevoir de TRACFIN (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) les informations dont il dispose et, d’autre part, à accéder au fichier des comptes bancaires et assimilés (FICOBA). Ces prérogatives, déjà reconnues à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, permettront à la CNCCFP de mieux vérifier l’origine des fonds apportés par les donateurs.
L’article 4 renforce le rôle de contre‑pouvoir démocratique des associations anticorruption en leur permettant, lorsqu’elles sont agréées en vertu de l’article 2‑23 du code de procédure pénale, de se constituer partie civile dans les affaires de financement illégal de campagne électorale et d’associations de malfaiteurs portant sur des infractions à la probité. Ces associations disposent déjà de cette faculté pour des infractions proches, telles que la corruption, le trafic d’influence ou le détournement de fonds publics.
L’article 5 propose d’expertiser la mise en place d’un contrôle en temps réel des comptes de campagne par la CNCCFP. L’exemple de l’élection présidentielle de 2022, dont les comptes n’ont été rendus publics qu’en mars 2024, illustre les limites du dispositif actuel et le manque de transparence qui en découle. Une publication en temps réel, ou à fréquence régulière, des dépenses engagées par les partis en soutien à un candidat permettrait de prévenir les abus, de renforcer la confiance citoyenne et de faciliter l’instruction des comptes par la Commission. L’expertise sollicitée par l’article 5 porte également sur la création d’un droit d’accès à la comptabilité des partis politiques pendant l’instruction des comptes de campagne.
À travers ces dispositions, la proposition de loi vise à remédier aux lacunes révélées par les affaires récentes, en consolidant la probité et la transparence du financement électoral. Elle constitue une première réponse aux attentes croissantes des citoyens en matière d’intégrité publique et de moralisation de la vie politique.
Cette proposition de loi a été travaillée en lien avec Transparency International France. Elle est complétée par une proposition de loi organique afin que ces dispositions trouvent également à s’appliquer à la campagne présidentielle.
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proposition de loi
CHAPITRE IER
PRÉVENIR LE FINANCEMENT OCCULTE DES CAMPAGNES ÉLECTORALES
I. – L’article L. 52‑8 du code électoral est ainsi modifié :
1° Au troisième alinéa, le nombre : « 150 » est remplacé par le nombre : « 50 » ;
2° Avant le dernier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’identité des personnes physiques ayant consenti à un candidat un ou plusieurs dons dont le montant total excède la moitié du montant prévu au premier alinéa du présent article est rendue publique par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Cette publication intervient dans un délai d’un an suivant l’élection concernée. »
II. – L’article 11‑4 de la loi n° 88‑227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique est ainsi modifié :
1° Au cinquième alinéa, le nombre : « 150 » est remplacé par le nombre : « 50 » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« L’identité des personnes physiques ayant consenti à un parti ou groupement politique un ou plusieurs dons dont le montant total excède la moitié du montant prévu au premier alinéa du présent article est rendue publique par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Cette publication intervient dans un délai d’un an suivant l’élection concernée. »
Le chapitre V bis du titre Ier du livre Ier du code électoral est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 52‑10, il est inséré un article L. 52‑10‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 52‑10‑1. – Les rémunérations des salariés et les prix des prestations de service auxquels il est fait appel au titre de la campagne électorale sont payés par chèque barré ou par virement à un compte bancaire ou postal dont le salarié ou le prestataire de service est le titulaire ou le cotitulaire. » ;
2° La seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 52‑11‑1 est complétée par les mots : « et ne peut porter sur des dépenses réglées en espèces ».
CHAPITRE II
RENFORCER LE CONTRÔLE DU FINANCEMENT DES CAMPAGNES ÉLECTORALES
Article 3
I. – L’article L. 52‑14 du code électoral est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les agents de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques individuellement désignés et habilités selon les modalités fixées par décret sont autorisés, dans la limite des dérogations à la règle du secret professionnel prévues par la loi, à demander et à recevoir communication des informations gérées par le fichier des comptes bancaires et assimilés pour les besoins de l’accomplissement de leurs missions. » ;
II. – Après le 2° de l’article L. 561‑31 du code monétaire et financier, il est inséré un 2° bis ainsi rédigé :
« 2° bis À la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ; ».
L’article 2‑23 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Au 4°, après la référence : « L. 109 », sont insérés les mots : « et aux I, III et V de l’article L.113‑1 » ;
2° Après le même 4°, il est inséré un 5° ainsi rédigé :
« 5° L’association de malfaiteurs, réprimée à l’article 450‑1 du code pénal, lorsqu’elle porte sur la préparation des infractions mentionnées aux 1°, 2° et 4° du présent article. »
Article 5
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant la faisabilité et les modalités de mise en place d’un dispositif de publication et de contrôle en temps réel des comptes de campagnes géré par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Ce rapport porte également sur la faisabilité technique et juridique de la création d’un droit d’accès à la comptabilité des partis politiques pendant l’instruction des comptes de campagne.