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N° 1913
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2025.
PROPOSITION DE LOI
relative au droit de visite des parlementaires et des bâtonniers dans les lieux de privation de liberté,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Pouria AMIRSHAHI, Mme Elsa FAUCILLON, Mme Clémentine AUTAIN, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, Mme Lisa BELLUCO, M. Karim BEN CHEIKH, M. Arnaud BONNET, M. Nicolas BONNET, M. Mickaël BOULOUX, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Philippe BRUN, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Michel CASTELLANI, M. Jean-Victor CASTOR, M. Vincent CAURE, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Arthur DELAPORTE, Mme Dieynaba DIOP, M. Peio DUFAU, M. Emmanuel DUPLESSY, M. Romain ESKENAZI, M. Denis FÉGNÉ, M. Charles FOURNIER, Mme Martine FROGER, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Damien GIRARD, M. Guillaume GOUFFIER VALENTE, M. Emmanuel GRÉGOIRE, M. Steevy GUSTAVE, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Florence HEROUIN-LÉAUTEY, Mme Catherine HERVIEU, Mme Céline HERVIEU, M. Sacha HOULIÉ, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Julie LAERNOES, M. Stéphane LENORMAND, Mme Pauline LEVASSEUR, M. Laurent LHARDIT, M. Benjamin LUCAS-LUNDY, Mme Estelle MERCIER, M. Marcellin NADEAU, Mme Julie OZENNE, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, Mme Marie POCHON, M. Richard RAMOS, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, Mme Sandrine ROUSSEAU, M. Nicolas SANSU, Mme Eva SAS, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Danielle SIMONNET, M. Thierry SOTHER, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Boris TAVERNIER, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, M. Nicolas THIERRY, M. Stéphane VIRY, Mme Dominique VOYNET,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes donne aux députés et sénateurs le droit de visiter à tout moment, sans déclaration préalable, les locaux de garde à vue, les centres de rétention, les zones d’attente et les établissements pénitentiaires. Ce droit a ensuite été étendu aux députés européens élus en France par la loi pénitentiaire de 2009.
Ce droit de visite a, par la suite, été élargi aux centres éducatifs fermés par la loi du 17 avril 2015 qui a également ouvert la possibilité aux parlementaires d’être accompagnés par des journalistes lors de leurs visites, à l’exception de celles concernant des locaux de garde à vue. La loi du 27 septembre 2013 organise quant à elle un droit de visite semblable pour les établissements de santé chargés d’assurer les soins psychiatriques sans consentement.
Enfin, depuis le 24 décembre 2021, les bâtonniers sur leur ressort ou leur délégué spécialement désigné au sein du conseil de l’ordre peuvent visiter à tout moment les locaux de garde à vue, les locaux des retenues douanières, les lieux de rétention administrative, les zones d’attente, les établissements pénitentiaires et les centres éducatifs fermés. Les établissements de santé ne sont quant à eux pas englobés dans le droit de visite des bâtonniers.
La reconnaissance progressive de ces prérogatives de droit de visite, couplée à la création depuis 2007 de la fonction de contrôleur général des lieux de privation de liberté, a bouleversé l’opacité des lieux d’enfermement et ancré un droit de regard des parlementaires, puis de la société civile, sur les conditions d’exécution des privations de liberté. Le droit de visite participe ainsi à l’amélioration des conditions de privation de liberté et de dialogue avec les administrations concernées.
Toutefois, les lieux de privation de liberté situés au sein des tribunaux judiciaires et des cours d’appel ne figurent pas au nombre de ceux pouvant faire l’objet de ce droit de visite à l’article 719 du code de procédure pénale. Ainsi, le 9 avril 2024, alors que la bâtonnière de Rennes souhaite accéder aux geôles du tribunal judiciaire de son ressort, le palais de justice lui oppose un refus d’accès. Saisi de cette difficulté, le tribunal administratif de Rennes a transmis au Conseil d’État une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) critiquant l’absence de référence des geôles.
Dans sa décision n° 2025‑1134 QPC du 29 avril 2025, le Conseil constitutionnel déclare contraire au principe d’égalité devant la loi le premier alinéa de l’article 719 du code de procédure pénale au motif qu’il n’étend pas l’exercice du droit de visite ouvert aux bâtonniers et aux parlementaires dans les lieux de privation de liberté aux « geôles et dépôts » des juridictions judiciaires.
Il relève que l’objet de la loi était d’instaurer, en faveur de certaines autorités, un droit de visite des lieux où une personne est privée de liberté « dans le cadre d’une procédure pénale ou administrative ». Il constate qu’à cet égard, les dispositions contestées n’ont cependant pas permis l’exercice de ce droit de visite dans les geôles et dépôts situés au sein des juridictions judiciaires où des personnes sont maintenues à la disposition de la justice, dans l’attente de leur présentation à un magistrat ou à une formation de jugement, à l’occasion de telles procédures.
Le Conseil constitutionnel en déduit que la différence de traitement instaurée entre les personnes maintenues dans les geôles et dépôts ne bénéficiant pas du droit de visite et les autres personnes privées de liberté dans le cadre d’une procédure pénale ou administrative est sans rapport avec l’objet de loi. Il en résulte donc une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.
Afin de permettre au législateur de remédier à cette inconstitutionnalité, il a reporté au 30 avril 2026 la date de l’abrogation des dispositions censurées.
Cette proposition de loi vise à remédier à cette inconstitutionnalité, préserver et sécuriser le droit de visite des lieux de privation de liberté.
L’article unique de la proposition de loi procède à cet effet à plusieurs modifications.
En premier lieu, afin de prévenir toute nouvelle censure du Conseil constitutionnel, il remplace la liste limitative des lieux concernés par une formulation générale englobant tout lieu où une personne est privée de sa liberté « dans le cadre d’une procédure pénale ou administrative ». Ce faisant, il reprend la formulation issue de la décision du Conseil constitutionnel.
En deuxième lieu, dans un objectif d’égalité entre toutes les personnes privées de liberté, il supprime l’exception prévue au deuxième alinéa de l’article 719 du code de procédure pénale, qui interdit la présence de journalistes lors des visites de locaux de garde à vue. Le texte conserve toutefois le renvoi au pouvoir réglementaire pour fixer le nombre de journalistes autorisés à accompagner ces visites.
En troisième lieu, sans remettre en cause les autres modalités déjà mises en œuvre pour l’exercice du droit de visite, l’article unique entérine la pratique de l’administration pénitentiaire en sécurisant le droit pour les autorités habilitées de se faire accompagner d’au moins une personne.
En dernier lieu, en cohérence avec l’extension du périmètre des lieux concernés, l’article unique précise dans le code de la santé publique que les bâtonniers bénéficient également du droit de visiter les établissements psychiatriques assurant des soins sans consentement.
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proposition de loi
Article unique
I. – L’article 719 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° À la fin du premier alinéa, les mots : « les locaux de garde à vue, les locaux des retenues douanières définies à l’article 323‑1 du code des douanes, les lieux de rétention administrative, les zones d’attente, les établissements pénitentiaires et les centres éducatifs fermés mentionnés à l’article L. 113‑7 du code de la justice pénale des mineurs », sont remplacés par les mots : « les lieux où des personnes sont privées de leur liberté dans le cadre d’une procédure pénale ou administrative » ;
2° Le second alinéa est ainsi modifié :
a) Au début, les mots : « À l’exception des locaux de garde à vue » sont supprimés ;
b) Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Ils peuvent être accompagnés d’au moins un collaborateur parlementaire ou d’un administrateur des services des assemblées. » ;
3° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Les bâtonniers ou leur délégué spécialement désigné peuvent être accompagnés d’au moins un avocat préalablement désigné au sein du conseil de l’ordre. »
II. – L’article L. 3222‑4‑1 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Après le mot : « France », sont insérés les mots : « , les bâtonniers sur leur ressort ou leur délégué spécialement désigné au sein du conseil de l’ordre » ;
2° Sont ajoutés les mots : « dans les conditions de l’article 719 du code de procédure pénale ».