N° 1915
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à abroger le délit d’association de malfaiteurs,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Romain DAUBIÉ,
député.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Robert Badinter n’a pas seulement été l’artisan de l’abolition de la peine de mort ; il a incarné, plus que tout autre garde des Sceaux de la Ve République, l’idée qu’un droit pénal digne d’un État de droit, doit protéger la société sans renier ses principes. Abolition de la peine capitale ([1]), dépénalisation de l’homosexualité ([2]), amélioration de la situation des victimes d’accidents de circulation ([3]) : chacune de ses réformes est devenue un jalon de notre pacte républicain. Badinter n’a jamais confondu fermeté et suspicion généralisée.
Dans ce même esprit, la loi n° 83‑466 du 10 juin 1983, portée par Robert Badinter alors ministre de la justice du gouvernement de Pierre Mauroy, avait supprimé du Code pénal le délit d’ » association de malfaiteurs », anciennement codifiée aux articles 265 à 268 du code pénal.
L’association de malfaiteurs est une infraction‑obstacle : elle permet d’engager la responsabilité pénale d’un individu même en l’absence de commission de l’infraction projetée. Cette incrimination est particulièrement puissante et sensible en matière de libertés publiques : elle autorise des poursuites à un stade anticipé, ce qui peut donner lieu à des abus. Ce délit favorise, à titre d’exemple, la criminalisation de l’intention dépourvue d’une action. Ainsi, cela criminalise plutôt des intentions collectives que des actes accomplis.
Trois ans plus tard, dans un contexte d’attentats et de forte émotion publique, le gouvernement dirigé par Jacques Chirac a choisi par la loi n° 86‑1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme et les atteintes à la sureté de l’État, de réintroduire cette incrimination. Aujourd’hui codifiée aux articles 450‑1 à 450‑3 du code pénal, elle s’applique bien au‑delà du champ antiterroriste, devenant un instrument polyvalent de poursuites.
Quarante ans après, le bilan est sans appel : l’association de malfaiteurs est devenue un outil à géométrie variable qui abaisse le seuil probatoire, brouille la distinction entre acte préparatoire et infraction consommée et peut servir à viser des réseaux, collectifs ou mouvements dont la participation effective à une infraction n’est pas établie. Cette situation interroge au regard des principes constitutionnels et conventionnels : nécessité des incriminations, liberté d’association.
La présente proposition de loi entend renouer avec l’esprit de 1983, elle abroge à nouveau l’incrimination d’association telle qu’elle résulte de la loi de 1986. Conformément au principe d’application immédiate de la loi pénale plus douce, dite rétroactivité in mitius, les poursuites en cours fondées sur cette incrimination devront être abandonnées ou requalifiées. Il s’agit de rétablir une frontière claire entre la répression des crimes et délits effectivement commis d’une part, et d’autre part, la pénalisation d’intentions supposées.
Cette démarche n’est ni une amnistie, ni une naïveté : les infractions préparatoires spécifiques prévues par d’autres textes, notamment en matière de terrorisme, demeurent inchangées et permettre de poursuivre les auteurs d’actes réels et caractérisés. Mais il n’appartient pas à notre droit pénal de faire peser la menace de la prison sur de simples ententes ou sur des personnes dont la participation effective à une infraction n’a pas été démontrée.
En abrogeant l’association de malfaiteurs, cette proposition de loi se place dans la continuité d’un héritage : celui d’un droit pénal ferme mais juste garant des libertés publiques. Elle affirme qu’en République, l’efficacité répressive ne doit jamais se construire au prix de principes fondamentaux. C’est l’héritage de Robert Badinter que cette réforme entend faire vivre.
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proposition de loi
Article 1er
Le titre V du livre IV du code pénal est ainsi modifié :
1° À l’intitulé, les mots : « De la participation à une association de malfaiteurs et » sont supprimés ;
2° L’article 450‑1 est abrogé ;
3° Au premier alinéa de l’article 450‑1‑1, les mots : « toute association de malfaiteurs » sont remplacés par les mots : « tout groupement d’individus ».
Article 2
Conformément au principe de rétroactivité in mitius prévu à l’article 112‑1 du code pénal et à l’article 8 de la Déclaration du 26 août 1789 des droits de l’homme et du citoyen, l’abrogation prévue à l’article premier de la présente loi est applicable aux infractions commises antérieurement à l’entrée en vigueur de la présente loi et aux procédures en cours.
Les poursuites engagées avant l’entrée en vigueur de la présente loi sur le fondement des articles abrogés sont éteintes. Les condamnations non définitives prononcées sur ce fondement sont annulées de plein droit.
[1] Loi n°81-908 du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort.
[2] Loi n°82-683 du 4 août 1982 portant abrogation de l’article 331 du Code pénal.
[3] Loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation.