N° 1917
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2025.
PROPOSITION DE LOI
pour une reconnaissance stratégique et un développement simplifié de l’œnotourisme,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Pascale GOT,
députée.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La viticulture française traverse une crise extrêmement profonde. Recul de la consommation, incertitudes sur les exportations et hausse des droits de douane, flambée des coûts de production, aléas climatiques à répétition, pénurie de main‑d’œuvre, complexité réglementaire : autant de facteurs qui fragilisent durablement la filière. Ces difficultés à la fois conjoncturelles et structurelles pèsent sur la rentabilité des exploitations, provoquant la fermeture de nombreux domaines, notamment dans les bassins les plus vulnérables. Les multiples arrachages de vignes, encouragés par l’État, sont le symbole alarmant de cette perte de viabilité et du déséquilibre du marché viticole.
Dans ce contexte, la diversification des activités agricoles constitue un levier essentiel de résilience. Transformation, vente directe, accueil touristique : autant de voies qui participent à redonner du souffle à l’économie viticole et retisser du lien entre exploitants, territoires et consommateurs. L’œnotourisme, en particulier, s’impose aujourd’hui comme un secteur d’avenir à conforter, conjuguant valorisation patrimoniale, attractivité touristique et retombées économiques locales.
En 2024, 12 millions de visiteurs ont participé à des activités œnotouristiques en France, générant un chiffre d’affaires estimé à plus de 5 milliards d’euros. Ce secteur fédère 10 000 domaines ouverts au public, mobilise fortement collectivités, interprofessions et acteurs du tourisme rural et culturel. Il contribue au maintien de l’emploi, à la transmission des savoir‑faire, à la préservation des paysages, et au rayonnement international des terroirs viticoles.
La richesse de l’œnotourisme reflète celle de nos vignobles : vendanges touristiques, visites de caves et de châteaux, dégustations au caveau et dans des lieux dédiés, itinérances type « route des vins », balades et randonnées dans les vignes, fêtes et événements culturels, stages, conférences, vinothérapie, tourisme d’affaires autour du vin… Cette diversité témoigne de l’attente croissante du public et de la créativité des acteurs de terrain.
Malgré ce potentiel, les freins sont pluriels : complexité administrative, rigidité des règles d’urbanisme, absence de données fiables et de pilotage stratégique. Ces contraintes pèsent particulièrement sur les exploitants indépendants et sur les territoires ruraux en difficulté.
Conscient de ces enjeux, le Conseil interministériel du tourisme a, lors de sa réunion du 24 juillet 2025, intégré le développement de l’œnotourisme parmi les priorités nationales. La feuille de route présentée vise à faire de la France la première destination œnotouristique d’Europe. Le Conseil supérieur de l’œnotourisme y appelle à lever les verrous réglementaires et à structurer le secteur autour de trois piliers : reconnaissance législative, simplification des démarches, accompagnement territorial.
Face à la montée en puissance de nos voisins européens, la France doit s’affirmer. À titre de comparaison, l’Italie a mis en place dès 2017 un cadre juridique national pour structurer l’œnotourisme. Cette loi n° 205 du 27 décembre 2017 reconnaît explicitement cette activité comme une activité agricole complémentaire. Elle la définit comme l’ensemble des prestations d’accueil, d’information, de dégustation et de valorisation culturelle liées au vin, réalisées dans les lieux de production, y compris en lien avec des produits agroalimentaires locaux. Un décret ministériel en mars 2019 a précisé les modalités de déclaration administrative simplifiée et les standards de qualité attendus. Ce cadre a permis de structurer une offre lisible, accessible et encadrée, sans complexité excessive pour les exploitants. Il a encouragé la fréquentation touristique des territoires viticoles italiens, et facilité la coordination entre exploitants, collectivités et filières du tourisme.
Il est temps pour notre pays de franchir ce cap, en inscrivant l’œnotourisme dans la loi, afin de structurer et renforcer son développement dans nos territoires.
C’est l’ambition de cette proposition de loi, articulée autour de deux volets complémentaires :
1. Une reconnaissance juridique et stratégique de l’œnotourisme, avec l’introduction d’une définition claire dans le code du tourisme et la création d’un baromètre annuel destiné à faciliter le pilotage des politiques publiques en la matière (articles 1et 2) ;
2. Des mesures ciblées de simplification et clarification de règles d’urbanisme, attendues par les élus locaux, les professionnels et les porteurs de projet (articles 3 et 4).
Ce texte a été élaboré à partir des retours d’expérience de collectivités, d’acteurs viticoles, de professionnels du tourisme et d’interprofessions. Il vise à sécuriser les pratiques existantes, et à faciliter les projets locaux, dans un cadre respectueux des équilibres agricoles et paysagers.
L’article 1er introduit, dans le code du tourisme, une définition juridique de l’œnotourisme. Cette reconnaissance est souhaitable : elle clarifie le périmètre de l’activité, améliore la lisibilité des dispositifs publics, facilite la coordination des acteurs et sécurise juridiquement les initiatives territoriales. La définition proposée – insérée après l’article L.121‑1 relatif aux missions de l’État en matière touristique – couvre les activités de visite, de découverte, de dégustation, ainsi que les actions culturelles et événementielles liées au vin, à la vigne, au paysage viticole et aux savoir‑faire associés. Elle reflète la nature hybride de l’œnotourisme, à l’intersection des politiques agricoles, touristiques et culturelles, tout en l’inscrivant dans la stratégie portée par Atout France et les collectivités.
L’article 2 inscrit dans les missions d’Atout France la réalisation d’un baromètre annuel de l’œnotourisme. Aujourd’hui, nous ne disposons pas de suivi national régulier assez ciblé pour évaluer l’offre, la fréquentation ou les retombées économiques du secteur. Cette carence freine les investissements, complique la mobilisation des aides publiques, et gêne l’adaptation des offres touristiques. Le baromètre visera à mesurer les flux de visiteurs, les typologies d’activités, les profils de clientèle, les impacts économiques, environnementaux et sociaux. Il intégrera également un état des lieux des formations et des dispositifs d’accompagnement favorisant l’acquisition, par les viticulteurs et les professionnels, des compétences utiles au développement et à la conduite de projets œnotouristiques. Réalisé en coopération avec les réseaux existants (Conseil supérieur de l’œnotourisme, interprofessions, agences régionales et départementales, etc.), ce baromètre contribuera à outiller les politiques publiques et à renforcer la visibilité du secteur. Il sera diffusé largement auprès des collectivités locales, des filières professionnelles, des organismes consulaires et des partenaires institutionnels, afin de crédibiliser, rassurer, fiabiliser et favoriser le pilotage, la coordination et l’investissement stratégique dans les territoires viticoles.
L’article 3 introduit une dérogation encadrée au code de l’urbanisme afin de permettre le développement de projets œnotouristiques dans les exploitations viticoles. L’objectif est de donner aux maires la possibilité d’autoriser, pour une durée maximale de cinq ans, des aménagements compatibles avec l’activité agricole et la préservation des paysages.
Cette faculté est réservée aux seuls exploitants agricoles, afin d’éviter que des opérateurs extérieurs, notamment des fonds d’investissement, ne détournent ce dispositif pour développer des projets spéculatifs sans lien réel avec la filière. La priorité est de soutenir les exploitants eux‑mêmes, en particulier les plus modestes, en leur offrant une opportunité de diversification et un complément de revenu dans une période de crise profonde de la viticulture.
Afin de sécuriser la décision du maire et de garantir l’équilibre entre attractivité touristique, préservation du foncier agricole et protection des paysages, l’autorisation sera soumise aux avis de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) et de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS). L’expertise de ces instances permettra d’éclairer les élus municipaux lors de leur délibération.
Le caractère temporaire de l’autorisation a un double objectif : D’une part, ne pas déroger de manière permanente aux règles générales du code de l’urbanisme et laisser le temps aux maires d’adapter la planification locale, afin d’y inscrire le projet et de le pérenniser dans le respect des dispositions des articles L. 151‑11 et suivants. D’autre part, protéger les élus en réduisant les risques de pressions politiques ou économiques, et en leur permettant de revenir sur leur décision si le projet s’avère inadapté ou détourné de sa vocation initiale.
Enfin, un décret en Conseil d’État précisera les conditions de compatibilité avec les règles applicables en matière de sécurité, d’accessibilité et de capacité d’accueil, afin de garantir la protection du public tout en tenant compte des caractéristiques agricoles, architecturales et paysagères des sites concernés.
L’article 3 répond ainsi à une logique d’urgence face à la crise viticole : il offre aux exploitants agricoles une solution immédiate pour leur permettre de développer une activité œnotouristique, sans attendre les délais souvent très longs d’évolution des documents d’urbanisme. En complément, l’article 4 sécurise et structure l’œnotourisme dans la planification urbaine, afin de donner à ces projets une base stable et pérenne.
L’article 4 vise en effet à préciser le champ d’application du II de l’article L. 151‑11 du code de l’urbanisme en inscrivant les activités œnotouristiques dans la catégorie des activités constituant le prolongement de l’acte de production, à l’instar de l’Italie.
En l’état actuel du droit, la jurisprudence exige que les aménagements réalisés en zone agricole présentent un lien direct avec l’exploitation pour être considérés comme nécessaires à l’activité agricole. Ainsi, des projets de gîtes ou de chambres d’hôtes portés par des exploitants n’ont pas été autorisés, au motif qu’ils ne pouvaient pas être qualifiés de prolongement de l’acte de production, quand bien même les ressources issues de ces activités contribuaient à l’équilibre économique de l’exploitation. La simple qualité d’exploitant agricole ne suffit pas : il faut démontrer une complémentarité fonctionnelle entre l’activité d’accueil et l’activité agricole.
Or, l’œnotourisme répond précisément à cette exigence. Il est indissociablement lié à l’exploitation viticole puisqu’il consiste à faire découvrir la vigne, le vin, le patrimoine paysager et les savoir‑faire qui en découlent. Inscrire explicitement les activités œnotouristiques dans le champ de l’article L. 151‑11 permet donc de lever toute ambiguïté juridique et de sécuriser les projets portés par les exploitants. L’avis de la CDPENAF assure un encadrement solide et un équilibre entre développement touristique, maintien de l’activité agricole et préservation des paysages.
L’articulation entre les articles 3 et 4, en combinant une mesure d’urgence et une réforme structurelle, garantit à la fois l’efficacité immédiate de la proposition de loi et son inscription durable dans le droit commun.
L’article 5 gage la proposition de loi.
Cette proposition de loi ne prétend pas épuiser l’ensemble des problématiques liées à l’œnotourisme. Elle constitue néanmoins une première étape structurante : elle dote la filière d’un socle juridique clair, facilite les initiatives locales, et reconnait l’œnotourisme comme un levier stratégique de développement rural, patrimonial et économique.
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proposition de loi
Article 1er
Le chapitre 1er du titre II du livre Ier du code du tourisme est complété par un article L.121‑1‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 121‑1‑1. – L’œnotourisme désigne l’ensemble des activités touristiques, culturelles, pédagogiques et événementielles ayant pour objet la découverte du vin, de la vigne, des exploitations vitivinicoles, des savoir‑faire liés à la production, ainsi que des terroirs, et du patrimoine paysager, gastronomique et culturel qui leur est associé. »
Article 2
Au cinquième alinéa de l’article L. 141‑2 du code du tourisme, après la seconde occurrence du mot : « touristiques », sont insérés les mots : « , élaborer un baromètre œnotouristique annuel permettant notamment d’évaluer les impacts économiques, sociaux et culturels de ces activités sur les territoires viticoles, ainsi que de dresser un état des lieux de l’offre de formation et des dispositifs d’accompagnement des viticulteurs et des professionnels ».
Article 3
Après l’article L. 111‑3 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 111‑3‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 111‑3‑1. – Par dérogation aux dispositions du chapitre Ier du titre V du livre Ier du code de l’urbanisme, le maire peut autoriser l’exploitant agricole, après avis de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers et l’avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites, et délibération du conseil municipal, pour une durée maximale de cinq ans, les constructions, installations et changements de destination de bâtiments nécessaires au développement d’une activité définie à l’article L. 121‑1‑1 du code du tourisme, dès lors qu’ils sont situés sur l’unité foncière et qu’ils ne compromettent ni l’activité agricole ni l’unité paysagère et patrimoniale du site.
« Les projets d’aménagement et leur exposé des motifs sont mis à disposition du public en mairie pendant une durée minimale de trente jours, dans des conditions lui permettant de formuler ses observations. Celles‑ci sont enregistrées et conservées.
« L’autorisation délivrée en application du présent article ne crée aucun droit au maintien au‑delà du délai fixé, sauf à respecter les dispositions applicables du code de l’urbanisme.
« Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article, notamment les conditions de compatibilité avec les règles de sécurité, d’accessibilité et de capacité d’accueil applicables aux établissements recevant du public, en tenant compte des caractéristiques agricoles, architecturales et paysagères des lieux. »
Article 4
À la première phrase du II de l’article L. 151‑11 du code de l’urbanisme, après le mot : « production », sont insérés les mots : « notamment celles définies à l’article L. 121‑1‑1 du code du tourisme, ».
Article 5
La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.