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N° 1962

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2025.

PROPOSITION DE LOI

relative à l’établissement de l’égalité d’accès au service public postal en outre-mer,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jean-Hugues RATENON, M. Perceval GAILLARD, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Notre République est fondée sur des principes forts d’égalité, d’unité et de solidarité, auxquels les citoyen.nes sont particulièrement attachés. Pourtant, les collectivités dites d’outre‑mer subissent une rupture d’égalité permanente sur nombre d’aspects du quotidien de nos concitoyen.nes en comparaison avec l’Hexagone. Par la présente proposition de loi, les député.es du groupe La France insoumise souhaitent remédier à l’une de ces injustices, flagrante et persistante dans l’accès à un service public essentiel : le service postal universel.

La vie chère est une réalité de tous les jours subie par les citoyen.nes vivant dans les outre‑mer, où le coût de la vie est en moyenne de 19 % à 38 % plus élevé que dans l’Hexagone selon l’Autorité de la concurrence. Cette situation est d’autant plus insoutenable que les revenus des ultramarin.es sont inférieurs à ceux des hexagonaux. Ainsi, le revenu médian y est le plus bas de France selon l’Observatoire des inégalités et la moitié des Réunionnais.es ont par exemple un niveau de vie inférieur à 1 420 euros par mois, soit 26 % de moins qu’au niveau national selon l’INSEE ([1]).

Aujourd’hui encore, les populations ultramarines doivent s’acquitter de tarifs postaux largement supérieurs à ceux appliqués dans l’Hexagone dès que le poids d’un envoi postal dépasse 100 grammes.

Les travaux de la mission flash relative à la hausse des tarifs des colis postaux en outre‑mer présentés par la Délégation aux outre‑mer de l’Assemblée nationale en juin 2025 ([2]) soulignaient cette difficulté. Les députés de la France insoumise MM. Jean‑Hugues Ratenon et Jean‑Philippe Nilor, co‑rapporteurs, écrivaient que « les tarifs des colis postaux semblent avoir toujours été plus élevés en outre‑mer que dans l’hexagone ». Cet écart s’est particulièrement accéléré à la suite de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid‑19 avec une hausse inédite de 20 % des tarifs des colis expédiés depuis l’Hexagone vers les outre‑mer en 2021 ! À cela s’est ajoutée une nouvelle hausse de 6,2 % au 1er janvier 2024 pour les Colissimo outre‑mer.

Les tarifs des produits de la gamme « standard » en ressortent très éloignés de leurs équivalents hexagonaux : pour un colis entre 1 et 2 kilogrammes, le tarif au 1er janvier 2025 est de 10,70 euros pour un colis circulant uniquement dans l’Hexagone, mais plus du double (22,70 euros) pour un envoi des outre‑mer vers l’Hexagone, quasiment le triple (27,25 euros) pour un envoi de l’Hexagone vers les outre‑mer, et même 3,5 fois plus cher pour un envoi de l’Hexagone vers le Pacifique (35,25 euros) ! La fin de la crise sanitaire n’a pas été accompagnée d’une baisse des prix. Les tarifs de l’offre « éco » dont les colis mettent plus de temps à être acheminés (des délais entre 18 et 31 jours, contre 6 à 13 pour l’offre standard) demeurent également fortement supérieurs à l’offre “Hexagone” et imposent aux ultramarin.es de choisir entre prix et délais, sachant que dans tous les cas ils sont perdants.

Ces prix élevés des produits postaux participent au phénomène de vie chère dans les outre‑mer, alors qu’ils concernent pourtant des produits de la vie courante devenus inabordables. Les colis postaux tiennent une place particulièrement importante pour les citoyen.nes ultramarin.es, en leur permettant de garder un lien entre les personnes parties pour l’Hexagone et celles restées dans leur collectivité d’origine, par exemple pour des enfants partis étudier ailleurs qui reçoivent des « colis pays ».

Cette discrimination tarifaire, qui frappe les habitant.es de La Réunion, de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane, de Mayotte, de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, de Saint‑Barthélemy, de Saint‑Martin, de la Polynésie‑française, de la Nouvelle‑Calédonie ainsi que de Wallis‑et‑Futuna, est perçue à juste titre comme une injustice sociale, économique et symbolique.

Pourtant, La Poste est un service public de proximité, fondé sur les principes d’égalité, de continuité et d’accessibilité, mais aussi d’égalité territoriale. La Poste est toujours en charge du « service postal universel » et l’article L. 1 du code des postes et des communications électroniques dispose que ce service consiste à garantir « à tous les usagers, de manière permanente et sur l’ensemble du territoire national, d’avoir accès à des services postaux répondant à des normes de qualité déterminées » et ce « à des prix abordables pour tous les utilisateurs ». Il doit concourir « à la cohésion sociale et au développement équilibré du territoire », et « est assuré dans le respect des principes d’égalité, de continuité et d’adaptabilité ».

Le niveau des tarifs postaux en outre‑mer constitue une rupture manifeste du principe constitutionnel d’égalité qui s’applique devant les services publics et qui suppose un égal accès de tous les usagères et usagers aux services publics, selon la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel.

Pourtant, la France a volontairement limité le champ de la péréquation tarifaire aux seuls envois sur le territoire hexagonal, en excluant les collectivités ultramarines.

Cette situation est d’autant plus incompréhensible que le droit européen autorise les États membres à instaurer « un tarif uniforme (…) sur l’ensemble de leur territoire national » ([3]), pour des « raisons d’intérêts publics » dans une logique de péréquation tarifaire nationale. Le Conseil d’État lui‑même, s’il a confirmé que cette péréquation n’était pas juridiquement obligatoire, a reconnu que c’était bien « une faculté », et que rien n’interdit au législateur français d’étendre ce tarif unique aux outre‑mer ([4]).

À titre d’exemple, le principe du prix unique du timbre a été conservé, comme le rappelle le rapport de la mission flash susmentionnée. Le principe de la péréquation tarifaire permet aussi l’envoi de colis au même prix dans des zones où la facilité d’accès varie (et donc son coût, comme en montagne) et que « lorsque le coût unitaire d’un envoi postal est inférieur au tarif unique [il] finance le déficit des envois postaux dont le coût unitaire est supérieur au tarif unique ». Mais ce tarif unique ne s’applique que sur « l’ensemble du territoire métropolitain » selon l’article L. 1 du code des postes et des communications électroniques précité, où l’ensemble des prestations du service postal jusqu’à 20 kilogrammes coûte le même prix. Ce tarif unique ne s’applique pour les colis en provenance et à destination des outre‑mer que pour les envois « d’un poids inférieur à 100 grammes ». Tout envoi dépassant ce poids sera soumis à des tarifs bien supérieurs aux tarifs hexagonaux.

L’éloignement géographique est bien pris en charge pour les autres citoyen.nes, mais cette égalité s’arrête aux frontières hexagonales, encore une fois, et les citoyen.nes ultramarin.es subissent de ce fait une discrimination géographique.

Les raisons avancées par l’État (coût du fret aérien, fiscalité spécifique, traitement douanier) ne sauraient justifier cette inégalité et l’alignement national des tarifs postaux est finançable. Ces surcoûts pourraient, comme dans d’autres services publics (énergie, transport, etc.), être pris en charge par la solidarité nationale, à l’aide d’une dotation d’État ou par une mutualisation tarifaire sur l’ensemble des usagères et des usagers. À titre comparatif, la péréquation tarifaire de l’électricité en France concerne l’ensemble du territoire national, alors qu’elle est bien plus coûteuse.

D’ailleurs, les simulations réalisées par la mission de la Délégation aux outre‑mer montrent que le surcoût d’un alignement tarifaire national sans hausse de la participation financière de l’État représenterait une augmentation moyenne de quelques centimes par colis. Nous proposons donc par la présente proposition de loi d’appliquer le principe de péréquation tarifaire entre les usagères et les usagers.

L’unité Colissimo de La Poste, contrairement aux envois de courriers, bénéficie d’un résultat net positif en 2023 car les envois de colis continuent d’augmenter. Le groupe La Poste démontre encore sa solidité financière, puisqu’il a enregistré au premier trimestre 2025 un bénéfice net de 719 millions d’euros. 

Il est également faux de prétendre que cette mesure heurterait le droit de la concurrence : dans les outre‑mer, les concurrents de La Poste sont peu présents sur le segment du service universel postal, et leurs tarifs en matière de colis sont déjà bien plus élevés.

Ce diagnostic n’est pas nouveau, et il a récemment été confirmé, étayé et approfondi par le rapport de la mission flash de la Délégation aux outre‑mer, rendu public en 2025. Les travaux de cette mission concluent qu’« il n’y a aucun obstacle, ni juridique ni financier, à l’extension aux outre‑mer de la péréquation tarifaire du service universel postal » et que le refus de l’instaurer est un « choix politique ».

Les populations ultramarines vivent cette situation comme une discrimination structurelle, un éloignement non seulement géographique mais institutionnel, en contradiction frontale avec les principes de la République.

Cette proposition de loi s’inscrit dans la continuité d’une première initiative parlementaire déposée en 2019, qui visait déjà à corriger cette inégalité tarifaire dans l’accès au service postal universel. Elle vise ainsi à élargir l’application du tarif postal unique à tous les envois relevant du service universel postal, quelle que soit leur destination sur le territoire de la République, et quelle que soit leur tranche de poids, tel que le recommande la récente mission flash susmentionnée.

L’égalité devant le service public n’est pas une option. C’est un droit. Cette proposition de loi vise à la rétablir.

L’article 1er de la présente proposition de loi modifie à cette fin l’article L. 1 du code des postes et des communications électroniques afin d’étendre le tarif unique des services postaux sur l’ensemble du territoire national et de généraliser la péréquation tarifaire à l’ensemble des usagères et des usagers du service postal universel.

L’article 2 constitue le gage.

 


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proposition de loi

Article 1er

L’article L. 1 du code des postes et des communications électroniques est ainsi modifié :

1° Le sixième alinéa est ainsi modifié :

a) À la fin de la première phase, le mot : « métropolitain » est remplacé par le mot : « français » ;

b) Les deux dernières phrases sont remplacées par une phrase ainsi rédigée : « Le tarif appliqué aux envois de correspondance à l’unité en provenance et à destination des collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, de la Nouvelle‑Calédonie, de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, de Saint‑Barthélemy, de Saint‑Martin, de la Polynésie française, des îles Wallis et Futuna et des Terres australes et antarctiques françaises est celui en vigueur sur le territoire français, quelle que soit la tranche de poids des envois. » ;

2° Après le même sixième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le tarif unique sur l’ensemble du territoire national prévu au sixième alinéa concourt à la cohésion sociale, au moyen de la péréquation nationale des tarifs. »

Article 2

La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


[1]  https://www.insee.fr/fr/statistiques/4482473#titre-bloc-7

[2]  https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/organes/delegations-comites-offices/dom/missions-de-la-delegation/mi-flash-augmentation-prix-colis

[3]  Article 12 de la directive 97/67/CE

[4]  Par exemple dans la décision n°460534 du 27 septembre 2022, 2ème et 7ème chambres réunies