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N° 2157
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 décembre 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à créer un conseil consultatif de victimes et survivantes de violences subies durant l’enfance,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Sandrine JOSSO, M. Olivier FALORNI, Mme Corinne VIGNON, Mme Agnès FIRMIN LE BODO, M. François RUFFIN, M. Laurent MAZAURY, Mme Céline HERVIEU, M. Philippe FAIT, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Alexandra MASSON, Mme Delphine LINGEMANN, M. Guillaume GOUFFIER VALENTE, M. Vincent CAURE, Mme Karine LEBON, M. Yannick FAVENNEC-BÉCOT, M. Lionel VUIBERT, Mme Julie DELPECH, Mme Mereana REID ARBELOT, Mme Stella DUPONT, M. Florent BOUDIÉ, Mme Maud PETIT, Mme Josiane CORNELOUP, Mme Constance LE GRIP, Mme Constance DE PÉLICHY, M. Thomas LAM, M. David TAUPIAC, Mme Nathalie COLIN-OESTERLÉ, Mme Béatrice ROULLAUD, M. Emmanuel MANDON, M. Éric MARTINEAU, Mme Claire MARAIS-BEUIL, Mme Anne-Sophie RONCERET, M. Mickaël BOULOUX, M. Karim BENBRAHIM, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, M. Moerani FRÉBAULT, M. Stéphane VIRY, M. Jean-Claude RAUX, M. Benoît BLANCHARD, M. Fabrice ROUSSEL, M. Romain DAUBIÉ,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis plusieurs années, la société française est confrontée à la révélation d’un nombre massif de violences sexuelles commises sur des enfants, souvent dissimulées pendant des décennies. Ces scandales, notamment ceux mis au jour dans certaines institutions religieuses ou éducatives, ont mis en lumière des défaillances systémiques graves : insuffisance de prévention, absence de signalements, lacunes dans l’accompagnement, ruptures dans les parcours de soins et de justice.
Dans ce contexte de révélation de faits ignominieux, alors que l’on estime qu’en France, chaque année, plus de 160 000 enfants subissent des violences sexuelles, les survivant·es et les victimes n’ont cessé d’interpeller les pouvoirs publics en demandant des mesures fortes, structurelles et durables pour garantir que de telles violences ne se reproduisent plus. Leur démarche rejoint les constats et recommandations de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), dont le rapport final appelle à la création « d’un espace institutionnel dédié à la politique publique de lutte contre l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants et à l’écoute des personnes victimes ». ([1])
Au niveau international, la France a pris des engagements clairs. Lors de la Conférence de Bogota, organisée en 2024 sous l’égide des Nations unies pour éliminer les violences sexuelles faites aux enfants, 139 États – dont la France ‑ se sont engagés à créer des conseils nationaux de survivant·es, reconnaissant l’importance de leur expertise dans la construction de politiques publiques efficaces.
Plusieurs pays ont déjà mis en place de telles structures. L’exemple allemand est particulièrement éclairant : un Conseil de survivant·es et victimes de violences sexuelles commises durant l’enfance y existe depuis 2015 et a été pérennisé par la loi en 2025. Composé exclusivement de personnes concernées, il contribue de manière décisive à améliorer la protection des enfants, l’accès à la réparation, la formation des professionnels et l’efficacité des politiques publiques.
La présente proposition de loi s’inscrit dans cette dynamique. À travers deux articles, elle vise à doter la France d’un Conseil national des survivant·es et victimes de violences dans l’enfance, pérenne, indépendant et composé uniquement de personnes concernées par ce fléau.
Le choix d’employer le terme « survivant·e » est essentiel : il désigne les personnes ayant subi des violences sexuelles dans l’enfance indépendamment de toute reconnaissance judiciaire et de sa reconnaissance de son statut de victime d’un crime par le système judiciaire, et souligne leur agentivité, leur capacité d’action et leur rôle dans la transformation de la société. Il affirme leur force, leur résilience et leur légitimité à participer aux décisions publiques.
En composant cette instance exclusivement de survivant·es et de victimes, la République reconnaît que celles et ceux qui ont vécu ces violences disposent d’un savoir unique, indispensable pour comprendre les mécanismes des crimes, leurs conséquences et les besoins réels des personnes concernées.
Comme l’a rappelé Sarah El Haïry, Haute‑commissaire à l’Enfance, nous devons nous « appuyer sur la parole des victimes pour que cela ne se reproduise plus ». Protéger les enfants, aujourd’hui comme demain, suppose d’écouter celles et ceux qui ont survécu aux violences d’hier.
La création de ce Conseil répond non seulement à un impératif moral, mais aussi à une exigence de justice et de dignité. Elle reconnaît que la société a le devoir éthique de prévenir ces violences, de réparer, autant qu’il est possible, ce qui a été brisé, et de garantir à chaque personne concernée le respect dû à son histoire et à son humanité.
Ce Conseil aura ainsi pour vocation de s’appuyer pleinement sur la parole des victimes et des survivant·es, afin de comprendre ce qui n’a pas fonctionné, d’identifier les failles de nos institutions, et de veiller à ce que de telles violences ne puissent plus jamais se reproduire. Leur contribution directe permettra :
– d’anticiper les risques,
– de renforcer la prévention,
– d’améliorer la prise en charge,
– d’assurer la continuité et la cohérence des politiques publiques,
– et de prolonger durablement les travaux de la Ciivise.
Avec la création de ce Conseil, la France fait le choix de placer celles et ceux qui ont survécu aux violences les plus graves au cœur de la décision publique. Elle transforme leur parole en force d’action, leur expérience en expertise, et leur résilience en moteur de changement.
Cette proposition de loi constitue l’une des réponses les plus structurantes et les plus attendues pour renforcer la protection des enfants, honorer la parole des survivant·es et inscrire la lutte contre les violences dans l’enfance dans une démarche durable, juste et digne.
Tel est l’objet des deux articles de cette proposition de loi.
L’article 1er vise à créer un Conseil consultatif de victimes et de survivant·es de violences subies durant l’enfance et l’adolescence. Il inscrit cette instance dans le Code de l’action sociale et des familles et définit ses grandes missions.
Il précise également que le Conseil sera composé de quinze survivant·es et victimes, nommés pour quatre ans selon une procédure transparente, et que les modalités de fonctionnement, de composition et de financement seront définies par décret.
L’article 2 vise à procéder aux ajustements de cohérence législative rendus nécessaires par la création de ce nouveau Conseil.
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proposition de loi
Article 1er
Après la section 3 du chapitre VII du titre IV du livre Ier du code de l’action sociale et des familles, est insérée une section 3 bis ainsi rédigée :
« Section 3 bis
« Conseil consultatif de victimes et de survivants de violences subies durant l’enfance et l’adolescence
« Art L. 147‑14‑1. – Il est institué un conseil consultatif de victimes et de survivants de violences subies durant l’enfance.
« Le conseil consultatif de victimes et survivants de violences subies durant l’enfance est chargé d’éclairer les orientations, les réflexions et les travaux du gouvernement en matière de violences physiques, psychologiques et sexuelles commises durant l’enfance et l’adolescence. Il est consulté sur les politiques publiques et s’auto-saisit des sujets qu’il juge pertinents. Le conseil établit en toute indépendance un programme de travail annuel et produit des avis qui sont rendus publics.
« Le conseil est composé de quinze personnalités choisies en raison de leurs compétences, de leurs actions et de leur expérience en tant que survivants et victimes de violence dans l’enfance et l’adolescence et en raison de leur représentativité de la diversité de la population française et de son territoire. Les membres sont nommés par arrêté du ministre chargé de l’enfance pour un mandat de quatre ans, après une procédure de sélection transparente.
« Les missions, la composition, l’organisation, le fonctionnement et le financement du conseil consultatif de survivants et victimes de violences subies durant l’enfance et l’adolescence sont précisés par décret. »
Article 2
La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
[1] Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), Rapport concernant la stratégie de bascule dans le droit commun de la Ciivise. Thierry Baubet, Maryse Solène Podevin-Favre, collège directeur de la Le Men Régnier,Ciivise avec l’appui de Alice Casagrande, Secrétaire générale. Février 2025. P.7. https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/297754.pdf