N° 2185
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 décembre 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à garantir un accès équitable aux soins pour les personnes atteintes de la drépanocytose sur l’ensemble du territoire,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Olivier SERVA, Mme Béatrice BELLAY, M. Frantz GUMBS, Mme Maud PETIT,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Alors que le Président Emmanuel Macron a érigé la drépanocytose au rang de maladie prioritaire pour son second mandat, cette maladie génétique demeure largement absente des politiques publiques de santé.
Le rapport rendu en 2018 par le député Olivier Serva avait déjà dressé un constat mitigé de la prise en charge des patients atteints de la drépanocytose en France, mettant en lumière des inégalités d’accès aux soins aggravées par des disparités territoriales et des moyens insuffisants pour lutter contre la première maladie rare du pays qui touche actuellement entre 19 800 à 32 400 personnes en France.
Elle présente sur l’année 2022 une incidence d’une personne sur 1 065 dans la population générale ([1]). Cette situation est d’autant plus inquiétante que le nombre de patients a tendance à augmenter. Le nombre d’enfants dépistés avec un syndrome drépanocytaire est ainsi passé ces dernières années, de 431 nouveau‑nés en 2016 à 684 en 2022. Avec 300 000 naissances concernées par an ([2]) dans le monde, la drépanocytose est l’une des maladies génétiques les plus répandues mondialement.
Cette pathologie génétique grave affecte l’hémoglobine, principale protéine des globules rouges et provoque leurs déformations. Ils prennent la forme d’une faucille d’où le nom de cette maladie, drépanon signifiant faucille en grec. Elle touche principalement les personnes d’origine africaine, caribéenne et méditerranéenne. Cependant, dans un contexte de mobilité humaine plus soutenue, elle concerne de plus en plus de personnes. Cette maladie du sang a une forte prévalence en Île‑de‑France et dans les Drom‑Com. En effet, 55 % des drépanocytaires naissent en Île-de-France et 15 % dans les territoires Outre‑mer ([3]), alors même que ces territoires représentent respectivement 18 % et 4 % de la population française. Elle constitue ainsi un enjeu majeur de santé publique dans ces zones.
Première cause de survenue d’accident vasculaire cérébral (AVC) durant l’enfance, la drépanocytose est également responsable de nombreuses complications qui touchent l’ensemble des organes : infarctus osseux intenses, ostéonécrose des membres inférieurs et supérieurs, syndrome thoracique aigu, décollement rétinien, etc. De plus, les personnes sont souvent diagnostiquées à un stade avancé de la maladie, eu égard notamment à une place insuffisante de la drépanocytose dans les programmes de formation des professionnels de santé.
Cette pathologie invalidante a un impact significatif et durable sur la vie des individus qui en sont atteints : hospitalisations à répétition, risque de décrochage scolaire, difficultés en milieu professionnel, perte d’autonomie progressive, complications etc. La drépanocytose nécessite un engagement renforcé de l’État.
L’évolution de l’espérance de vie des personnes atteintes de la drépanocytose révèle de légères améliorations : Elle est aujourd’hui supérieure à 40 ans alors qu’elle était inférieure à 20 ans dans les années 1980 ([4]). Cependant, encore aujourd’hui, l’insuffisance des ressources et l’absence de suivi épidémiologique structuré compliquent considérablement la prise en charge de cette maladie. Il est impératif de passer à l’action et de placer la drépanocytose au cœur de nos politiques publiques de santé.
Il y a eu quelques avancées ces dernières années sur le dépistage de la drépanocytose, notamment avec la généralisation du dépistage néonatal à l’ensemble des nouveau‑nés depuis le 1er novembre 2024. Néanmoins, il reste encore beaucoup à faire quant à la prévention des complications chroniques et la prise en charge des phases aiguës.
Par ailleurs, la drépanocytose demeure une pathologie pour laquelle les avancées thérapeutiques restent limitées. Ces dernières années, certains médicaments récemment autorisés ont été retirés du marché national, notamment en raison de difficultés d’accès ou d’évaluations défavorables par les autorités réglementaires. Cette situation conduit à une réduction des options thérapeutiques effectivement disponibles pour les personnes atteintes de la drépanocytose en France entre 2024 et 2025.
Ainsi, au regard des éléments susvisés, ce texte permet de garantir un accès équitable aux soins pour les personnes atteintes de la drépanocytose sur l’ensemble du territoire.
L’article 1er vise à reconnaître la drépanocytose comme une grande cause nationale.
L’article 2 vise à faciliter l’ouverture d’appels à projets pour la labellisation des centres de référence maladies rares dédiés à la drépanocytose.
L’article 3 propose la création d’un comité national de suivi dédié à la drépanocytose, visant à enrichir la connaissance, optimiser les traitements disponibles et faciliter l’accès aux soins. Cette instance dans laquelle travailleront en collaboration les professionnels de santé, les associations de patients, les scientifiques, les pouvoirs publics, permettra d’élaborer des recommandations régulièrement actualisées.
L’article 4 permet d’exonérer la personne atteinte de drépanocytose du FPU (forfait patient urgence), car sujette à de nombreux passages aux urgences.
L’article 5 reconnaît le caractère invalidant des hémoglobinopathies en ce qu’il mentionne explicitement un droit à compensation découlant des conséquences de ces pathologies. Plus concrètement, il crée une procédure dérogatoire devant la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées en cas d’hémoglobinopathies.
L’article 6 précise l’existence d’un droit à congé pour un proche aidant de personne atteinte de la drépanocytose en mobilité sanitaire hors de son territoire d’origine en lui permettant de bénéficier de l’allocation journalière prévue dans le code de la Sécurité sociale aux articles L. 168‑8 et suivants. Cette mesure est particulièrement importante pour les territoires d’outre‑mer, dans la mesure où les greffes de moelle osseuse sont toutes réalisées en France hexagonale, ce qui signifie pour le patient et son parent une absence de revenu sur plusieurs semaines. Cette mesure vise à corriger une inégalité sociale et à sécuriser le rôle indispensable des aidants.
L’article 7 a pour but de renforcer la formation sur la drépanocytose dans les cursus de formations de médecine, de pharmacie, d’odontologie, de maïeutique, paramédicales, en sciences et techniques des activités physiques et sportives ainsi qu’en psychologie.
L’article 8 instaure un Programme national d’érythraphérèse thérapeutique pour la drépanocytose (PNET‑D).
L’article 9 prévoit les dispositions relatives à la compensation de la charge pour l’État et la Sécurité sociale.
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proposition de loi
TITRE Ier
Reconnaissance de la drépanocytose
en grande cause nationale
Article 1er
La drépanocytose est désignée grande cause nationale en 2026. Le Gouvernement prend ainsi la mesure d’un sujet qui suppose un engagement fort et une action concertée des ministères concernés.
TITRE II
Facilitation des appels À projets visant À labelliser les centres de référence maladies rares dÉdiÉs À la drÉpanocytose
Article 2
Le ministère chargé de la santé et de l’accès aux soins favorise la mise en place d’appels à projets nationaux pour la labellisation des centres de références maladies rares dédiés aux hémoglobinopathies.
TITRE III
Mise en place d’un comitÉ national
de suivi de la drÉpanocytose
Article 3
I. – Il est créé, auprès du Premier ministre, un comité national de suivi de la drépanocytose.
II. – Le comité national de suivi de la drépanocytose est chargé :
1° De l’évaluation des conditions d’accès aux soins des personnes drépanocytaires sur l’ensemble du territoire français ;
2° De l’évaluation de l’adéquation entre les formations des professionnels de santé et les besoins des personnes drépanocytaires ;
3° De l’évaluation des options thérapeutiques pour les personnes drépanocytaires ; en particulier, de l’élaboration d’un parangonnage de l’accès des patients aux innovations thérapeutiques enregistrées par l’Agence Européenne du Médicament, entre la France et d’autres pays comparables en Europe à l’instar du Royaume‑Uni, de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne, et de l’Autriche.
4° De proposer au Gouvernement des mesures d’organisation visant à lutter contre les inégalités d’accès aux traitements de la drépanocytose concernant la prévention et l’éducation du public, l’information sur les traitements, la formation des professionnels de santé, et la coordination en matière de recherche en veillant à prendre en compte la situation spécifique des territoires ultramarins ;
5° De saisir la Haute Autorité de santé en vue d’entreprendre la révision au minimum tous les quatre ans du protocole national de diagnostic et de soins pour les syndromes drépanocytaires, afin que celui‑ci intègre les dernières innovations thérapeutiques disponibles, et de formuler les recommandations prévues au 2° l’article L. 161‑37 du code de la sécurité sociale ;
6° D’assister l’Établissement français du sang dans le cadre des actions de promotion de don du sang, notamment en ce qui concerne les dons de sang rare pour répondre aux besoins des personnes atteintes de la drépanocytose.
III. – Il fonde ses analyses sur les outils d’anticipation et de gestion des inégalités ou des risques de limitation d’accès aux soins des personnes atteintes de la drépanocytose et remet au Gouvernement et au Parlement un rapport annuel sur l’état de l’accès aux soins et aux innovations thérapeutiques des personnes atteintes de la drépanocytose, incluant, le cas échéant, des propositions d’évolutions législatives et réglementaires.
IV. – Le comité national de suivi de la drépanocytose peut être saisi par le ministre chargé de la santé de toute question intéressant la drépanocytose.
V. – Les ressources du comité national de suivi de la drépanocytose sont notamment constituées par :
1° Des subventions de l’État ;
2° Une dotation des régimes obligatoires d’assurance maladie, dont le montant est fixé chaque année par arrêté des ministres chargés de la santé et de la recherche, versée et répartie dans des conditions fixées par décret ;
3° Des produits divers, des dons et legs.
VI. – La composition du comité national de suivi de la drépanocytose est définie par décret.
AmÉlioration de la prise en charge
du patient drÉpanocytaire
Article 4
Après le 32° de l’article L. 160‑14 du code de la sécurité sociale, il est inséré un 33° ainsi rédigé :
« 33° Lorsque le bénéficiaire a été reconnu atteint d’hémoglobinopathie. »
Article 5
Le code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 146‑7‑1, il est inséré un article L. 146‑7‑2 ainsi rédigé :
« Art. L. 146‑7‑2. – La maison départementale des personnes handicapées identifie, à leur dépôt, les demandes de compensation des personnes atteintes d’hémoglobinopathies dont la liste est fixée par arrêté des ministres chargés de la santé et des personnes handicapées.
« Elle organise le traitement de ces demandes en partenariat avec les centres désignés en qualité de centre de référence pour une maladie rare ou un groupe de maladies rares dont l’expertise porte sur les pathologies mentionnées au premier alinéa. »
2° La première phrase de l’avant‑dernier alinéa de l’article L. 146‑8 est ainsi modifiée :
a) Les mots : « à l’article » sont remplacés par les mots : « aux articles » ;
b) Après la référence : « L. 146‑7‑1 », sont insérés les mots : « et L. 146‑7‑2 ».
Article 6
Le premier alinéa de l’article L.3142‑16 du code du travail est complété par les mots : « , notamment une hémoglobinopathie dans les conditions définies par décret : ».
Article 7
À compter de l’année universitaire 2026, le Gouvernement cherche à favoriser l’enseignement relatif aux hémoglobinopathies dans les formations de médecine, de pharmacie, d’odontologie, de maïeutique, paramédicales, en sciences et techniques des activités physiques et sportives ainsi qu’en psychologie, dans les conditions définies par décret.
TITRE V
Mise en place d’un programme national d’ÉrythraphÉrÈse
Article 8
Le chapitre II du titre II du livre II de la première partie du code de la santé publique est complété par un article L. 1222‑17 ainsi rédigé :
« Art. L. 1222‑17. – I. – Il est institué un programme national d’érythraphérèse Thérapeutique pour la Drépanocytose (PNET‑D), visant à garantir l’accès progressif, équitable et gratuit à l’érythraphérèse thérapeutique pour les personnes atteintes de drépanocytose sur l’ensemble du territoire national.
« II. – Le PNET‑D a pour missions :
« 1° De doter les centres hospitaliers régionaux et universitaires d’équipements nécessaires à l’érythraphérèse thérapeutique (machines d’échange, générateurs, consommables spécifiques) ;
« 2° De former le personnel médical et paramédical à la pratique de l’érythraphérèse ;
« 3° D’établir des partenariats avec des institutions internationales et des laboratoires pour le financement durable du programme ;
« 4° De mener des campagnes de sensibilisation et d’information sur les bénéfices de l’érythraphérèse.
« III. – Le programme fait l’objet d’une évaluation annuelle conduite par le comité national de suivi de la drépanocytose ;
« Le rapport d’évaluation est transmis au Parlement et rendu public.
« IV. – Le présent programme entre en vigueur dans un délai de six mois après la promulgation de la présente loi. Un décret détermine les modalités d’application du présent article. »
Article 9
I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
II. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
III. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.