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N° 2218
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 décembre 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à rétablir le droit commun de la prescription acquisitive dans les Collectivités régies par l’article 73 de la Constitution ainsi qu’à Saint-Martin et Saint-Barthélemy,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Jean-Philippe NILOR, M. Perceval GAILLARD, M. Jean-Hugues RATENON, Mme Béatrice BELLAY, Mme Karine LEBON, M. Max MATHIASIN, M. Marcellin NADEAU, Mme Maud PETIT, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Davy RIMANE, M. Olivier SERVA, les membres du groupe La France insoumise - Nouveau Front Populaire [(1)],
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La loi n° 2024‑322 du 9 avril 2024 visant à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement a introduit dans son article 51‑III deux dérogations conséquentes aux règles relatives à la prescription acquisitive et possession immobilière dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, ainsi qu’à Saint‑Barthélemy et Saint‑Martin.
Le droit de propriété revêt une importance particulière pour les populations des territoires dits d’outremer. Le déracinement vécu dès le départ par des populations arrachées à leurs terres d’origine, arrachement engendré par le commerce triangulaire fonde un attachement particulier inconditionnel à leur foncier lorsqu’elles ont enfin pu en acquérir. Ces actes d’acquisition sont depuis 1848 la manifestation nécessaire de leur statut de membre à part entière de la société. Majoritairement transmis et hérités de génération en génération, la terre et le bâti constituent pour beaucoup une part intégrante de leur triple identité : personnelle, familiale et sociale.
La difficulté d’accès au foncier renforce le sentiment de dépossession de nos populations.
Plusieurs facteurs viennent entraver considérablement les perspectives d’accession à la propriété immobilière et foncière pour les originaires de ces territoires.
La pénurie de terrains disponibles, corrélée à l’augmentation exponentielle de la demande, exacerbent la pression foncière, à tel point que ces territoires deviennent des zones spéculatives.
À l’heure où le coût de la vie y atteint des niveaux records, les populations locales, déjà paupérisées, se retrouvent financièrement exclues de ce droit de propriété.
Les prix du foncier et de l’immobilier ne dérogent pas à cette réalité inflationniste.
Cette pression immobilière se fait également ressentir sur le parc locatif : des loyers en moyenne 7 % plus cher qu’en hexagone pour les logements sociaux.
Dans un contexte dans lequel ces populations s’appauvrissent jours après jours et sont confrontées au coût de la vie, 40 % plus cher qu’en hexagone, acquérir un bien s’apparente à un luxe. Aujourd’hui, lesdits Ultramarins ont le sentiment d’être condamnés à demeurer locataires dans leur propre pays, contraints de se rabattre sur la location plutôt que l’achat.
Des territoires, historiquement et structurellement indivisaires.
Les situations d’indivision foisonnent au sein des territoires dits d’Outre‑mer, notamment en raison des coûts successoraux élevés, de la fastidiosité des démarches administratives, ainsi que de l’insuffisance des lieux de médiations et d’informations relatives à la sortie de l’indivision.
Ces problématiques d’indivision sont indéniablement aussi le fruit d’un héritage historique quasi culturel pesant encore fortement sur le présent.
Les difficultés des familles à réunir les conditions de règlement des successions laissent place à démoralisation et démobilisation, se traduisant concrètement par l’abandon de leurs biens et dans les cas les plus extrêmes par des drames familiaux générés par ces tensions.
Il faudrait en moyenne débourser la somme de 10 000€ en frais notariaux. Lorsqu’il est établi qu’un quart des populations locales se retrouve sous le seuil de pauvreté, les possibilités d’ouverture de succession se retrouvent fortement compromises.
Par ailleurs, nombre de familles se retrouvent démunies face à la complexité des procédures administratives. Il n’existe que très peu d’acteurs vers lesquels elles peuvent se diriger.
Il convient tout de même de mentionner le travail d’accompagnement et de conseils entrepris par le Groupement d'intérêt public (GIP) Titrement en Martinique en matière d’indivision successorale et de titrement. Si cette démarche est à saluer, son impact récent ne reste que très modeste au regard des enjeux colossaux s’agissant de la réalité indivisaire de ces territoires.
La loi du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre‑mer, dite loi Letchimy, applicable pour les successions ouvertes depuis plus de 10 ans, s’est montrée peut efficace.
Et se fondant sur ce constat, la Loi du 9 avril 2024 visant à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement :
– réduit à 10 ans, au lieu de 30, le délai de prescription acquisitive prévu à l’article 2272 du code civil.
– institue, en dérogation à l’article 2261 du même code, une présomption de possession non équivoque pour les indivisaires d’immeubles issus de successions non partagées.
Or, ces dispositions rédigées sans concertation avec les élus locaux, les professionnels et acteurs de terrain, ne répondent pas aux objectifs de facilitation des sorties de l’indivision, et ne corrigent pas non plus les limites objectives de la loi du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre‑mer, dite loi Letchimy.
Ces mesures dérogatoires au droit commun ne constituent pas une réponse appropriée au problème complexe de l’indivision dans les territoires « ultramarins » mais représentent au contraire un véritable danger dont les effets pervers n’ont pas été mesurés.
En réalité, elles auront pour effet d’accentuer l’insécurité juridique, de favoriser des situations de spoliation pour les héritiers et propriétaires légitimes, d’augmenter les contentieux de « vol de terre ».
D’une part, les services notariaux, déjà en difficulté à établir des dévolutions successorales, auront encore moins de latitude à retrouver les ayants droits des biens en situations d’indivision.
En effet, le morcellement des familles, résultant des politiques nationales favorisant l’exode des forces vives locales, fragilise davantage la recherche des héritiers. Les générations éclatées et séparées géographiquement limitent l’établissement d’une généalogie de titre de propriété ou encore la mise à jour cadastrale.
D’autre part, les situations de spéculation, voire de prédation foncière risquent d’exploser, au détriment des populations locales, premières victimes de la flambée des prix du foncier et de certaines pratiques notariales frauduleuses : édiction de faux titres de propriété, prescriptions acquisitives abusives en faveur des non originaires…
Toutes ces situations légitiment ce sentiment de dépossession foncière ressenti par ces derniers.
La présente proposition vise donc à abroger les dispositions prévues dans l’article 51-III de la loi du 9 avril 2024 visant à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement et à rétablir le droit commun de la prescription acquisitive, afin que les règles du code civil s’appliquent aux collectivités régies par l’article 73 de la constitution ainsi qu’à Saint‑Barthélemy et Saint‑Martin.
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proposition de loi
Article 1er
Le III de l’article 51 de la loi n° 2024‑322 du 9 avril 2024 visant à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement est abrogée.
Article 2
L’article 2272 du code civil s’applique pleinement dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution ainsi qu’à Saint‑Barthélemy et Saint‑Martin.
L’article 2261 du code civil s’applique également sans dérogation.
[(1)](1) Ce groupe est composé de : Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Aurélien LE COQ, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER.