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N° 598

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 janvier 2018.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à créer une commission denquête sur les causes de la prévalence élevée de la leucose bovine enzootique dans les élevages laitiers de La Réunion, sur ses conséquences sanitaires, économiques et sociales ainsi que sur les moyens dy remédier en vue de la consolidation dune filière bovine durable au service des consommateurs,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Huguette BELLO, MarieGeorge BUFFET, Elsa FAUCILLON, Bruno Nestor AZEROT, Moetai BROTHERSON, Alain BRUNEEL, André CHASSAIGNE, Pierre DHARRÉVILLE, JeanPaul DUFRÈGNE, Sébastien JUMEL, JeanPaul LECOQ, JeanPhilippe NILOR, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Gabriel SERVILLE, Hubert WULFRANC,

député(e)s.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Entrée en vigueur le 1er novembre 2017, un arrêté ministériel vient de confirmer que La Réunion n’est toujours pas concernée par les mesures générales de lutte contre la leucose bovine enzootique (LBE) et lui permet de déroger à nouveau au dispositif en vigueur sur l’ensemble du territoire national.

Ce texte « exclut les élevages bovins de La Réunion de l’application des mesures de police sanitaire » au motif, d’une part, que l’île n’exporte pas de bovins et parce que, d’autre part, selon l’avis de l’ANSES de 2015, le virus serait présent de manière diffuse sans impact avéré sur les élevages.

Ainsi, contrairement à ce qui se passe sur l’ensemble du territoire national, où depuis 1988, l’abattage des vaches contaminées est systématique, rien de tel à La Réunion qui n’a jamais été concernée par ce programme d’éradication. Résultat : alors que l’ensemble du territoire de la France hexagonale est réputée indemne de la leucose bovine depuis 1999, à La Réunion, 90 % des troupeaux sont touchés avec un taux de prévalence de plus de 70 % chez les animaux.

La leucose bovine : lexception réunionnaise

La leucose bovine enzootique, souvent comparée à un cancer de la vache, est une maladie contagieuse des bovins provoquée par un virus. Depuis février 2006, elle est inscrite sur la liste des Maladies réputées contagieuses (MRC) et donne lieu à une déclaration obligatoire. La LBE expose les animaux à d’autres maladies, puisque affectant leurs défenses immunitaires, elle créé un terrain favorable à l’apparition de multiples pathologies. Selon plusieurs expertises, cela expliquerait, en grande partie, le taux élevé de mortalité dans les cheptels laitiers de la Réunion (4 fois plus que dans les élevages de la France hexagonale).

Par ailleurs, elle aurait un impact non négligeable sur les équilibres économiques des exploitations, notamment en raison d’une forte diminution de la production de lait.

Au cours de ces deux dernières décennies, des élevages laitiers ont disparu totalement ou en partie tandis que le nombre d’éleveurs a fortement chuté. Aujourd’hui, La Réunion compte en effet environ 28 000 bovins et il ne reste que 60 exploitations contre plus de 150 en 2000.

En 2010, en France Hexagonale, « la LBE se situe à la fin du classement des maladies concernant la filière ruminant. » (Avis Anses – 2010‑SA‑0280). Ce résultat est sans aucun doute lié à la politique lancée par les pouvoirs publics vingt ans auparavant lorsque la France a généralisé la lutte contre la leucose bovine enzootique avec l’objectif clairement affirmé d’éliminer totalement la leucose des élevages. Ce plan a bénéficié de l’appui financier de l’État et s’est traduit dès le début par l’abattage de près de 100 000 bovins infectés.

À partir de décembre 1990, des textes règlementaires fixent les mesures relatives à la lutte contre la leucose bovine sur l’ensemble du territoire. Il est prévu expressément que « sur la totalité du territoire national, (…), tout éleveur ou personne ayant la garde de bovins est tenu de faire procéder périodiquement au dépistage de la leucose bovine enzootique dans son cheptel en vue d’obtenir l’octroi de la qualification de ce dernier comme indemne de leucose bovine enzootique » ([1]). D’autre part, il est précisé qu’en cas de dépistage positif, le propriétaire de l’animal « est tenu de le faire abattre dans des conditions d’isolement et de transport définies par arrêté du ministre chargé de l’agriculture et dans les délais qui lui sont notifiés par le directeur des services vétérinaires du département. » ([2])

Cette prophylaxie collective volontariste n’a jamais été appliquée à La Réunion où, au fil des années, les dérogations rendant ce dépistage facultatif se sont succédé, parfois comme en 2007, sous la forme d’une simple lettre émanant de la Direction générale de l’alimentation (DGAL) du ministère de l’agriculture. Jusqu’en octobre 2015, ces dérogations n’ont d’ailleurs jamais été validées par aucun texte réglementaire.

Une situation connue depuis longtemps et qui perdure

Pourtant, dès 1991 comme, plus tard, en 1998 « divers sondages réalisés ont permis de mettre en évidence que le taux de cheptels infectés par le virus de la LBE semblait depuis longtemps très élevé à la Réunion. » ([3]).

En 2002, un dépistage systématique a bien été réalisé sur les bovins de plus de 12 mois. Ils ont permis de chiffrer le haut niveau d’infection des cheptels laitiers : 90 % des élevages et 70 % des animaux. Ces taux très élevés ont toutefois abouti à deux décisions : La première a été de ne pas suivre la procédure d’abattage subventionné prévue par le décret de 1990. La deuxième de mettre un terme au dépistage systématique. De fait, depuis 2007, plus aucun dépistage n’est réalisé.

Loin de s’estomper, les difficultés ont été de plus en plus vives au point que des éleveurs se sont regroupés pour créer, en 2006, l’Association de défense des agriculteurs de La Réunion (l’ADEFAR) avec comme objectif la lutte contre la leucose bovine qui décime leurs troupeaux, met à mal leur production, ruine leurs exploitations et parfois provoque des drames humains. Depuis plus de dix ans, l’ADEFAR mène des campagnes de sensibilisation, initie des expertises et conteste en justice le bien‑fondé du régime dérogatoire appliqué aux élevages bovins de La Réunion.

Plusieurs décisions récentes…

– Sur le plan juridique l’arrêté de novembre 2017 qui prévoit que  «compte tenu de la situation épidémiologique particulière à La Réunion », les mesures de prévention, de surveillance et de lutte prévues par l’arrêté du 31 décembre 1990 et notamment celles qui prévoient l’abattage systématique, dans un délai de six mois, des bêtes infectées, « ne s’appliquent pas à ce département » a été précédé de plusieurs jugements.

D’abord en janvier 2014, le tribunal administratif de Saint‑Denis de La Réunion a remis en cause, la dérogation qui était appliquée de manière constante à l’exception de l’éphémère parenthèse de 2002. Selon le juge administratif, « aucune disposition législative, ou réglementaire, ou non plus aucun principe, n’habilitait le Préfet de La Réunion à déroger aux dispositions de l’arrêté interministériel du 31 décembre 1990 fixant les mesures techniques et administratives relatives à la prophylaxie collective et la police sanitaire de la leucose bovine qui prévoient la mise en œuvre d’un dépistage systématique des bovins. »

Ensuite en mars 2017, suite à une double requête de l’ADEFAR, le Conseil d’État a annulé les deux arrêtés ministériels de 2015 qui excluaient à nouveau La Réunion du champ d’application des mesures réglementaires destinées à la prévention et à la lutte contre la leucose bovine enzootique.

– Sur le plan sanitaire, les pouvoirs publics ont lancé, en 2016, un plan d’action global visant à  lutter contre l’ensemble des maladies des bovins, y compris la leucose. Ce plan s’articule autour de trois actions principales : la lutte contre les maladies, la lutte contre les insectes vecteurs et la réduction des mortalités. C’est dans le cadre de ce plan que vient d’être à nouveau décidée la réalisation d’un dépistage sanguin annuel sur tous les bovins de plus de 12 mois afin de réaliser une cartographie des élevages atteints.

…Et de plus en plus dinterrogations

Depuis la publication du dernier arrêté du ministère de l’agriculture et de l’alimentation permettant explicitement aux autorités sanitaires locales d’éviter l’abattage massif de bêtes atteintes de la leucose bovine, les questions se multiplient sur d’éventuels risques sanitaires liés à cette maladie.

C’est évidemment la question de la transmission à l’homme qui se pose avec la plus grande acuité. La thèse officielle et admise de longue date selon laquelle « aucune transmission de la maladie bovine à l’homme n’est possible ni par le contact avec des animaux vivants ni par la consommation de lait et de viandes » ([4]) est battue en brèche. L’unanimité n’est plus de mise et la question de l’application du principe de précaution est soulevée depuis la publication récente des résultats d’une étude américaine qui établissent la probabilité d’une corrélation entre la leucose bovine et le cancer du sein chez la femme ([5]).

Ces résultats remettent aussi à l’ordre du jour la question de savoir pour quelles raisons La Réunion a‑t‑elle été la seule région française à être exclue dès le départ du programme national de lutte contre la LBE mais aussi sur quels critères et selon quelles procédures cette position a été constamment reconduite, en dépit de la surmortalité des bovins.

Une autre interrogation porte sur les décisions qui seront prises une fois connus les résultats épidémiologiques du nouveau dépistage. Jusqu’où iront les « mesures appropriées » annoncées ? Les raisons couramment avancées pour justifier les dérogations pourront‑elles encore être mises en avant à savoir le faible impact clinique de la maladie, l’absence d’importation et donc d’enjeu commercial, et surtout le coût que représenterait un plan d’éradication ?

Même si elle n’est pas forcement toujours mise en avant, la question du coût est centrale. Elle a très probablement été déterminante dans les décisions visant à exclure La Réunion du droit commun. Elle renvoie également à la nécessaire mise en place par les pouvoirs publics d’un fonds d’indemnisation. Il est évident en effet que la lutte contre la LBE a pour objectif de consolider durablement la filière bovine réunionnaise et, par conséquent, doit s’accompagner de la mobilisation au bénéfice de tous les éleveurs concernés des moyens techniques et financiers correspondants.

Pour l’ensemble de ces raisons et de ces interrogations, nous vous prions de bien vouloir adopter la présente proposition de résolution.


proposition de rÉsolution

Article unique

Il est créé, en application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, une commission d’enquête de trente membres sur les causes de la prévalence élevée de la leucose bovine enzootique dans les élevages laitiers de La Réunion, sur les conséquences sanitaires, économiques et sociales qui en résultent, ainsi que sur les moyens d’y remédier en vue de la consolidation d’une filière bovine durable au service des consommateurs.


([1]) Décret n° 90-1223 du 31 décembre 1990 - art. 2.

([2]) Ibid. – art. 8.

([3]) Avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) relatif à l’impact de la leucose bovine enzootique dans les départements d’outre-mer – juillet 2015.

([4]) Communiqué du Préfet de La Réunion – 2 novembre 2017.

([5]) Contrairement aux États-Unis où la majorité des troupeaux sont infectés, la LBE n’a donné lieu en France à aucune étude scientifique approfondie probablement en raison de l’éradication de la maladie sur l’ensemble de son territoire à l’exception de La Réunion.