N° 1165 rectifié
_____
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 juillet 2017.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Loïc PRUD’HOMME, Caroline FIAT, Éric COQUEREL, Sabine RUBIN, Danièle OBONO, Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Clémentine AUTAIN, Jean‑Luc MÉLENCHON, Muriel RESSIGUIER, Jean‑Hugues RATENON, Alexis CORBIÈRE, Adrien QUATENNENS, Ugo BERNALICIS, Mathilde PANOT,
députés.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le site du bassin de Lacq, dans le Béarn (Pyrénées‑Atlantiques), abrite un complexe industriel réparti en quatre pôles comptant plus de deux cents entreprises et sept mille six cents emplois. L’origine de l’industrialisation de ce territoire remonte à l’année 1951 lorsqu’y est découvert un gisement de gaz à plus de trois mille cinq cents mètres de profondeur.
Pour l’anecdote, juste après la découverte du geyser, les environs ont dû être évacués en urgence, les rejets d’hydrogène sulfuré, gaz toxique, étant incontrôlables. Il a été fait appel à Myron Kinley, spécialiste des accidents de puits pour les maîtriser. Ce dernier déclarait, peu après son intervention : « oubliez ce champ de gaz, c’est une bombe. Rebouchez vos forages, semez‑y de l’herbe et mettez‑y des vaches à paître. »
L’exploitation de ce gisement démarre en 1957. Pendant soixante ans et jusqu’à aujourd’hui, elle a profondément structuré le paysage local, sur le plan économique, social mais également urbanistique avec la création de la première ville nouvelle de France à Mourenx, en 1958. Il s’agit d’un bassin de population de plus de 50 000 habitants, si l’on s’en tient à la communauté de communes de Lacq‑Orthez sur le territoire de laquelle sont localisées ces activités industrielles.
Les hydrocarbures, en particulier le gaz, sont exploités historiquement par l’ancienne Société nationale des pétroles d’Aquitaine (SNPA), devenue ensuite Elf‑Aquitaine, qui sera, après-cela, intégrée au groupe Total. Ces réserves attirent plusieurs entreprises et sous‑traitants pour un faire un site emblématique de l’industrie chimique lourde. L’exploitation du complexe est principalement assurée depuis 2010 par la Société béarnaise de gestion industrielle (SOBEGI), filiale du groupe Total, et l’entreprise de chimie Arkéma.
Une étude réalisée en 2002 par l’Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement (ISPED) de Bordeaux concluait qu’une surmortalité de 30 % à 40 % touchait les 22 000 habitants les plus proches de Lacq (dans un rayon de vingt kilomètres) au cours de la décennie 1990, notamment due à une augmentation des cancers. Ses résultats ont été cachés aux associations et aux riverains jusqu’en 2014. L’Agence régionale de santé (ARS), malgré leurs demandes répétées, bloquait toute prolongation de l’étude. Ce n’est qu’après les injonctions de la Cour des comptes puis de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) en 2015 que la réalisation de nouvelles études lui est confiée.
La diversification des activités sur le complexe à partir des années 2000 a eu comme effet d’exposer les populations à un fort risque d’effet cocktail. Plus de cent quarante substances différentes sont dénombrées aujourd’hui. Actuellement, il n’existe aucun résultat d’étude épidémiologique pour évaluer les risques auxquels sont exposés les salariés et les riverains. Les seuls contrôles réguliers sont ceux effectués par les industriels eux‑mêmes, sans contrainte quant à la méthodologie ou la publication des résultats. La question des moyens alloués par l’État pour réaliser des contrôles nécessaires se pose alors que le site compte de nombreuses installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) et Seveso.
Les dernières révélations sur les rejets occasionnés par l’activité de l’usine Sanofi, qui produit la dépakine en bordure de Mourenx, renforce l’inquiétude de plusieurs acteurs locaux. Une étude de la Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) d’avril 2018, qui a fuité dans la presse, révèle que l’usine émet cent quatre-vingt-dix mille fois plus de bromopropane que le plafond autorisé défini par un arrêté préfectoral de 2009. Il s’agit d’une substance classée cancérogène et reprotoxique. Des rejets d’autres composés organiques volatiles (COV) dépassent de sept mille fois le plafond légal. Les médias révèlent également qu’un précédent contrôle de la DREAL, d’octobre 2017, constatait des rejets de bromopropane déjà très supérieur au maximum autorisé, sans qu’aucune mesure ne soit prise ni par Sanofi, ni par les pouvoirs publics. Enfin, les inspecteurs auraient découvert que deux cheminées ne faisaient l’objet d’aucune mesure de contrôle de la part de l’entreprise alors que cela est obligatoire.
Après le tollé provoqué par ces révélations, Sanofi a décidé d’arrêter sa production et l’État l’a mis face à un ultimatum de 3 mois pour se mettre en règle, annonçant des contrôles supplémentaires, sans plus de précision pour l’instant. Si certains acteurs semblent enfin prendre leur responsabilité, plusieurs autorités locales minimisent encore les faits. Une seule élue, adjointe au maire de Mourenx, à quelques dizaines de mètres de l’usine, a exprimé dans un journal local sa surprise et son inquiétude.
Jusqu’à présent, le complexe industriel de Lacq a été beaucoup soutenu par toutes les autorités, nationales comme locales. Au fil des années, plusieurs dérogations favorables avaient été accordées aux entreprises du site. La dernière en date a été introduite dans la loi « mettant fin à l’exploitation des hydrocarbures », permettant leur exploitation à Lacq au‑delà de la date butoir de 2040 prévue dans le texte.
De nombreux riverains et ex‑salariés alertent l’opinion publique depuis plusieurs années. Ils témoignent de divers problèmes de santé les touchant eux et leurs enfants. Ils se sentent aujourd’hui seuls, leurs interpellations étant souvent restées lettre morte. C’est l’avenir de tout un territoire qui est en jeu.
Une commission d’enquête parlementaire aurait trois missions principales :
– Mettre à jour et compiler toutes les enquêtes et tous les contrôles et rapports existants afin d’avoir une vision claire et exhaustive des risques avérés et de ceux qui n’ont pas été encore mesurés ;
– Démêler les responsabilités de chacun des acteurs dans ce qui pourrait être un scandale sanitaire majeur si toutes les questions posées ne sont pas prises à bras‑le‑corps immédiatement ;
– Proposer des solutions afin que l’État garantisse effectivement le droit à la santé des populations, en particulier les plus fragiles, comme défini dans le préambule de la constitution de 1946.
proposition de RÉSOLUTION
En application des articles 137 et suivants du Règlement, il est créé une commission d’enquête de trente membres chargée d’enquêter sur les répercussions sanitaires et environnementales des activités industrielles sur le bassin de Lacq.