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N° 2397

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 novembre 2019.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

invitant le Gouvernement à commander
un audit financier indépendant des régimes de retraite,

présentée par Mesdames et Messieurs
 

Patrick HETZEL, Damien ABAD, Julien AUBERT, Nathalie BASSIRE,  Thibault BAZIN, Valérie BAZINMALGRAS, Valérie BEAUVAIS, Émilie BONNIVARD, Valérie BOYER, Xavier BRETON, Bernard BROCHAND, Fabrice BRUN, Jacques CATTIN, Dino CINIERI, Pierre CORDIER, Josiane CORNELOUP, MarieChristine DALLOZ, Bernard DEFLESSELLES, Rémi DELATTE, Vincent DESCOEUR, Fabien DI FILIPPO, JeanPierre DOOR, Marianne DUBOIS, Virginie DUBYMULLER, PierreHenri DUMONT, Daniel FASQUELLE, Nicolas FORISSIER, Laurent FURST, JeanJacques GAULTIER, Michel HERBILLON, Mansour KAMARDINE, Brigitte KUSTER, Valérie LACROUTE, Sébastien LECLERC, Marc LE FUR, David LORION, Véronique LOUWAGIE, Olivier MARLEIX, Frédérique MEUNIER, JeanFrançois PARIGI, Éric PAUGET, Guillaume PELTIER, Bernard PERRUT, Bérengère POLETTI, Didier QUENTIN, Alain RAMADIER, Robin REDA, Frédéric REISS, JeanLuc REITZER, Vincent ROLLAND, Raphaël SCHELLENBERGER, JeanMarie SERMIER, Éric STRAUMANN, Laurence TRASTOURISNART, Charles de la VERPILLIÈRE, Arnaud VIALA, Michel VIALAY,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Prétendre que le système de retraites est « proche de l’équilibre financier » ([1]) et que ce ne sont pas des raisons financières qui conduisent à le réformer est une contre‑vérité absolue.

Le Conseil d’orientation des retraites (COR) a d’ailleurs récemment corrigé les prévisions optimistes qu’il avait émises en 2018, en publiant que le déficit du système atteindrait 12 milliards d’euros en 2022. En outre, le contexte démographique est défavorable, marqué à la fois par l’augmentation du nombre de retraités et l’allongement de la durée de vie. Le rapport cotisant par retraité de droit direct passerait de 1,7 en 2018 à environ 1,3 à l’horizon 2070. En l’état actuel du système de retraite, le COR prévoit, pour les années à venir, une hausse des cotisations, un allongement de l’âge de départ et une baisse des taux de remplacement pour les actifs, ainsi qu’une diminution du niveau de vie relatif – qui a déjà commencé – pour les retraités.

Mais en réalité, le déficit est d’ores et déjà très supérieur aux 12 milliards annoncés par le COR. En effet, les cotisations retraite que l’État est supposé verser pour ses agents se réduisent à des jeux d’écriture et ne correspondent à aucun mouvement de fonds. Comment en serait‑il autrement, d’ailleurs, puisque le régime de la Fonction publique d’État ne dispose même pas d’une caisse de retraite ?

C’est ce que le haut‑commissariat a voulu ignorer, en publiant, dans les documents qui accompagnent ses « préconisations », un tableau faisant état de 3,2 milliards de réserves qui auraient été accumulées par le régime de retraite de la FPE ([2]) ! Or ces prétendues réserves sont un trompe‑l’œil et ne correspondent à aucune réalité.

Si les recettes sont factices, les dépenses, en revanche, n’ont rien de fantomatique. Les régimes de retraites de la fonction publique et des ouvriers de l’État représentent à eux seuls près du quart des dépenses de l’ensemble des régimes de retraite (312 milliards en 2017) ([3]). Les 76 milliards d’euros de prestations vieillesse versés aux fonctionnaires en 2017 ([4]), dont 55,7 milliards au titre du régime des fonctionnaires civils et militaires de l’État ([5]), alimentent bien réellement les pensions des retraités de la fonction publique.

Celles‑ci ne sont pas financées par des cotisations sociales, mais par les impôts qu’acquittent l’ensemble des contribuables. Elles représentent, en volume, plus de la moitié du déficit de l’État. Elles constituent donc un poste très important de la dépense publique (devant l’enseignement scolaire et la défense) et celui qui augmente le plus d’une année sur l’autre, contribuant ainsi plus qu’aucun autre à creuser la dette publique.

Les engagements de retraites des fonctionnaires civils de l’État et des militaires, qui se situaient, à la fin décembre 2017, dans une fourchette de 1 410 à 2 212 milliards d’euros ([6]), représentent d’ailleurs une part importante de la dette publique réelle, bien qu’elle ne soit pas prise en compte dans son montant officiel (près de 2 360 milliards d’euros).

Le gouvernement est conscient de cette situation, puisqu’il a souhaité réaliser des réformes paramétriques – auxquelles il a, pour l’instant, renoncé afin de ne pas gêner M. Delevoye au moment où celui‑ci exposerait le contenu de sa réforme « systémique ».

Il n’en demeure pas moins que les comptes du système de retraite publiés par l’État et la sécurité sociale sont insincères et contreviennent au principe constitutionnel de sincérité budgétaire ([7]).

Au moment de débattre de la prochaine réforme des retraites, il apparaît donc que la représentation nationale n’est pas correctement informée de la situation actuelle du système. Pourtant, les parlementaires ont besoin d’en avoir une image fidèle et fiable pour pouvoir se prononcer sur ce texte, qui engage l’avenir de générations de Français.

À cette fin, il est indispensable qu’un audit de tous les régimes de retraite, à commencer par ceux de la fonction publique, soit réalisé par un cabinet indépendant, qui devra éclairer les élus de la Nation sur les questions suivantes :

Quelle est la situation financière réelle des régimes de retraite ?

Quel en est l’impact sur le budget de l’État ?

Quel en est l’impact sur le déficit budgétaire ?

Telles sont en effet les questions essentielles qui doivent être posées, avant toute réforme en profondeur de notre système de retraites.

Tel est, Madame, Monsieur, le sens de la proposition de résolution suivante, que nous vous demandons de bien vouloir adopter.


proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Considérant que selon les prévisions du Conseil d’orientation des retraites, à législation inchangée, le déficit du système de retraites devrait être multiplié par quatre d’ici 2022 pour atteindre environ 12 milliards d’euros, soit 0,4 % du PIB ;

Considérant qu’en raison d’une augmentation du nombre des retraités par rapport à celui des actifs et de l’allongement de la durée de vie, le rapport cotisant par retraité de droit direct passerait de 1,7 en 2018 à environ 1,3 en 2070 ;

Considérant que les régimes de retraites de la fonction publique et des ouvriers de l’État représentent à eux seuls près du quart des dépenses de l’ensemble des régimes de retraite, et que cependant il n’existe pas de caisse de retraite des fonctionnaires de l’État ;

Considérant que les pensions des agents du secteur public et notamment des fonctionnaires, directement financées par l’impôt, contribuent largement à creuser la dette publique ;

Considérant qu’en outre, les engagements de retraites des fonctionnaires civils de l’État et des militaires, qui se situaient dans une fourchette de 1 410 à 2 212 milliards d’euros au 31 décembre 2017, constituent eux‑mêmes une part importante de cette dette publique ;

Considérant qu’une réforme systémique des retraites – de grande ampleur ? – est annoncée ;

Considérant que les représentants élus de la Nation ne disposent pas des informations qui leur permettraient de se prononcer en connaissance de cause sur le bien‑fondé de cette réforme ;

Considérant que le principe de sincérité budgétaire inscrit dans la Constitution ne paraît pas être appliqué aux comptes des régimes de retraite, et en particulier à ceux de la fonction publique ;

Invite le Gouvernement à commander, dans les meilleurs délais, un audit financier indépendant des régimes de retraite.


([1])  Cf. « Un système universel de retraite, plus simple, plus juste, pour tous », préconisations de Jean-Paul Delevoye, Haut-Commissaire à la réforme des retraites.

([2]) Source : document distribué aux représentants syndicaux par le Haut-commissariat chargé de la réforme des retraites.

[3] Auxquels il conviendrait d’y ajouter les autres régimes spéciaux – SNCF, RATP, IEG, mineurs, marins – ainsi que les régimes des agriculteurs, qui sont sous perfusion de l’État depuis des années.

([4])  Soit près du quart de la dépense de l’ensemble des régimes. Source : PLF 2019, jaune budgétaire, Rapport sur les pensions de retraite de la fonction publique.

([5])  Source : PLF 2018.

([6])  Selon le taux d’actualisation utilisé (entre -0,55 % et 1,5 %, net de l’inflation). Source : PLF 2019, jaune budgétaire, Rapport sur les pensions de retraite de la fonction publique.

([7])  Article 47-2 de la Constitution : « Les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière. »