N° 3968
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 mars 2021.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d’une commission d’enquête concernant Sanofi
et ses multiples scandales,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
François RUFFIN, Caroline FIAT, Sébastien JUMEL, Martine WONNER, Michel ZUMKELLER, Alain BRUNEEL, Philippe NAILLET, Muriel RESSIGUIER, Bastien LACHAUD, Danièle OBONO, Alexis CORBIÈRE, Mathilde PANOT, Jean‑Hugues RATENON, Sabine RUBIN, Bénédicte TAURINE,
députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Quand Sanofi est fondée, en 1973, par l’entreprise publique Elf, il est d’abord question d’« Hygiène et Santé », selon le titre de cette filiale du pétrolier. Sanofi, c’est alors le Doliprane, le Plavix (un antiagrégant qui va devenir le deuxième médicament le plus vendu au monde). Les hommes à sa tête sont des scientifiques, comme Jean‑François Dehecq (PDG), ingénieur, ou Gérard Le Fur (DG), docteur en pharmacie.
À la fin des années 2000, pourtant, l’entreprise va prendre un tournant financier. Plusieurs brevets arrivent à leur terme et les principaux actionnaires, malgré des dividendes toujours en hausse, décident dès 2008 de confier les rênes à des spécialistes de la finance et de la réduction des coûts. Les fondateurs historiques sont remerciés.
Douze ans plus tard, alors que Sanofi émarge chaque année sur le podium des champions du CAC 40 en versement de dividendes – 4 milliards cette année – bat chaque année de nouveaux records de profits, l’entreprise, autrefois fleuron français de l’industrie et de la santé publique, s’enferre dans les scandales sanitaires et économiques.
Une situation qui fait dire à Jean‑François Dehecq : « On ne peut pas vivre en fonction du cours de Bourse, c’est une connerie. Si les entreprises deviennent des machines à faire du fric pour les investisseurs, on est mort » (France 2, Cash investigation, en 2015).
Cette sentence trouve sa traduction en pleine pandémie.
Il est nécessaire de faire la lumière sur ce qu’est devenue l’entreprise Sanofi, sur son échec vaccinal, sur les responsabilités de chacun.
À ce titre, de nombreuses questions se posent, que la Commission d’enquête viendra éclairer :
Sur la destruction et l’abandon de la recherche :
– pourquoi l’entreprise Sanofi a‑t‑elle supprimé depuis 2009 plus de 4 000 postes de chercheurs dans le monde, dont plus de 2 000 en France, tandis que les effectifs en « Recherche et développement » passaient de 6 350 à 3 500 personnes, alors qu’elle a touché sur les douze dernières années plus d’un milliard de l’État au seul titre du crédit impôt recherche ?
– pourquoi l’entreprise Sanofi ferme‑t‑elle un à un ses labos de recherche en France, alors même que le CIR a vocation à lui permettre de justement renforcer sa recherche ? Dès cette année, après la fermeture d’Alfortville et celle annoncée de Strasbourg, il ne devrait rester que trois laboratoires de recherche en France, contre onze il y a dix ans ;
– pourquoi l’entreprise Sanofi annonçait‑elle en juin 2020 un plan de licenciement de 1 750 salariés, dont 1 000 en France, alors qu’elle touche chaque année 30 millions d’euros de crédit impôt compétitivité emploi et qu’elle bat chaque année et depuis 26 ans son niveau de rémunération des actionnaires, prévoyant pour eux en 2020 quatre milliards de dividendes en pleine crise sanitaire ?
– pourquoi l’entreprise Sanofi a‑t‑elle détruit en 2018 à Montpellier un centre de recherche et de production chimique ultra moderne, bâtiment flambant neuf, avant même qu’il n’ait commencé à servir, alors qu’il avait coûté 107 millions d’euros – soit un peu moins que le montant annuel reçu au titre du CIR, et plus que ce qu’a jamais rapporté une campagne annuelle de Téléthon ?
– pourquoi l’entreprise Sanofi s’est‑elle désengagée de la recherche sur les antibiotiques, alors que l’OMS implore depuis dix ans les laboratoires pharmaceutiques de chercher en urgence de nouveaux antibiotiques pour lutter contre les nouvelles bactéries vectrices d’infections graves, qualifiées de « bombe à retardement » ? Est‑ce parce que, selon la réponse formulée par la direction en Comité central d’entreprise, « la très grande majorité des projets dans ce domaine thérapeutique sont à un stade très précoce nécessitant un fort investissement interne, non aligné avec la stratégie » ?
– pourquoi l’entreprise Sanofi s’est‑elle également désengagée de nombreux domaines de recherche, comme la cardiologie, la neurologie, la maladie d’Alzheimer, le diabète, pour se consacrer uniquement sur les pathologies très rentables ?
– pourquoi l’entreprise Sanofi annonçait‑elle en février 2020 l’externalisation de la production de nombreux principes actifs, en plaçant six usines européennes (dont deux françaises, Elbeuf et Vertolaye) dans un pôle dédié, externe, côté en bourse, et dont il ne gardera que 30 % des actions ? Pourquoi ce projet, le projet Pluton, annonciateur de l’externalisation pure et simple des sites de chimie français à l’horizon 2023‑2024 et des problèmes de stock qui vont avec, alors même que le président de la République évoquait en avril « la folie de déléguer à d’autres » notre souveraineté sanitaire ?
Sur les scandales à l’étranger :
– pourquoi l’entreprise Sanofi, à la fin de l’année 2018, voyait‑elle des parents déposer les cendres de leur fils diabétique à l’entrée d’un centre de recherche de Sanofi à Boston (Massachussets) ? « Les prix élevés de Sanofi [1 300 dollars par mois (1 150 euros) pour un traitement normal] tuent les gens comme mon fils Alec, déclarait son père. J’en ai assez de les voir écouter mon histoire puis ne rien faire. Je ne leur demande plus de baisser leurs prix – je l’exige. » Le produit en cause, le Lantus, est également commercialisé en France, en quinzième position des médicaments les plus remboursés par la sécurité sociale en 2017 ;
– pourquoi l’entreprise Sanofi, qui se présente comme un fleuron de l’industrie française, a‑t‑elle été condamnée aux États‑Unis, fin 2018, à payer une amende de 25 millions de dollars pour des faits présumés de corruption à la Securities and exchange commission (SEC) pour versement de pots‑de‑vin au Kazakhstan et au Moyen‑Orient ?
– pourquoi l’entreprise Sanofi a‑t‑elle détruit en toute discrétion, en 2017, 359 millions de doses de son vaccin contre la dengue, le Dengvaxia, le seul existant, malgré 1,5 milliard d’investissement et 300 millions d’euros pour adapter son site de fabrication ?
– pourquoi l’entreprise Sanofi a‑t‑elle vu en 2019 six de ses dirigeants mis en examen aux Philippines, suite à la mort de centaines d’enfants vaccinés avec le Dengvaxia ?
Sur le scandale de Mourenx :
– pourquoi l’entreprise Sanofi, dans son usine de Mourenx (Pyrénées‑Atlantiques) a‑t‑elle rejeté dans l’atmosphère pendant des décennies (au moins 40 ans selon toute vraisemblance) jusqu’à 190 000 fois plus que le maximum autorisé du bromopropane et du valproate de sodium, deux substances cancérigènes et mutagènes ? Pourquoi n’en a‑t‑elle pas tenu informés ses salariés, les salariés du site, les habitants de la région ?
– pourquoi l’entreprise Sanofi n’a‑t‑elle pas réagi quand, en novembre 2018, on apprenait les résultats d’un test diligenté par la médecine du travail confirmant que certains salariés de Sanofi avaient bien des traces de Dépakine dans leur sang, sans jamais en avoir pris ?
– pourquoi l’entreprise Sanofi n’a‑t‑elle pas répondu dans la foulée aux demandes de la Direction régionale de l’environnement ou de l’inspection du travail, qui exigeaient des informations complètes « compte tenu de la toxicité de ces substances » ou pointant que la mise aux normes « ne permet donc pas de s’assurer de la conformité des installations », « ni à votre entreprise d’affirmer qu’elle maîtrise le risque chimique dans son établissement » ?
Sur le scandale de la Dépakine :
– pourquoi l’entreprise Sanofi, alors qu’elle savait depuis 1986 que la Dépakine prise par les femmes enceintes provoquait « un retard de développement ou des troubles neurologiques », n’a‑t‑elle pas demandé une modification de l’autorisation de mise sur le marché, ni réalisé dès cette période des études complémentaires approfondies, ni modifié les résumés des caractéristiques produit pour faire figurer ce risque sur les notices, qui restent largement inchangées jusqu’en 2006 ? Pourquoi se sont‑ils tus ?
– pourquoi l’entreprise Sanofi refuse‑t‑elle d’abonder au fonds mis en place par l’Oniam, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, pour indemniser les victimes, alors qu’une étude conjointe de l’ANSM et de l’Assurance maladie conclue que la prise de Dépakine est responsable de malformations chez 2 150 à 4 100 nouveaux‑nés, et de troubles neuro‑développementaux pour 16 600 à 30 400 enfants ?
– pourquoi l’entreprise Sanofi considère‑t‑elle que ces indemnisations, dont le montant total devrait s’élever à plusieurs milliards d’euros au vu des quelque 3 000 dossiers déposés à ce jour, doivent être prises en charge par la collectivité, puisque le refus de payer « n’empêchera pas les familles d’être prises en charge par l’ONIAM », selon une note interne de Guillaume Leroy, alors président de Sanofi France, le 16 janvier 2019 ?
– pourquoi l’entreprise Sanofi se pourvoit‑elle encore en cassation, alors qu’elle est condamnée, dans un des volets judiciaires de cette affaire, par la cour d’appel d’Orléans, à verser 3 millions d’euros à la famille de la petite Camille, victime de la Dépakine ?
Sur la collusion avec l’exécutif :
– pourquoi l’entreprise Sanofi était‑elle reçue en 2018 dans les salons de l’Élysée, par Emmanuel Macron en personne, le lendemain même de l’annonce du scandale de Mourenx, non pas pour demander des comptes mais pour se voir accorder plusieurs centaines de millions d’euros supplémentaires, via BPI France ?
– pourquoi l’entreprise Sanofi accueillait‑elle, le 16 juin dernier sur son site de Marcy‑l’Étoile, le président Emmanuel Macron, venu féliciter (ou absoudre ?) ses dirigeants dans une belle opération de communication, alors même que le directeur de Sanofi aux États‑Unis, Paul Hudson, avait annoncé trois jours plus tôt que « si un vaccin est trouvé, les États‑Unis seront servis les premiers » ?
– pourquoi l’entreprise Sanofi est‑elle un sujet tabou quand on s’adresse à l’exécutif depuis 2017 ? Pourquoi est‑il impossible de la remettre en cause ? À peine nommé, à l’été 2017, c’est d’abord le Premier ministre Édouard Philippe qui dans l’hémicycle nous fait la leçon : « Il ne faut pas dénigrer une entreprise française comme Sanofi, une entreprise qui fonctionne bien. » Puis c’est Christophe Castaner, alors porte‑parole du Gouvernement, qui prévient : « On ne doit pas critiquer des entreprises qui réussissent, comme Sanofi. » C’est ensuite la ministre de la santé d’alors, Agnès Buzyn, qui explique que pour elle, dans le dossier de la Dépakine, « faire payer Sanofi, ça n’est pas l’urgence ». C’est encore, au printemps 2020, alors que la France manque d’hypnotiques et qu’on interroge la ministre de l’industrie sur leur production, qu’Agnès Pannier‑Runacher répondait : « On peut faire confiance à Sanofi. »
– pourquoi, enfin, à quel titre le PDG de l’entreprise Sanofi, Serge Weinberg, se voyait‑il fin 2019 élevé au prestigieux grade de « grand Commandeur » par Emmanuel Macron ? Est‑ce parce qu’il avait permis au futur président, rencontré lors de la commission Attali douze ans plus tôt, d’entrer à la banque Rothschild après lui avoir conseillé « Enrichissez‑vous ! » ? Ou pour le récompenser des scandales de la Dépakine, de Mourenx, de la recherche détruite ?
proposition de rÉsolution
Article unique
En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres concernant Sanofi, son abandon de la recherche, ses scandales à l’étranger, son scandale de Mourenx, son scandale de la Dépakine et sa collusion avec l’exécutif.